Carte blanche
Réviser le mandat de la BCE pour un monde post-covid juste et durable (carte blanche)
Des acteurs de premier plan du monde associatif dénoncent la mauvaise orientation de ces milliards injectés pour sauver l’économie, sans conditions sociales ou environnementales.
Dans le cadre de la consultation de la société organisée par la Banque nationale de Belgique sur la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) dans le contexte de la crise du coronavirus, un collectif de signataires appellent à réviser le mandat de la BCE pour que la stabilité financière, le plein-emploi et la neutralité carbone deviennent des objectifs aussi importants que la stabilité des prix.
A l’heure où on s’enfonce toujours plus dans la crise économique, la Banque centrale européenne (BCE) injecte plusieurs milliards par jour dans le monde des banques et des investisseurs. En 2020, ce n’est pas moins de 5 milliards par jour qui ont été injectés par la BCE au seul titre de programme d’urgence face à la pandémie. 1850 milliards ont ainsi été ajoutés en 2020 pour financer les dettes des Etats et des entreprises, auxquels s’ajoutent plus de 1300 milliards pour refinancer les banques à des taux négatifs. Bien que nécessaires pour assurer la solvabilité des acteurs économiques, ces milliards injectés sans condition sociale ou environnementale ont pour effets collatéraux de renforcer les inégalités et les risques financiers et climatiques. Avec un fonctionnement plus démocratique et un mandat révisé, cette injection massive de fonds pourrait servir l’intérêt général et le bien commun.
Le programme d’achats d’actifs de la BCE sert à acheter des titres d’entreprises et d’Etats à des banques ou investisseurs. Ces mesures exceptionnelles et au départ vues comme temporaires avaient été prises au lendemain de la crise de 2008 pour ramener un semblant de stabilité financière. Mais il n’a jamais été possible, depuis, de couper le robinet monétaire.
La crise sanitaire a fait trembler la bourse en février et mars 2020, plus encore que lors de la précédente crise bancaire. Les investisseurs, banquiers et autres multinationales cotées en bourse, ainsi que les gouvernements contraints de dépenser sans compter, savaient pertinemment que seules les banques centrales pourraient garantir leur solvabilité. La Présidente de la BCE, Christine Lagarde, a dû décider d’ouvrir plus encore le robinet en mars, ainsi que l’été dernier et encore en décembre. Pour un total de plus de 3150 milliards en 2020, donc.
Alors qu’en Belgique, la valeur des biens et services (le PIB) risque de chuter de 7% en 2020, qu’on prévoit 100.000 chômeurs de plus l’an prochain, que les déficits publics explosent et que tout le monde envisage avec effroi ce qui se passerait si les exécutifs coupaient les mesures de soutien exceptionnelles, la bourse bat de nouveaux records et les riches sont toujours plus riches. Moins parce qu’ils seraient des entrepreneurs de génie ou pour leur contribution à la communauté que parce que les milliards injectés trouvent rapidement leur voie vers les profits à court terme.
La BCE injecte en effet ces milliers de milliards sans la moindre conditionnalité sociale ou environnementale. Une fois qu’ils atterrissent dans les mains des investisseurs, ceux-ci en font ce qu’ils veulent. Investir dans les énergies fossiles? OK. Investir sur les marchés boursiers et immobiliers et créer des bulles financières qui exacerbent les risques financiers et les inégalités? C’est possible. Financer des entreprises qui piétinent les droits humains? Pourquoi pas.
Souvent, l’argent reste hors de l’économie réelle. Les entreprises qui ont la taille permettant à la BCE d’en acheter les titres peuvent accéder au crédit facilement. Shell, par exemple, a pu emprunter pour racheter ses propres actions, petite astuce pour faire grimper le cours de l’action. Toujours tolérée par la BCE. Et ce alors que nombre d’indépendants ou PME qui maintiennent à peine la tête hors de l’eau ont difficilement accès au crédit.
Entre les deux mondes, celui des ultra-riches et celui des autres, ceux qui profitent de ces injections massives d’argent frais via la hausse des prix des actifs financiers et les autres, les inégalités se creusent.
Ce 22 janvier, la Banque nationale de Belgique (BNB), sorte de succursale belge de la BCE, a organisé un événement, « La BNB à votre écoute ». Celles et ceux qui le souhaitent pouvaient remplir un questionnaire en ligne et un certain nombre d’organisationsont eu droit à une courte intervention lors de la table ronde. Puis la BNB disposera. Ni les citoyens, ni les élus n’ont voix au chapitre quant au processus de consultation. Ce qui vaut d’ailleurs pour l’ensemble des activités de la banque centrale, parfaitement indépendante. Vu les milliers de milliards en jeu, ce manque de contrôle démocratique semble inacceptable.
Certes, la politique monétaire ne peut pas tout et il faudra bien aborder la question de la justice fiscale et, en particulier, celle de la contribution au budget de l’Etat de ceux qui ont les épaules les plus solides. Parallèlement, les règles budgétaires européennes devront être revues pour promouvoir les investissements durables. Mais il est l’heure d’affirmer haut et fort que les milliards massivement injectés par la BCE doivent bénéficier à l’ensemble de la société et être davantage investis dans la transition juste et durable.
Pour cela, il faut se donner les moyens de fixer démocratiquement les priorités. Autant les banques centrales doivent rester indépendantes dans le choix des instruments monétaires, autant les objectifs de la politique monétaire sont une question éminemment démocratique. C’est pourquoi il est urgent de demander au Parlement et au Conseil européens, d’une part, de modifier le mandat de la BCE pour que la stabilité financière, le plein-emploi et la neutralité carbone deviennent des objectifs aussi importants que la lutte contre l’inflation et, d’autre part, de renforcer le contrôle démocratique des politiques menées. Les deux doivent se faire simultanément et conjointement. Aujourd’hui et par construction, le mandat de la BCE est réduit et son indépendance totale. Si l’on veut se donner davantage de moyens de construire un monde juste et durable, il faut élargir le mandat de la BCE et rendre plus démocratique son fonctionnement.
Bernard Bayot, directeur de Financité ; Christophe Cocu, directeur général de la Ligue des Familles ; Valérie Del Ré, directrice de Greenpeace ; Edouard Delruelle, président de Solidaris ; Jean-Philippe Ducart, Manager Public Affairs & Media Relations de Test-Achats ; Ariane Estenne, présidente du MOC ; Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté ; Sylvie Meekers, secrétaire générale d’Inter-Environnement Wallonie ; Céline Nieuwenhuys, secrétaire générale de la Fédération des Services Sociaux ; Luc Van Gorp et Elisabeth Degryse, président et vice-présidente de la Mutualité chrétienne ; Nicolas Van Nuffel, président de la Coalition Climat ; Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11.
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