Sabena : les patrons en correctionnelle pour du « black » aux Bermudes
Audience hors normes, ce jeudi à la chambre du conseil de Bruxelles, pour une étape importante des enquêtes liées à la défunte Sabena. Celle liée aux salaires de hauts cadres, payés au noir via la Sabbel, une très discrète filiale offshore, vaut à quatre d’entre eux, dont Pierre Godfroid et Patrick du Bois, d’être renvoyés au tribunal. Une singulière histoire…
La chambre du conseil de Bruxelles a décidé, ce jeudi, d’envoyer se faire juger au tribunal correctionnel Pierre Godfroid, ancien administrateur délégué de la défunte Sabena, Patrick du Bois, qui en fut le dernier secrétaire général, son prédécesseur, Jan Ghyssaert, ainsi que l’ex- directeur opérationnel, Gery Daeninck (quatre inculpés ont obtenu le non-lieu, un autre étant décédé entre-temps, s’agissant de l’ancien directeur général Paul Reutlinger). Or s’ils restent présumés innocents, il faut admettre que l’enquête judiciaire les ayant amenés là n’avait pas manqué de sel.
En passant par New York
Tout avait commencé durant l’été 2004. Un cadre sabenien avait souhaité bénéficier de la première « DLU », cette Déclaration libératoire unique permettant le rapatriement en Belgique (à moindres frais fiscaux) de pactoles indûment placés à l’étranger. Mais le montant en cause était à l’évidence anormalement élevé et sa provenance, injustifiable. Interrogé, il avait reconnu avoir profité d’un système de rémunération occulte instauré par la compagnie aérienne dès le début des années 90. Le juge d’instruction bruxellois Jean-Claude Van Espen, par ailleurs saisi d’une plainte à ce sujet en 2001, ainsi que ses enquêteurs, avaient d’abord réussi à remonter un pan luxembourgeois de la filière, où il était question de « salaires spéciaux », qui auraient été payés à trente-cinq sabeniens influents… pendant des conflits sociaux ! Puis, en 2007 et à leur grande surprise, le juge et les policiers mettaient un autre versant de la combine au jour. Celui-là passait par les Bermudes…
C’est là qu’était établie la « Sabbel Insurance Ltd », une filiale de la Sabena constituée en 1991. Elle avait pour objet social la gestion des risques liés aux activités non aériennes de la Sabena. Il s’agissait par exemple de couvrir, à raison de 13,5 millions de dollars, son hôtel rwandais des Mille Collines, à Kigali. Ce qui avait fait tiquer le juge, c’était que, à cinq reprises au moins, Sabbel avait reçu de la Sabena des primes annuelles de 1.350.000 dollars, mais par le truchement de la Bank of Bermuda, à New York. Etrange. Et inutilement compliqué pour des versements normaux, avait-il dû se dire.
Sabfin et Sabin
D’où de nouveaux interrogatoires, dont celui d’un ancien dirigeant qui allait avouer qu’il s’agissait de payer des membres du Comité de direction en « black ». Mis sur la sellette, Pierre Godfroid avait expliqué que, au moment de renouveler en partie l’équipe de direction, il n’avait « pas pu embaucher à leur valeur de marché » ses nouveaux hauts cadres. D’où le supplément au noir, que couvrait en réalité une partie des « primes ». Supplément qui fut du reste finalement accordé aussi aux cadres plus anciens. Bref, à l’arrivée, les intéressés recevaient chacun l’équivalent de 12.500 à 37.500 euros par an. Au total, la manne avait été estimée à 2,4 millions d’euros, versés à l’abri de tout regard du fisc.
Toutefois, le procès pourrait mettre en lumière le rôle d’autres offshores citées durant l’enquête, comme « Sabfin Aircraft Finance » et « Sabin Promozioni ». Ont-elles été utilisées à des fins similaires, gonflant la valeur globale des flux financiers anormaux ? Les juges se pencheront aussi sur des assurances-vie (trop) copieuses reçues par les anciens responsables de la Sabena (via Axa Luxembourg qui, elle, n’est plus à la cause depuis peu, grâce au paiement d’une transaction de plusieurs millions d’euros).
On oublie les Airbus
Le total général des malversations atteint-il quelque 10 millions d’euros, comme on le disait en 2008 ? Pour le savoir, rendez-vous au tribunal où, à moins d’un appel victorieux contre ce renvoi, les inculpés vont devoir tout expliquer (sauf l’achat de 34 Airbus en 1997, l’instance d’instruction estimant disposer de trop peu d’éléments pour un renvoi au tribunal). On sait en tout cas déjà que Patrick du Bois, qui fut aussi administrateur de la Sabbel, regrette pour sa part d’avoir accepté une assurance-vie qui lui avait été « présentée comme légale et conforme au Code des impôts », ainsi qu’il l’expliquait dans la presse, dès 2007. Quant à Pierre Godfroid, il a sans doute subi la pression de plein fouet, jeudi à la chambre du conseil, du moins selon l’agence Belga qui a noté qu’il fut victime d’un malaise, heureusement sans gravité.
Roland Planchar
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