Tracing : « ce n’est pas en essayant d’éviter d’ennuyer ses amis que l’on va réussir à arrêter le virus »
De nombreuses personnes testées positives au covid ne transmettent pas leurs contacts aux centres de tracing. C’est pourtant une étape essentielle si l’on veut briser la chaîne de transmission du virus. Le point avec Karine Moykens, présidente du comité interfédéral Testing & Tracing.
Comment se fait-il que de nombreuses personnes testées positives au covid, même celles qui ont téléchargé l’application Coronalert, ne transmettent pas leurs contacts ?
Karine Moykens : On ignore pourquoi ces gens n’appuient pas sur le bouton de leur application prour prévenir leurs contacts. Je constate que parfois les gens sont tellement perturbés d’avoir été testés positifs, alors qu’ils ne s’y attendaient pas, qu’ils oublient tout simplement l’application. Pensez à avertir les gens, c’est important. C’est la raison pour laquelle vous avez installé l’application. S’il s’agit effectivement de personnes qui oublient d’avertir leurs contacts, je peux tenter de les sensibiliser, mais si c’est délibéré, nous avons un plus grand problème.
Les personnes qui ont l’application sont-elles également prévenues par téléphone ?
Non, nous devons garantir la vie privée des utilisateurs. Parfois, on me dit « votre appli ne fonctionne pas. Le centre de contacts ne m’appelle pas. » Eh bien non, bien sûr que vous n’êtes pas contacté, car on ne sait pas que vous avez l’application. Si vous avez l’écran rouge, c’est à vous de téléphoner au centre de contacts pour demander le code pour vous faire tester et vous envoyer le lien pour l’attestation de quarantaine. La seule chose que nous pouvons faire quand un test positif arrive chez Sciensano et que nous constatons que c’est quelqu’un qui n’a pas introduit le code de 17 chiffres de l’application, c’est lui envoyer un SMS. Désormais, tous ces gens recevront un SMS qui dit « si vous êtes utilisateur de coronalert, voici un lien pour lier votre résultat à l’appli pour prévenir vos contacts à haut risque. Il faut utiliser ce lien pour intégrer son résultat dans l’appli, et le faire tout de suite, pas deux semaines plus tard.
Et les personnes qui n’ont pas téléchargé l’application sont-elles enclines à fournir les coordonnées de leurs contacts rapprochés ?
Aujourd’hui, les patients indiquent trois ou quatre contacts rapprochés. C’est possible que ce soit le nombre véritable, étant donné que nous sommes en semi-confinement. Cependant, même durant la période où nous pouvions voir beaucoup plus de personnes, ce chiffre était de quatre ou cinq. Je pense que là aussi nous ratons des gens. C’est pour cela qu’il faut faire le point sur le case management, l’investigation des foyers et des sources de la contamination. Il faut parler aux gens pour leur demander où ils ont été, qui ils ont vu, et contacter les bars et les restaurants par exemple (lorsqu’ils étaient encore ouverts) pour retracer encore plus les contacts, qu’ils soient à haut risque ou à bas risque.
Certaines personnes craignent-elles d’être sanctionnées si elles indiquent qu’elles ont eu plus de contacts que ce qui est autorisé ?
La peur est effectivement l’une des raisons pour lesquelles elles ne donnent pas tous leurs contacts. Certaines personnes craignent des sanctions, alors que nous n’avons même pas l’autorisation de divulguer ces données à la police ou à qui que ce soit. Et ce n’est pas ce que nous voulons, au contraire. Les gens qui coopèrent nous aident, donc nous n’allons pas essayer de les sanctionner.
D’autre part, les gens savent que lorsqu’ils indiquent des contacts à haut risque, ces personnes seront contactées et devront entrer en quarantaine. Là aussi, ils nous disent parfois « non, je ne vais pas vous donner plus de contacts, mes amis devraient entrer en quarantaine, et ils veulent aller travailler ». C’est là que nous essayons de leur expliquer que ce n’est pas en essayant d’éviter l’embarras pour les amis que l’on va réussir à arrêter le virus. Tant qu’on laisse le virus se propager, on restera en confinement. Effectivement, il faut faire dix jours de quarantaine, mais que sont dix jours dans une vie ?
Avez-vous une stratégie pour repérer les super-contaminateurs ? On sait en effet que 20% des personnes infectées seraient responsables de 80% des contaminations. Ne faudrait-il pas se concentrer sur ces personnes-là ?
C’est très difficile, parce que nous ne connaissons pas l’identité des personnes qui présentent un taux de contamination très élevé. Les centres de tracing ne connaissent pas le taux de contamination de chaque personne. Ce sont les collègues épidémiologistes qui analysent ces résultats. Quand nous contactons quelqu’un, nous savons qu’il est contaminé, mais nous ne savons pas s’il a un taux de contamination élevé ou faible. Ce sont les règles de la vie privée, mais peu importe que les patients aient un taux élevé ou faible, nous les contactons, et c’est d’ailleurs la seule chose que le tracing peut faire : essayer de contacter toutes les personnes potentiellement infectées et demander la coopération de tout le monde pour nous donner leurs contacts.
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