Sammy Mahdi à la tête d'un département très exposé. © ID/photo

Sammy Mahdi, secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration: le déconfinement migratoire

Ni victimisation ni stigmatisation: la ligne de crête du secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration Sammy Mahdi (CD&V) dans le dossier migratoire.

Derrière ou sans le masque, les yeux sourient. Le secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, Sammy Mahdi (CD&V), a pour lui la vivacité, la jeunesse (32 ans) et un parcours familial qui rappelle que 20% de la population belge, selon Statbel, a un parent étranger ou une première nationalité non belge. Né à Bruxelles d’un père musulman irakien venu faire des études d’hôtellerie en Belgique et d’une mère catholique flamande aux racines paysannes, il milite dans un parti démocrate-chrétien flamand après avoir étudié à la VUB (sciences politiques, droit international et européen). En 2019, il rate de peu la présidence du CD&V et hérite en octobre 2020 de la succession de Theo Francken (N-VA) à l’Asile et la Migration. Le Vif l’a rencontré, à son cabinet, alors que la migration et l’intégration reviennent dans l’actualité. Naufrage et disparition de 130 migrants au large de la Libye (l’agence européenne Frontex est critiquée pour son inaction) ; tractations pénibles avec la Turquie et la Libye pour retenir les migrants ; gestion au rabais des centres d’accueil de réfugiés aux mains du secteur privé ; refus du Maroc de reprendre Malika El Aroud, l’égérie du terrorisme islamiste déchue de sa nationalité belge ; expulsion de Flandre d’un imam turc homophobe, etc. Le secrétaire d’Etat a réussi jusqu’à présent à passer entre les balles, même quand il a évoqué un chantage à propos de l’occupation par des sans- papiers de l’église du Béguinage de Bruxelles.

Si demain, vous partez travailler en Allemagne ou aux Etats-Unis, il y a des règles à suivre.

« J’ai utilisé ce mot pour une seule et unique raison: ma crainte, au début d’une législature, de subir la pression d’acteurs qui commençaient à s’organiser et allaient entraîner dans l’occupation des grévistes de la faim, des femmes et des enfants. Les sans-papiers auraient été les premières victimes », assume-t-il. Comme tous les ministres de l’Asile avant lui, il défend le pouvoir de son administration de régulariser sur une base humanitaire. Une faveur. « Cela permet de venir en aide à des personnes très vulnérables qui n’entreraient pas dans des critères préétablis. » Au bout de quelques mois d’exercice, les avocats des étrangers (lire l’encadré ci-dessous) sont déçus. Ils auraient souhaité, par exemple, qu’en raison de la crise sanitaire, des soignants formés en Belgique et employés dans des maisons de repos (parfois en parfaite connaissance de leur illégalité… et de leur fragilité) puissent être régularisés. « Ces gens sont dans une vulnérabilité énorme, reconnaît Sammy Mahdi, mais l’argument selon lequel une femme de 40 ans qui a la pêche devrait être régularisée parce qu’on peut l’exploiter n’est pas recevable. Son cas relève de la politique de migration économique. Si, demain, vous partez travailler en Allemagne ou aux Etats-Unis, il y a des règles à suivre. » Le même langage qu’il a tenu à des travailleurs sans papiers des abattoirs d’Anderlecht qui mettaient en avant leur contribution positive à la société. « On a eu une discussion très enrichissante. La migration, c’est beaucoup plus qu’un papier. Il y a un humain derrière tout ça… » Ce n’est pas faute d’essayer de fluidifier les mécanismes de la migration économique. Sammy Mahdy est très fier d’avoir réussi à obtenir de douze ministres qu’ils apposent leur signature sur un accord de digitalisation du permis unique de travail. Il a aussi donné un an aux étudiants non européens pour trouver un job en Belgique après leurs études.

Le bénéfice du doute

Avocate et spécialiste du droit des étrangers à l’UCLouvain, Sylvie Sarolea regrette que des soignants n’aient pas obtenu un titre de séjour.

