Stéphane Moreau © BELGA IMAGE

Stéphane Moreau a renoncé au célibat pour 440.000 euros

David Leloup Journaliste

Des perquisitions ont eu lieu jeudi à Ans dans le cadre d’une instruction judiciaire visant notamment Stéphane Moreau. La justice liégeoise suspecte que l’ex-patron de Nethys et sa compagne se soient domiciliés et déclarés cohabitants légaux à Ans, en 2018, afin d’empocher une prime d’assurance-pension.

C’est une histoire surprenante qui semble en dire long sur l’état d’esprit « lucratif » de l’ancien patron déchu de Nethys. On connaissait déjà l’affaire du mirobolant salaire de Stéphane Moreau avoisinant 1,5 million d’euros brut annuels tous mandats et avantages inclus. Et celle des faramineuses indemnités « de rétention » – plus de 8,6 millions d’euros brut pour l’ex-bourgmestre d’Ans – destinées à « retenir » encore deux ans le management de Nethys après l’entrée en vigueur du décret « gouvernance » plafonnant les rémunérations des dirigeants des structures publiques à 260.000 euros brut par an (à indexer).

On apprend maintenant que pour toucher un pactole supplémentaire deux jours avant l’entrée en vigueur de ce fameux décret gouvernance, Stéphane Moreau aurait usé de son influence à Ans pour obtenir un certificat de cohabitation légale « de complaisance » lui permettant d’empocher au passage 437.000 euros de plus via son assurance-groupe chez Integrale alimentée par Nethys. Explications.

Jeudi, des perquisitions ont été menées dans les bureaux de l’administration communale d’Ans, comme l’ont signalé hier soir nos confrères de La Meuse. Mais des perquisitions ont également eu lieu dans les locaux de la zone de police d’Ans/Saint-Nicolas, ont appris Le Vif et Le Soir à bonnes sources.

Ces devoirs ont été réalisés par des enquêteurs du Comité permanent de contrôle des services de police (Comité P) et de l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC). Ils s’inscrivent dans le cadre d’une instruction judiciaire aux mains du juge financier liégeois Frédéric Frenay. Cette vaste enquête concerne des abus présumés dans les rémunérations des ex-dirigeants de Nethys, au premier rang desquels figure bien sûr Stéphane Moreau.

Pour quelques 25% de plus…

Selon nos informations, le juge Frenay suspecte l’ex-CEO de Nethys, avec l’aide bienveillante du chef de corps de la zone de police et d’une responsable de l’administration communale, de s’être fictivement domicilié en 2018 dans l’une de ses maisons à Ans. Et d’avoir effectué une déclaration de cohabitation légale avec sa compagne dans ce pseudo-domicile. Tout cela sans suivre les procédures légales habituelles.

Cette double manoeuvre – domiciliation et déclaration de cohabitation légale – a été réalisée dans l’urgence le 22 mai 2018, et aurait été effectuée à des fins d’enrichissement personnel. En effet, le montant de l’assurance-groupe dont bénéficiait contractuellement Stéphane Moreau en tant que CEO de Nethys depuis 2013 aurait été substantiellement augmenté (+25% environ) si le bénéficiaire était marié ou cohabitant légal. Ce que Stéphane Moreau n’était pas.

En fait, plusieurs membres du comité de direction de Nethys (Stéphane Moreau, Paul Heyse, Bénédicte Bayer, Jos Donvil, Gil Simon) disposaient d'une assurance-groupe de type
En fait, plusieurs membres du comité de direction de Nethys (Stéphane Moreau, Paul Heyse, Bénédicte Bayer, Jos Donvil, Gil Simon) disposaient d’une assurance-groupe de type « but à atteindre » chez Integrale.

En fait, plusieurs membres du comité de direction de Nethys (Stéphane Moreau, Paul Heyse, Bénédicte Bayer, Jos Donvil, Gil Simon) disposaient d’une assurance-groupe de type « but à atteindre » chez Integrale. Il s’agit d’un type particulier d’assurance-groupe qui sera justement interdit par le décret gouvernance. Au moment de conclure ces contrats en 2013, Stéphane Moreau était le seul célibataire. Donc il avait proportionnellement moins que les autres.

Mais Nethys a donné instruction à Integrale de calculer, chaque année, le montant théorique à verser dans l’assurance-groupe de Stéphane Moreau s’il était marié. La différence entre ce montant théorique maximal « marié » et ce que Nethys payait réellement sur le compte d’assurance « célibataire » de son CEO était provisionnée dans un fonds de financement au sein d’Integrale. Une « réserve » au cas où le célibataire endurci se marierait ou cohabiterait légalement, donc.

