Un impôt sur la fortune, la taxe comptes-titres? Un trophée fiscal rikiki
Un impôt sur la fortune, la taxe comptes-titres? Pas vraiment. Mais les socialistes veulent y croire et le faire croire. Analyse d’une probable victoire à la Pyrrhus.
Le texte vient d’arriver à la Chambre. Tout chaud, brûlant. Le débat devait être lancé en commission des Finances ce mercredi 13 janvier. Vu les flèches déjà décochées par l’opposition, cela s’annonçait agité. La taxe sur les comptes-titres est un sujet très sensible au sein de la Vivaldi, en particulier pour les socialistes qui voudraient accrocher ce trophée fiscal à leur ceinture pour la prochaine campagne. Surtout que le gouvernement Michel, baptisé par eux « MR – N-VA », s’était ramassé une belle claque de la Cour constitutionnelle, en octobre 2019, avec sa taxe comptes-titres. Le PS aurait désormais beau jeu de clamer: « Avec nous au fédéral, ça passe! »
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Mais si le projet aboutit sans contrarier les juges qui veillent au respect de nos droits fondamentaux, la partie ne sera pas gagnée pour autant par les socialistes. En tout cas, sur le plan idéologique. Le PTB les a déjà accusés – en mettant les verts dans le même panier – d’avoir renoncé à une véritable taxation sur le patrimoine, regrettant l’absence de rupture avec la suédoise, ce qui a fait sortir de ses gonds le chef de groupe PS à la Chambre Ahmed Laaouej. Dans sa critique, le parti de la « taxe des millionnaires » se base sur l’avis du Conseil d’Etat qui a recommandé de supprimer toute référence aux « épaules les plus larges » pour décrire les contribuables concernés par la taxe.
Les socialistes n’ont jamais pris le risque de s’exposer avec le portefeuille des Finances.
Or, toucher les plus riches était le cheval de bataille fiscal des socialistes, les « épaules les plus larges » étant mentionnées, à leur demande, dans l’accord de gouvernement. Le président du PS Paul Magnette l’a encore confirmé, dans l’interview accordée à L’Echo le 9 janvier. Il persiste à évoquer un « impôt sur la fortune », expliquant que si tous les types de patrimoines ne sont pas visés par la nouvelle taxe, imposer les comptes-titres de plus d’un million d’euros permet néanmoins de frapper les plus nantis, ceux qui achètent le plus des produits financiers. Convaincant? Pas pour le très actif Réseau pour la justice fiscale (RJF), qui réunit une cinquantaine d’associations syndicales, citoyennes et de jeunesse.
Outre l’exonération des actions nominatives qui ne font pas partie des comptes-titres, pointe le RJF, le patrimoine immobilier tout comme le patrimoine mobilier non financier (yachts, voitures de luxe, métaux précieux, bijoux, oeuvres d’art…), ou encore les actifs conservés en espèces (en l’occurrence, essentiellement, des billets de 500 euros), ne sont, eux, pas concernés par le projet soumis au Parlement. Par ailleurs, la nouvelle taxe est, toujours selon le RJF, « sans lien avec une capacité contributive », la particularité de celle-ci étant de viser, non pas les titulaires, mais les comptes-titres eux-mêmes, sans les globaliser. Ce qui peut engendrer des situations injustes: un contribuable A possédant un compte de 1,1 million d’euros sera taxé à 0,15%, mais B, qui possède deux comptes distincts de 900.000 euros, lui, ne sera pas imposé, car aucun des deux ne dépasse le seuil fiscal de 1 million.
Marqueur gauche-droite
Bref, les critiques risquent de pleuvoir à la Chambre… « Ce sera difficile à gérer pour les socialistes qui oscilleront entre une attitude défensive et un discours triomphaliste qui risque de vite paraître déplacé », analyse Jean Faniel, qui rappelle que Paul Magnette disait toujours à ses étudiants que c’est sur la fiscalité que le marqueur gauche-droite est le plus visible. Le directeur du Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp) pense que l’issue du débat sur la taxe ne sera pas la victoire finale dont le PS rêve depuis longtemps. « Si les socialistes avaient choisi le cabinet des Finances, ils n’auraient certes pas pu imposer leur seul point de vue, mais ils auraient été à la manoeuvre, comme l’est Vincent Van Peteghem (CD&V) aujourd’hui, ce qui lui permet d’impulser certaines choses et de s’asseoir sur d’autres. C’est toujours un atout. »
Mais voilà, depuis la Seconde Guerre mondiale, les socialistes n’ont jamais osé monter aux Finances, même pas après la décennie Reynders qu’ils avaient tant critiquée. « Ils entretiennent une ambiguïté dans leur communication, notamment avec Ahmed Laaouej qui a toutes les compétences pour devenir ministre des Finances, continue Jean Faniel. Jusqu’ici, ils ont préféré ne pas s’exposer et cela pourrait finalement avoir un coût politique. Pas sûr que le PTB, pour autant bien sûr qu’il fasse partie d’une majorité, laisserait échapper une telle opportunité. » A fortiori dans la crise actuelle, la pression ou non des acteurs sociaux, dont la FGTB et le RJF, sera déterminante dans le débat fiscal. « Y compris pour Ecolo, avec le Mouvement ouvrier chrétien (MOC), dont les verts se sont rapprochés ces dernières années », conclut le politologue.
Reste à voir d’abord si le texte, une fois adopté, ne subira pas le même sort que son prédécesseur. Pour Me Thierry Afschrift, qu’on sait attentif à ce genre de législation, le projet ne diffère en rien, sur le fond, de celui de la suédoise et reste un « impôt politicien ». « Mais il est mieux habillé juridiquement », reconnaît l’avocat qui se montre même plus optimiste que le RJF sur cet aspect, entre autres sur le seuil d’un million d’euros. Le Conseil d’Etat avait demandé au gouvernement de mieux justifier ce montant minimum taxable. Cela pourrait-il être une pierre d’achoppement? « A priori non, les effets de seuil et de plafond sont assez courants en droit fiscal », commente Me Afschrift qui précise néanmoins attendre la version finale avant d’en analyser la constitutionnalité.
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Pour ce fiscaliste, cibler les comptes et non leurs titulaires est intelligent et plus adroit que la tentative de Michel 1er. « C’est évidemment de la mauvaise législation, mais, on le sait, de mauvaises législations sont conformes à la Constitution », sourit-il. Cela permet aussi de faire jouer aux banques non seulement le rôle de débiteurs de la taxe mais aussi celui d’agents de recouvrement puisque les 0,15% seront prélevés à la source. En outre, pour éviter les sanctions de la mesure antiabus, les établissements financiers se montreront sans doute prudents dans leur appréciation des scissions abusives de comptes pour échapper à la taxe.
Le RJF épingle tout de même qu’au niveau de l’administration fiscale, on ignore quel service sera en charge du contrôle et de la gestion de cette nouvelle taxe d’abonnement, les deux inspections ad hoc ayant été démantelées il y a dix ans. La porte-parole du SPF ne pouvait, elle, nous en dire davantage tant que le projet de loi n’était pas adopté.
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