« Dès lors que la politique migratoire relève largement du droit de l’Union européenne, la marge de manoeuvre de la Belgique n’est pas énorme, sauf pour la régularisation ou l’immigration économique. Cela étant, chaque Etat peut faire entendre sa voix. Mon impression est que l’arrivée du nouveau secrétaire d’Etat n’a pas conduit à de grands changements, si ce n’est le ton qui se veut plus respectueux, moins stigmatisant. Pour ne citer qu’un exemple, le secrétaire d’Etat a déçu quand il n’a pas voulu ou, à tout le moins, n’a pas donné suite aux appels à octroyer des titres de séjour au personnel soignant formé par la Belgique, notamment dans les maisons de repos. Là, il avait une carte à jouer pour montrer que lutter contre l’illégalité, c’est aussi donner à un titre de séjour lorsque cela paraît juste, utile et répondant à des besoins réciproques. Pour le permis unique de travail, le cercle vicieux existe toujours. Sans travail, pas de séjour, sans séjour, pas de droit au travail. Les administrations régionales restent frileuses, avec des listes très strictes de métiers en pénurie. Le code migratoire est une bonne chose. Cela va faciliter le travail des autorités, des magistrats, avocats et ONG. Encore faut-il qu’il puisse y avoir des adaptations de fond pour faciliter la vie des migrants et assurer la protection effective de leurs droits. Par ailleurs, si l’on veut faire avancer la politique de retour volontaire, il faut organiser des guichets migratoires bénéficiant d’une immunité totale. Si le message se limite à dire « Ne restez pas », cela ne crée pas la confiance. Néanmoins, à ce stade, je laisse à Sammy Mahdi le bénéfice du doute. »

Moins clivant que Theo Francken

Sur le plan de la communication, Sammy Mahdi est à l’opposé de son prédécesseur, Theo Francken, dont il évite d’évoquer l’héritage. En réalité, la politique migratoire de la Vivaldi n’est pas fondamentalement différente de la précédente. Le pays cherche toujours à maîtriser ses frontières à l’abri du « bouclier européen » (lire l’encadré ci-dessous). Un « stock » de quelque 100 000 illégaux, d’après les ONG, se serait reconstitué sur le territoire. Aucun doute ne plane sur le fait qu’il n’y aura pas de régularisation collective comme en 1999 et 2009. « Le combat contre le séjour irrégulier est un combat qu’on doit mener tous ensemble, de la gauche à la droite, car il fragilise la solidarité avec les personnes qui ont droit à une protection internationale », plaide le secrétaire d’Etat. En revanche, le gouvernement promet de donner une réponse plus rapide aux demandeurs d’asile et de faire exécuter les décisions de retour, si possible, volontairement. Entre 2015 et fin 2020, 130 Salvadoriens sont rentrés chez eux de leur plein gré. Une exception plutôt que la règle.

Je ne me contente pas de mettre de l’essence, je remplace le moteur.

Et donc, les procédures et propos de rupture, c’est fini. « Par respect pour l’Etat de droit », le secrétaire d’Etat n’a pas fait appel de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme condamnant la Belgique pour l’expulsion d’un demandeur d’asile soudanais. Il veut bannir les « émotions vénéneuses et négatives », « parler peu mais clairement », accompagner les personnes migrantes « dès le début de leur procédure », sans perdre de vue « l’inquiétude de la population dont les repères ont été bouleversés ». Il tient quelques savoureux propos sur les soixante-huitards – « je les adore » – qui ne voient pas où est le problème. Lors de la formation du gouvernement, le CD&V est allé chercher 100 millions d’euros pour la politique de migration contrôlée. Le 22 avril dernier, le Conseil des ministres a approuvé l’utilisation d’une première tranche de 35 millions d’euros.

