Séisme à Liège dans l’affaire Nethys: la justice passe à la vitesse supérieure (analyse)
Les enquêteurs pourraient faire basculer certains dossiers vers la case pénale. Politiquement, les confrontations pourraient aussi avoir des conséquences. Un coup de pied dans la fourmilière?
Ce n’est finalement pas à la prison de Lantin que François Fornieri, CEO de Mithra, a passé la nuit, mais bien à celle de Marche, plus moderne. Entendu par la justice depuis jeudi matin, l’homme d’affaires liégeois y a été rejoint par Pierre Meyers, ancien président du conseil d’administration de Nethys et responsable du comité de rémunération. L’arrestation des deux hommes et leur inculpation en compagnie de Jacques Tison, ancien membre du comité de rémunération de Nethys, libéré sous condition, a été suivie, vendredi matin, par un autre séisme avec l’interpellation de Stéphane Moreau, Pol Heyse et Bénédicte Bayer, trois anciens managers de Nethys.
L’Office central de répression de la corruption a visiblement estimé que le temps était venu de passer à la vitesse supérieure dans cette affaire à tiroirs, qui ne cesse de mettre à nu la gangrène liégeoise, depuis 2016. En interpellant les protagonistes du dossier, et en en incarcérant certains, les enquêteurs entendent confronter les points de vue sans que les intéressés ne puissent, le cas échéant, accorder leurs version. Mais ils pourraient aussi donner un fameux coup de pied dans la fourmilière, car cette affaire a généré ou amplifié des inimitiés entre des acteurs. Et certains pourraient avoir la volonté d’en mouiller d’autres pour se défendre, envers et contre tout.
Une longue saga politico-judiciaire
En 2016, Le Vif avait été le premier à révéler les rémunérations généreuses accordées à des élus pour des réunions inutiles dans les comités de secteur de l’intercommunale liégeoise Publifin. Le choc est énorme. Une commission d’enquête est installée, le gouvernement wallon exige le départ des dirigeants de l’intercommunale, dont Stéphane Moreau, et demande que l’on revoit le périmètre de cette intercommunale devenue un outil industriel dans la région liégeoise, au départ de fonds publics. Stéphane Moreau quitte son rôle politique – lui qui était bourgmestre de Ans – et démissionne du PS.
C’est le début d’une longue saga politico-judiciaire, dont les épisodes vont se succéder.
Publifin devient Enodia en novembre 2018, avec la volonté de solder le passé et de se recentrer sur le métier de l’électricité. Mais le holding Nethys, sa filiale en charge des activités industrielles, prend sa place dans l’actualité. En 2019, la presse rapporte que le groupe a vendu ses actions dans les filiales Win et Elicio aux sociétés Ardentia Tech et Ardentia qui appartiennent au CEO de Mithra François Fornieri, entre-temps également devenu administrateur de Nethys. C’est ce dossier là qui est notamment en voie d’accélération.
Le gouvernement wallon se saisit du dossier et, en novembre 2019, prend des arrêtés afin de casser ces ventes en raison de conflits d’intérêts, du manque de mise en concurrence ainsi que du montant dérisoire de certaines transactions. Parallèlement, le gouvernement transmet les pièces à la justice et se constitue partie civile dans ce dossier. En décembre 2019, les comptes des anciens dirigeants du groupe liégeois Stéphane Moreau, Pol Heyse et Bénédicte Bayer sont gelés sur la base d’une requête de la nouvelle direction de Nethys. Cette dernière conteste le versement d’indemnités de sortie pour un total de plus de 15 millions d’euros, validé par le comité de nomination et de rémunération de Nethys composé de François Fornieri, Jacques Tison et Pierre Meyers.
Ce dossier relatif aux plantureuses indemnités dont ils ont bénéficié (15 millions à eux trois) et la vente opaque de différentes filiales du groupe en mai 2019, voilà ce qui se trouve donc au coeur de ce moment judiciaire majeur. Un autre dossier concernant un délit d’initié concernant François Fornieri se trouverait aussi sur la table. L’homme fort de Mithra a été inculpé de détournement par personne exerçant une fonction publique et abus de biens sociaux, mais son avocat a déjà signifié qu’il n’avait rien à se reprocher et qu’il réclamerait sa libération.
Un contrecoup politique en vue?
Le gouvernement wallon a bel et bien voulu nettoyer les écuries dans ce dossier Nethys. « La Région a pris ses responsabilités en cassant les actes qui lui semblaient contraires à l’intérêt général et a transmis ces pièces à la justice », a confirmé vendredi Christophe Collignon (PS), ministre wallon des Pouvoirs locaux. « J’ai fait ce que je devais faire à l’époque et j’ai transmis à la justice les dossiers qui me semblaient pouvoir être des infractions pénales », avait souligné ce vendredi matin son prédécesseur à ce poste, l’actuel vice-Premier ministre fédéral, Pierre-Yves Dermagne (PS). Il reste à déterminer, désormais, ce qui sera effectivement de nature pénale.
Politiquement, il n’est en outre pas certain que tout le passif des affaires Publifin et Nethys soit complètement purgé. Ces dossiers sensibles ont impliqué beaucoup de monde et les confrontations actuelles, voire la descente aux enfers de certains, pourraient faire remonter d’autres éléments à la surface, avec, potentiellement, des inquiétudes qui pourraient croître au sein des fédérations provinciales des partis, au moins.
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