Roger Lybaert, pensionnaire d’une maison de retraite: « Pourquoi je ne peux plus sortir ? »
« La liberté n’est un droit que pour les moins de 80 ans », écrit Roger Lybaert (89 ans), pensionnaire d’une maison de repos. Pour lui, sous couvert de la pandémie ainsi que de leur bien-être mental et physique, on exclut les octogénaires et les personnes âgées de la société.
« La liberté est un droit acquis après de nombreuses guerres sanglantes et des combats incessants. Des gens ont donné leur vie pour cela. La liberté était le bien le plus précieux. Jusqu’à aujourd’hui », écrit Roger Lybaert.
Voici le cri du coeur d’un résident d’une maison de repos :
Ce qui se passe aujourd’hui avec l’arrivée de la pandémie de covid19 et sous couvert de notre bien-être mental et physique est une excuse pour retirer les personnes âgées de quatre-vingts ans et plus de la société. On ne doit pas trop s’en préoccuper. Ils sont, comme on dit, des produits périmés.
Il suffit de les placer dans des maisons de retraite et de soins. S’ils tombent malades à cause du Corona, on les laisse mourir tranquillement. Et s’ils contractent une autre maladie, on les place en gériatrie. On ne cherche plus à les soigner et ne les considère pas comme des patients. Après tout, leur temps est venu depuis longtemps.
Même leur bien le plus précieux, la liberté, leur est enlevé en silence par la même société qui l’a défendue à l’époque dans les guerres. La liberté n’existe plus que pour les plus jeunes. Après tout, une fois que quelqu’un a quatre-vingts ans, il n’a plus rien à dire. La contribution des personnes de cet âge à la communauté étant pratiquement nulle, leur présence est négligeable.
Vous voulez savoir qui fait cette complainte ? Quelqu’un qui vit avec sa femme dans un centre d’hébergement. J’ai moi-même eu la Corona il y a quelques mois. J’étais très malade, je pensais que je ne m’en sortirais pas, mais je m’en suis sorti.
Pas moins de 22 de mes voisins n’ont pas eu cette chance et sont morts du virus. Ils ont brutalement disparu. Pendant ce temps, nous étions coincés ici pendant des mois. Quelle ne fut pas ma joie quand nous avons obtenu un peu plus de liberté cet été. J’ai pu aller au magasin avec ma belle-soeur et nos enfants ont été autorisés à revenir dans notre chambre.
Hélas ! Elle va être de courte durée. Il n’aura pas fallu beaucoup plus d’une semaine pour que ce petit bout de liberté nous soit à nouveau retiré. Maintenant, je ne peux à nouveau plus quitter la maison de repos. Les seules personnes que je suis autorisé à voir, de loin dans la cafétéria, sont celles qui font partie de ma bulle de cinq. Alors que j’ai six enfants.
Mais j’ai déjà 89 ans. Alors, chers amis, abandonnez-moi dans un centre d’hébergement ou en gériatrie, en silence et sans bruit. Vous ne m’entendrez ni ne me verrez et votre propre liberté n’en sera pas limitée. De quoi te plains-tu, mon vieux ? Tais-toi et meurs.
Notons que ce message de détresse ne vient pas d’une personne qui ne se plaît pas en maison de retraite. Au contraire. Lorsque, il y a seulement un mois et demi, Ann Peutemans, journaliste du Knack, le rencontre pour son livre consacré au fait qu’il pouvait être merveilleux de vivre dans un centre de soins résidentiel, Roger Lybaert est plutôt heureux de son sort.
Assis à la table à manger de sa chambre située dans une maison de repos de la province d’Anvers, où il vit avec sa femme depuis près de deux ans, il lui explique que sa vie n’est pas si mal. « Je n’ai pas du tout le sentiment d’avoir dû renoncer à une partie de ma liberté. Au contraire. Si je demande quelque chose, que ce soit un chevalet pour peindre ou un emplacement pour mon scooter adapté, ils feront tout leur possible pour l’organiser pour moi. » De cet optimisme affiché, il ne reste presque rien quelques semaines plus tard. La deuxième vague de Corona est le coup de trop pour Lybaert, comme pour tant d’autres résidents de maisons de repos.
Que trouvez-vous le plus difficile dans les restrictions liées au Corona ?
Roger Lybaert : Que je ne suis plus autorisé à sortir. Ma belle-soeur venait me chercher tous les mercredis pour faire des courses ensemble, et parfois je conduisais mon scooter au village ou au supermarché. Ces bulles d’air me permettaient de tenir bon. Elles m’ont beaucoup manqué lorsque durant le printemps nous n’étions pas autorisés à sortir à cause du Corona. Et puis j’ai eu le covid-19 moi-même. Pendant une semaine, j’ai été très malade. Au point qu’à, un moment, j’ai même cru que j’allais mourir. Heureusement, petit à petit, je me suis remis. J’ai eu de la chance, car vingt-deux autres résidents sont morts de cette maladie.
Tout le monde a perdu de sa liberté, non ?
Oui, sauf que les plus jeunes peuvent encore aller au magasin, par exemple. Ils peuvent aussi choisir de ne pas suivre certaines règles ou de les ignorer toutes. Il y a même des gens qui voyagent dans des pays ayant un code rouge et qui ne se sentent pas obligés de se mettre en quarantaine pendant deux semaines à leur retour. Ça, c’est irresponsable. Pourquoi quelqu’un comme moi, qui a déjà eu le Corona et qui a des anticorps contre le virus dans son sang, ne pourrait-il pas sortir un peu ?
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