Ses petites phrases sur l’Europe

  • « Dans toute l’Europe, il y a des centaines de milliers de personnes qui viennent, qui n’ont pas droit à la protection internationale et qui y restent. Il faut faire en sorte que toute personne qui arrive en Europe avec un réel besoin de protection puisse y vivre et s’intégrer. Si ce n’est pas le cas, dès la frontière, il faut qu’il y ait une politique de retour. »
  • « L’Europe doit construire des relations positives avec les pays d’origine. Bien trop longtemps, elle ne l’a pas fait. Renforcer nos pays voisins, comme ceux du Maghreb, c’est renforcer l’Europe. »
  • « Si on connaît encore une crise migratoire comme celle de 2015, je crains que l’Union européenne soit tellement bousculée qu’elle ne tombe tout à fait. »
  • « La Commission et les Etats membres ont adopté mon idée de faire un exercice de simulation qui permettra de dépasser la discussion philosophique sur la solidarité et la responsabilité. Combien de personnes arrivent à la frontière (hypothèses haute et basse), combien faut-il de personnel pour les screener, comment accélérer les procédures? »
  • « Cela m’attriste et me fâche de voir des personnes noyées en Méditerranée parce que Frontex n’aurait pas fait son devoir. On est obligé de repousser des personnes dont certaines ont un réel besoin de protection. Ce n’est pas ça, les valeurs européennes. »
  • « Le code des visas donne des leviers à l’Europe pour infliger des « sanctions visa » à certains pays qui ne veulent pas reprendre leurs ressortissants. Aujourd’hui, le bilatéral domine. C’est une position de luxe pour les pays d’origine car ils peuvent organiser une négociation à 26 reprises. »

« Je ne me contente pas de mettre de l’essence, je remplace le moteur », annonce-t-il triomphalement. Depuis la crise migratoire de 2015, la Belgique « ne gère plus rien, car elle n’en a pas les moyens. Des centres d’asile ont été ouverts, fermés, ce que j’appelle la politique yo-yo, un peu de tout et n’importe quoi. Les demandeurs d’asile qui ont obtenu une réponse en 2020 l’ont attendue en moyenne pendant treize mois, parfois deux ans, avec sept mois supplémentaires en cas de recours. Son objectif est de ramener la procédure à six mois. « Dès leur premier contact avec les services d’asile et de migration, il faut garantir aux demandeurs un accompagnement par des humains, sans leur cacher que l’issue sera peut-être négative, ajoute Sammy Mahdi. J’ai demandé à Fedasil (NDLR: l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile) de voir si des demandeurs d’asile ayant les compétences requises ne pouvaient pas travailler dans le secteur des soins. Pendant le premier lockdown, certains ont participé à la cueillette des fruits et légumes. Cela ne va pas avoir un impact sur la réponse à leur demande, mais peut-être auront-ils acquis des compétences avec lesquelles ils pourront construire leur vie, soit dans leur pays d’origine, soit en Belgique. »

Les sans-papiers occupent l'église du Béguinage, à Bruxelles, pour réclamer leur régularisation.
Les sans-papiers occupent l’église du Béguinage, à Bruxelles, pour réclamer leur régularisation.© belga image

Quatre service boostés

Concrètement, quatre services vont être audités et boostés: l’Office des étrangers, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (indépendant), Fedasil et le Conseil du contentieux des étrangers (juridiction administrative indépendante qui travaille encore avec le fax et qui pourra s’appuyer sur sa propre jurisprudence en ligne). « Si vous voulez contribuer à la gestion de la migration, rejoignez l’équipe Mahdi! » lance le ministre. 700 postes sont à pourvoir, soit une augmentation de 25% des effectifs de « la chaîne d’asile ».

En première ligne, l’Office des étrangers (OE) procède à l’enregistrement et à une première orientation des demandeurs sur la base du règlement de Dublin qui oblige le migrant à introduire sa demande dans le pays d’arrivée. La crise sanitaire ayant gelé les mouvements de population, l’OE a pu commencer à résorber son retard. D’où l’engorgement actuel au niveau du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) qui, sur la base d’un examen plus approfondi, décide qui a droit à une protection internationale. Des engagements vont avoir lieu au CGRA (51), à l’OE (10) et chez Fedasil (10), où les petites structures d’accueil seront privilégiées, en veillant à ce que les mineurs non accompagnés ne s’évanouissent pas dans la nature, récupérés par les passeurs ou les trafiquants d’êtres humains. « Les mégacentres regroupant plus de 700 demandeurs d’asile ne sont utiles à personne, indique Sammy Mahdi. Avec un accueil à petite échelle, nous pouvons réaliser beaucoup plus facilement la cohabitation et l’intégration. » Les communes sont invitées à faire remonter leur expérience.

