Transferts de patients: « On a l’impression qu’il n’y a pas une vraie volonté de faire quelque chose »
La situation dans les hôpitaux belges se dégrade de jour en jour. Il faut à tout prix éviter la saturation dans les hôpitaux, notamment au niveau des soins intensifs. Il existe de grandes différences d’occupation entre les provinces, mais le transfert des patients est pourtant difficile à organiser.
La deuxième vague de Covid touche de plein fouet les hôpitaux belges. Certains sont au bord de la saturation et souhaiteraient que d’autres établissements prennent en charge certains de leurs patients. Mais il y a un gouffre entre la théorie et la pratique.
Il existe un plan national de répartition. Ce plan comporte cinq phases, où un pourcentage de lits de soins intensifs doit être réservé aux patients Covid, et des lits supplémentaires dédiés pour les services non intensifs.
« Lorsque le pourcentage de lits est atteint, les patients sont transférés vers d’autres hôpitaux », nous indique le SPF Santé publique. C’est d’ailleurs pour cette raison que le comité du Hospital & transport surge capacity a demandé aux hôpitaux généraux et universitaires de passer à la phase 2A d’ici le 2 novembre. Elle a également demandé de reporter les soins normaux non urgents pour le moment. Le but est de soulager la charge de travail des hôpitaux. Mais cela n’empêche pas que certains, déjà au bord de la saturation, ont besoin d’aide.
Personne pour imposer les transferts
Et les appels à la solidarité des directions hospitalières se multiplient. Si certains trouvent l’interlocuteur et l’aide tant attendus, d’autres hôpitaux se retrouvent en galère, avec un trop-plein de patients à gérer. « C’est l’hôpital-même qui décide s’il veut répartir des patients Covid. A ce moment-là, il contacte le PECC (Patient Evacuation Coordination Center). Le PECC recherche quels hôpitaux ont des lits disponibles, d’abord dans le même réseau, mais aussi dehors si nécessaire », explique le SPF Santé publique.
403 transferts depuis le 1er octobre
Depuis le 1er octobre, 403 transferts d’hôpitaux ont été effectués, selon des chiffres de Sciensano. De son côté, le Patient Evacuation Coordination Centre (PECC) du SPF Santé publique indique avoir aidé à 180 transferts.
Selon les chiffres de Sciensano, la province de Flandre orientale a accueilli 78 patients et les 19 communes de Bruxelles 60 depuis début octobre. En province de Namur, 47 patients sont arrivés au cours du mois et presque autant dans la province d’Anvers (46). Le Hainaut a accueilli 41 patients Covid-19, Liège 38, la Flandre occidentale 37, le Brabant flamand 25, le Limbourg 21 et la province du Luxembourg six.
« Le PECC a effectivement effectué un total de 180 transferts depuis le début du mois d’octobre », dont 166 au départ de Bruxelles et 16 depuis Liège. Il a organisé au départ de Bruxelles 39 transferts vers la Flandre orientale, 30 vers la Flandre occidentale, 24 vers Anvers, 22 au sein des communes bruxelloises, 20 en Brabant flamand, 17 vers le Hainaut, neuf vers le Limbourg et deux en Brabant wallon. Depuis Liège, neuf patients Covid-19 ont été transportés vers le Limbourg et cinq vers le Brabant flamand, par l’intermédiaire du PECC. (avec Belga)
Aucune obligation de la part des autorités
Dans les faits, c’est souvent l’hôpital qui doit s’organiser lui-même au sein de son réseau ou province. Car il n’y a aucune obligation de la part des autorités. « Le patient et son docteur ont le droit de refuser un transfert », nous confirme-t-on au SPF. Et c’est bien là le problème : si le système existe, il est non contraignant. « Il n’y a pas d’autorité qui peut imposer un transfert. C’est un sujet qui nous énerve beaucoup, parce que c’était déjà sur la table lors de la première vague. On a déjà rencontré ces difficultés de transfert, qui ne fonctionnait pas de manière optimale car il se basait sur la bonne volonté des uns et des autres », nous explique Isabelle Loeb, directrice médicale au CHU Saint-Pierre. « Par rapport au printemps, rien n’a changé, malgré les appels à l’aide des hôpitaux. »
Transparence sur la répartition des hospitalisations
« On a l’impression qu’il n’y a pas une vraie volonté de faire quelque chose. Cela nous inquiète. Pourquoi ne pas désigner un expert au niveau fédéral qui a autorité sur tous les hôpitaux ? », se demande-t-elle. Les hôpitaux se sentent délaissés et demandent deux choses. Premièrement : une transparence sur les chiffres d’occupation des lits par province. Ces chiffres existent car les hôpitaux doivent rentrer chaque jour les données de patients Covid, mais l’information n’est pas rendue disponible. « Cela donnerait une vision claire de la situation dans le pays. Nous dire tous les jours le nombre brut de patients hospitalisés en Belgique… d’accord, mais où ? ». Deuxièmement : si ces chiffres sont disponibles, une proposition des transferts de patients de préférence dans les hôpitaux les plus proches où des places sont disponibles.