Domicilié et « pacsé » en un jour

C’est cette « réserve » de plus de 437.000 euros que convoitait visiblement Stéphane Moreau, alors que l’entrée en vigueur du décret gouvernance – le 24 mai 2018 – approchait à (très) grands pas. Alors, le 22 mai 2018, deux jours avant la date fatidique, il décroche son téléphone, obtient un certificat de cohabitation légale quasi sur-le-champ, le transmet hors procédure à Integrale qui transfère illico 437.632,11 euros de la réserve vers le compte de l’assurance-groupe de Moreau. Et le tour est joué.

Le contrat de base d’assurance-groupe de Stéphane Moreau lui a rapporté, entre 2013 et 2018, plus de 1.365.000 euros. Un second contrat d’assurance-groupe créé en mai 2018 dans le cadre des « indemnités de rétention » lui a octroyé 2.517.000 euros supplémentaires. Avec la réserve obtenue en renonçant au célibat à deux jours du terme, l’ex-boss de Nethys passe de 3,9 à plus de 4,3 millions d’euros de prime d’assurance-groupe qu’il espère toucher lorsqu’il partira à la retraite.

Deux ans et demi plus tard, les personnes auxquelles l’ex-bourgmestre d’Ans avait téléphoné ont été perquisitionnées. Jeudi matin, les enquêteurs de l’OCRC ont rendu visite au service Population de l’administration communale d’Ans où ils ont saisi le rapport de police actant la domiciliation, le 22 mai 2018, de Stéphane Moreau et sa compagne de l’époque, C.R., au numéro 36 de la rue Général Leman.

Habituellement, ce type de rapport est rédigé par un simple agent de quartier après que ce dernier ait constaté la présence physique du ou des demandeurs au domicile en question. Or ici, le rapport est signé par Philippe Giroulle, à l’époque chef de corps faisant fonction à la zone de police d’Ans/Saint-Nicolas. Selon nos informations, ce dernier a été interrogé jeudi après-midi par les enquêteurs du Comité P.

Un chef de corps embarrassé

Le policier aurait avoué avoir rédigé ce rapport « de complaisance » suite à un appel de son ex-bourgmestre Stéphane Moreau, sans contrepartie. Contacté par Le Vif, Philippe Giroulle a nié avoir été entendu par le Comité P et a mis fin subitement à l’entretien sans prendre le temps d’énoncer les formules de politesse d’usage.

Entendue par les limiers de l’OCRC, la responsable du service Population aurait expliqué en substance avoir elle aussi reçu un appel de l’ex-bourgmestre d’Ans, le 22 mai 2018, pour effectuer une déclaration de cohabitation légale téléphoniquement. Elle se serait exécutée, avalisant le rapport du chef de corps.

Hôtel communal de Ans
Hôtel communal de Ans© Belga Images

La procédure légale requiert pourtant de remettre une déclaration écrite de cohabitation légale à l’officier de l’état civil, lequel délivre une preuve de réception. La déclaration doit contenir notamment les noms, prénoms et signatures des deux cohabitants, l’adresse du domicile commun et la mention de la volonté des parties de cohabiter légalement. L’officier de l’état civil doit ensuite vérifier si les conditions légales régissant la cohabitation sont remplies. Or ici tout a été fait par téléphone en une journée.

Rien d’illégal selon Me Masset

Contactés, Stéphane Moreau et sa compagne de l’époque n’ont pas réagi. L’avocat de l’ex-patron de Nethys, Me Adrien Masset, conteste toute illégalité dans le chef de son client. « Lorsque quelqu’un change de régime familial – mariage ou cohabitation légale -, il y a une conséquence favorable sur son assurance groupe, c’est la loi qui veut ça, ce n’est pas une faveur« , commente Me Masset.

Qui ajoute qu’il ne faut pas confondre lieu de résidence et domicile : « Ce dernier est le lieu où une personne peut être jointe par les autorités officielles. Il n’y a aucune obligation de résider 24 heures sur 24 là où on se domicilie. Lorsque les communes envoient l’agent de quartier pour vérifier le domicile, c’est pour éviter les fraudes sociales. Pour obtenir des allocations de chômage plus élevées, par exemple. Ce n’est pas le cas ici. »

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