Pour le regroupement familial, nous ne sommes pas optimistes.

A l’Office des étrangers, le personnel du service Sefor (Sensibilisation Follow up and Return) va être doublé (92). Chaque année, 15 000 personnes reçoivent un ordre de quitter le territoire après un contrôle de police. « Sans accompagnement ni suivi, ce bout de papier n’a que peu de valeur. On ne sait pas ce qui se passe après », regrette le jeune secrétaire d’Etat. Les équipes outreach (14) vont continuer à aller au contact des migrants pour discuter d’une solution de rapatriement, d’asile ou de retour à leur pays d’arrivée. A l’Office des étrangers, le personnel du service des « dublinés » sera doublé (64). En 2019, la Belgique a transféré 852 demandeurs d’asile sur les 7 058 personnes potentiellement concernées par l’application du règlement de Dublin, si critiqué soit-il.

Le regroupement familial est, avec l’asile, la voie légale d’immigration la plus utilisée en Belgique. Selon la Cour des comptes, de nombreux regroupements familiaux ont été accordés automatiquement par l’Office des étrangers au bout des six mois, faute de personnel suffisant pour les contrôler. Là, le renfort en personnel sera de 48 personnes.

En guise d’héritage, Sammy Mahdi veut aussi laisser un code de la migration qui permettra aux professionnels et aux particuliers de s’orienter dans la jungle légale et réglementaire qui caractérise la matière: la loi sur les étrangers a été modifiée 109 fois depuis 1980, dont 40 fois pendant les six dernières années. Présidée par Luc Leboeuf (Max Planck Institute, UCLouvain) et Dirk Vanheule (université d’Anvers), une commission est chargée de lancer de vastes consultations et de faire des propositions pour aboutir à un code de la migration clair et pratique. Cela fait neuf ans qu’on en parlait…

Chute des demandes d’asile en 2020

La crise sanitaire a ralenti les migrations internationales, mais aussi l’examen des demandes d’asile.

Premières demandes d’asile

  • 2019: 23 379
  • 2020: 13 105

Demandes multiples

  • 2019: 4 363
  • 2020: 3 805

Demandeurs d’asile en attente d’une réponse

  • Janvier 2019: 16 390
  • Janvier 2020: 25 194
  • Mars 2021: 23 145

Pourcentage de décisions négatives à la demande d’asile (CGRA)

  • 2019: 63,1%
  • 2020: 65,9%, mais 52,7% si l’on ne tient compte que des premières demandes.

Retours volontaires

  • 2019: 2 559
  • 2020: 1 956

Retours forcés

  • 2019: 3 743 (+ 2 318 refoulements à la frontière)
  • 2020: 2 098 (+ 808 refoulements à la frontière). Le lockdown de mars, avril et mai 2020 a entraîné une diminution de l’arrivée de demandeurs d’asile par voie aérienne.

Sans-papiers

Le nombre de personnes en séjour illégal est inconnu. Selon les ONG, il oscillerait entre 100 000 et 150 000 personnes.

Contrôles de sans-papiers par la police

  • 2019: 3 651
  • 2020: 3 548

Regroupement familial

– Au départ d’un pays étranger (délivrance d’un visa de regroupement familial).

  • 2019: 10 043
  • 2020: 8 170

– En Belgique

  • 2019: 40 084, dont 17 608 concernant des ressortissants de l’Union européenne et 22 476 autres (dont les personnes qui sont entrées en Belgique avec un visa D de long séjour).
  • 2020: les statistiques n’ont pas encore été publiées.

Permis de travail donnant lieu à un séjour légal

  • 2019: 4 887 (nouveau) + 9321 (prolongation)
  • 2020: 4 273 (nouveau) + 8710 (prolongation)

Source: cabinet du secrétaire d’état à l’Asile et la Migration

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