Resa : marché d’huissier, marché truqué ?
Le parquet de Liège vient d’ouvrir une information judiciaire à l’encontre de Resa, dans le cadre d’un dossier d’attribution de marché public à un bureau d’huissiers. A l’initiative du ministre des Pouvoirs locaux. L’intercommunale aurait-elle délibérément orienté la procédure pour favoriser un candidat ?
L’appel d’offres fut publié le 13 décembre 2018, avec obligation de rentrer un dossier pour le 28 décembre. Un fameux cadeau de Noël pour le bureau qui allait décrocher le contrat. Du genre à 800 000 euros hors TVA, ce contrat avec Resa. Des gens qui n’honorent pas leurs factures énergétiques, il y en a un paquet. Du boulot pour les huissiers, du coup, aussi.
Jusqu’alors, c’est l’étude Bordet qui se chargeait de réclamer les impayés. Une grosse structure établie à Angleur, à près de 15 millions d’euros de chiffre d’affaires et 74 équivalents temps plein. Une collaboration qui durait depuis 2005, renouvelée d’année en année sans passer par une procédure de marché public. Jusqu’à ce 13 décembre 2018, donc, lorsque le gestionnaire des réseaux de gaz et d’électricité, qui venait de s’autonomiser de Nethys, décida de lancer cet appel d’offres portant sur le recouvrement de créances à l’amiable. » Il n’y avait jamais eu de marché depuis quinze ans et nous voulions nous remettre dans les clous de la bonne gouvernance « , explique Gil Simon, directeur général de Resa. Trois bureaux d’huissiers avaient répondu à l’appel. Bordet, logiquement candidat à sa propre succession. Le liégeois Interventus, PME aux 42 ETP. Et Paul Tintin, structure de 18 ETP basée à Durbuy (qui rendra finalement offre en association avec l’huissier Sinatra).
Recalé par le Conseil d’Etat
Joyeuses fêtes, Paul Tintin ! Le plus petit remporta la mise. Et le plus cher, même si son offre (environ 400 000 euros) était plus avantageuse que les 800 000 euros estimés. Le marché lui fut officiellement attribué le 21 juin 2019. Les deux autres offres furent déclarées nulles ou anormalement basses. Sauf qu’un tel cadeau, ça se dispute, forcément. Dès juillet, l’étude Bordet introduisit un recours en suspension d’extrême urgence devant le Conseil d’Etat. Les motifs sont techniques (s’appuyant, pour simplifier, sur la méthode choisie pour remettre prix), mais toujours est-il que le Conseil d’Etat finit par donner raison au soumissionnaire déçu et à ordonner, le 31 juillet, la suspension de la décision de Resa de considérer son offre comme irrégulière. Une procédure en annulation est toujours en cours.
Entre-temps, le 2 juillet 2019, l’intercommunale liégeoise lança un autre marché public, concernant, cette fois, le recouvrement judiciaire. Bordet, qui assumait également ce volet jusqu’alors, ne fut plus du tout sollicitée, Resa estimant que la confiance était rompue en raison de l’offre précédente, jugée anormalement basse. L’intercommunale consulta quatre bureaux, dont celui de Paul Tintin. A qui le marché fut finalement attribué, dix jours plus tard, pour une durée de dix ans, prolongeable cinq ans. Presque Noël en été.
Recalé par la tutelle
L’étude Bordet porta cette fois une plainte auprès du ministre de tutelle en charge des Pouvoirs locaux, Pierre-Yves Dermagne (PS). Qui, le 4 octobre dernier, décida d’annuler l’attribution de ce marché. » Même si, légalement, aucune disposition ne vous oblige à consulter un nombre déterminé d’opérateurs économique, vu le nombre d’huissiers actifs sur le territoire de Liège, Resa aurait pu procéder à la consultation d’autres études […] « , justifie le ministre dans son arrêté, que Le Vif/L’Express a pu consulter. Ajoutant, ensuite, qu’une durée potentielle de quinze ans est » excessive » et qu’aucun motif avancé ne peut justifier une si longue absence de remise en concurrence, qui » pourrait nuire à l’intérêt [de l’intercommunale]. La mise en garde est d’autant plus pertinente que le contexte légal du marché de l’énergie va changer et donner lieu à une diminution assez importante du nombre de créances à récupérer. »
Le ministre de tutelle (il ne s’agirait pas de Pierre-Yves Dermagne, mais de sa prédécesseure MR, Valérie De Bue) a également transmis le dossier au parquet de Liège, qui vient d’ouvrir une information judiciaire, diligentée par le juge Luc Pasteger. L’enquête devra déterminer si l’attribution du marché amiable aurait été volontairement orientée par Resa en faveur de Paul Tintin.
Gil Simon se dit » serein « , souligne que les recours sont fréquents en cas d’attribution de marchés publics et précise que Resa, conseillée par son cabinet d’avocat, étudie la possibilité d’introduire un recours en annulation devant le Conseil d’Etat concernant la décision de Pierre-Yves Dermagne. En attendant, l’étude de Paul Tintin a commencé à gérer les recouvrements amiables et judiciaires.
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