La procédure n’est, elle non plus, pas harmonisée et varie très fortement d’un hôpital à l’autre. Chacun met en place son propre système : parfois c’est la direction, parfois les urgences… Cela se fait beaucoup par des contacts interpersonnels, avec des contacts un peu informels, par des groupes Whatsapp par exemple. Des démarches qui demandent également du temps : « Nous, on n’a pas ce temps. Les patients non plus n’ont pas ce temps. On a parfois des patients pour lesquels on attend plusieurs heures. Ce n’est pas correct vis-à-vis des patients et de sa famille qui ne sait pas s’il va partir à l’autre bout du pays ou dans l’hôpital à côté », nous confirme Isabelle Loeb.
De l’aide, et de la solidarité
Et le constat du CHU Saint-Pierre est loin d’être isolé. « On espérait qu’une solidarité soit imposée et que la régulation des patients en soins intensifs et non soins intensifs soit faite par le fédéral. Ce n’est pas le cas », indique le directeur médical de l’hôpital Saint-Jean à la RTBF. Même son de cloche à l’hôpital Tivoli de La Louvière : « Je téléphone au 112, j’ai un gentil monsieur qui me dit : ‘Je crois qu’il y a encore des places à Nivelles ou à Charleroi’. Ça se limite à ça, il n’y a pas plus d’aide. » Sur le terrain, on note la volonté que la charge soit divisée sur l’ensemble des hôpitaux disponible, dans tout le pays : « Cela permettrait à tous les hôpitaux d’évoluer à la même vitesse et de permettre à ceux qui sont au bord de la noyade de respirer », nous explique encore Isabelle Loeb. Et cela, pour éviter la saturation à tout prix.
La semaine dernière, le CHU Saint-Pierre, parmi d’autres hôpitaux, avait déjà tiré la sonnette d’alarme. Mais cela n’a, pour l’instant, pas porté ses fruits « Il n’y a rien qui a changé, il n’y a rien qui s’annonce. À ce jour, il n’y a toujours aucune autorité qui à pouvoir de décision et d’imposer. » Car si la situation continue de se dégrader et qu’il n’y a plus de lits, que va-t-il se passer ? « Personne n’a la réponse. »
Et vers l’étranger ?
Vu la dynamique de l’épidémie, il n’est pas impossible que la Belgique finisse par demander de l’aide aux pays voisins. Un recours auquel de nombreux pays européens ont fait appel lors de la première vague. « Il existe un accord entre les États membres de l’UE pour admettre les patients les uns des autres si nécessaire. Cela peut être dû au fait qu’il n’y a pas ou trop peu de lits pour un type de traitement spécifique dans l’un des États membres ou qu’il y a un afflux inattendu de patients. Les patients sont donc régulièrement transférés à l’étranger, même avant la crise de Corona », nous indique encore le SPF Santé publique.
Cependant, les autres pays font aussi face à l’épidémie et n’ont pas toujours l’occasion d’accepter ces demandes. La Belgique aurait ainsi demandé aux Pays-Bas de prendre en charge des patients, mais pour l’instant, il n’y a pas de place pour eux, selon Ernst Kuipers, président du Landelijk Netwerk Acute Zorg. « De la même manière que l’Allemagne nous a aidés, nous pouvons faire la même chose pour la Belgique, sur la base de la réciprocité. Mais pour l’instant, c’est vraiment difficile et nous devons faire de notre mieux pour répartir les patients au sein des Pays-Bas », argumente-t-il. Le SPF Santé publique et le cabinet du ministre de la Santé Frank Vandenbroucke indiquent cependant ne pas être au courant de cette demande.
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