Reforme du marché du travail: les fausses bonnes idées de la semaine des 4 jours (analyse)
Annoncée en octobre dernier, la semaine des quatre jours vient d’être confirmée par le gouvernement fédéral dans le cadre de la réforme du marché du travail, présentée ce mardi. Censée améliorer le délicat équilibre entre vie de famille et vie professionnelle, cette mesure suscite toutefois de nombreuses craintes quant à d’éventuels effets pervers. De la hausse du travail au noir à l’incitation à rechercher un travail supplémentaire. Analyse.
C’est l’une des annonces phares de la réforme du marché du travail, annoncée en octobre dernier par la Vivaldi et confirmée ce mardi en conférence de presse: la fameuse semaine des quatre jours. Soit permettre aux salariés qui le souhaitent de prester leur semaine de trente-huit heures en quatre jours au lieu de cinq, soit quatre fois 9,5 heures. Les partenaires sociaux doivent encore en définir les modalités. Meilleure scission entre vie privée et professionnelle, gain de productivité, droit à la déconnexion, réduction du nombre de déplacements domicile-travail au bénéfice de l’environnement… Tels sont les arguments avancés par les partisans de la mesure, dont les socialistes et les libéraux se disputent la paternité, mais déjà évoquée en 2018 par l’ex-président du CDH, Benoît Lutgen. Elle est également soutenue par la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), l’Union des classes moyennes (UCM) et le Syndicat neutre pour indépendants (SNI).
Derrière cette annonce, il y a l’idée d’adapter le temps de travail à la conception d’une société multijob à l’américaine.
Elle est toutefois loin de faire l’unanimité, y compris dans la coalition Vivaldi. En octobre dernier, la ministre fédérale de l’Environnement, Zakia Khattabi (Ecolo), avait d’emblée indiqué que son parti soutenait le principe d’une réduction du temps de travail, mais pas d’un aménagement de celui-ci. De son côté, le ministre de l’Economie, Pierre-Yves Dermagne (PS), défend la mesure si elle repose sur une base volontaire. Contrairement à son président de parti, Paul Magnette: « On est évidemment pour la semaine de quatre jours, résumait-il lors d’un récent direct sur la plateforme vidéo Twitch. Mais pas quatre jours de neuf heures et demie. Ce sont des journées beaucoup trop longues d’autant que, en moyenne, les Belges passent presque une heure et demie par jour dans les transports entre leur lieu de vie et leur lieu de travail. » Une critique partagée, notamment, par la FGTB, la CSC ou encore la Ligue des familles.
Hausse du temps de travail?
Censée concentrer le temps de travail, la semaine de quatre jours version belge pourrait pourtant mener à une hausse du nombre d’heures prestées par certaines personnes. Ouvrier du lundi au jeudi, livreur de pizzas le vendredi? « En proposant cette mesure, le gouvernement veut, en fait, permettre aux gens de travailler ailleurs un jour par semaine, relève Bruno Bauraind, chercheur au Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative (Gresea). On risque d’assister à une augmentation du temps de travail pour certaines personnes ayant un emploi précaire. Derrière cette annonce, il y a l’idée d’adapter le temps de travail à la conception d’une société multijob à l’américaine: si vous voulez faire deux jobs, on vous donnera le temps de le faire. »
Juriste au Centre de connaissances d’Acerta, spécialisée dans les services RH, Olivier Marcq pointe également le recours potentiellement accru au travail au noir: « On sait que bon nombre de personnes travaillent déjà au noir le week-end dans certains secteurs. La semaine de quatre jours pourrait accentuer cette concurrence déloyale. »
Perte de productivité?
« Il ne faut pas être grand clerc pour se rendre compte que plus les journées s’allongent, plus la productivité baisse« , critiquait Thierry Bodson, le président de la FGTB, dans La Libre, le 8 octobre. Là où certains entrevoient un gain de motivation et de productivité en travaillant quatre jours au lieu de cinq, même au prix d’horaires plus longs, d’autres pointent, au contraire, le risque d’une baisse de la productivité ou de la qualité du travail effectué.
Il ne faut pas être grand clerc pour se rendre compte que plus les journées s’allongent, plus la productivité baisse.
Dans les métiers physiques, évidemment, mais aussi au bureau: déjeuner au travail, y effectuer plus de démarches ou de recherches privées, subir les dernières heures de la journée… Logiquement, cette question de la productivité est également apparue dans le cadre du recours au télétravail, qui s’est accru à la faveur de la crise sanitaire. « Bien sûr, il y aura toujours des abus. Mais dans les études que nous avons menées, on s’est plutôt rendu compte que la productivité augmentait, en règle générale, avec le télétravail, nuance Olivier Marcq. Les journées de neuf heures et demie pourraient d’ailleurs davantage se prêter à celui-ci, puisque la personne gagne son temps de déplacement domicile-lieu de travail. En termes de fatigue et de charge mentale, cela posera moins de problèmes. »
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Manque de main-d’oeuvre?
Autre zone d’ombre: certains employeurs risquent-ils de manquer de personnel lors des journées libres les plus prisées par les travailleurs optant pour la semaine de quatre jours? D’une part, parce qu’il est probable que ces derniers choisissent massivement le lundi ou le vendredi, ce qui complique la donne pour les acteurs publics ou privés accessibles cinq jours par semaine. De l’autre, parce que ces mêmes travailleurs pourraient logiquement consacrer leur journée libre à des démarches ou activités diverses dans des secteurs fonctionnant en équipe réduite pour cette même raison. « D’où l’importance d’un commun accord entre employeurs et travailleurs », poursuit Olivier Marcq. Qui ne réglera pas tout pour autant: la possibilité d’octroyer ou non les journées libres choisies en priorité par les travailleurs pourrait aussi accroître la concurrence entre certains secteurs sur le marché du travail, précise le juriste. Ces derniers mois, par exemple, la crise sanitaire a incité de nombreux ex-travailleurs de l’Horeca à se tourner vers la grande distribution, offrant des horaires plus stables pour un salaire équivalent. La semaine de quatre jours pourrait donc nécessiter de profonds changements organisationnels dans certains secteurs, en particulier dans les petites entreprises.
Selon une enquête menée en 2019 dans huit pays européens (mais pas la Belgique) par l’agence Opinion Matters pour le compte de la société britannique ADP, 56% des travailleurs sondés se disaient favorables à des semaines de travail de quatre jours. Parmi eux, 78% préféraient prester de plus longues journées plutôt que d’accepter une diminution de salaire en contrepartie (22%). Les préférences varient toutefois fortement d’un pays à l’autre.
Reste une troisième voie, qui revient une nouvelle fois au-devant de la scène à la faveur de cette réforme: la réduction du temps de travail sans perte de salaire. Jusqu’ici percluse, en Belgique, par un évident clivage gauche-droite et par l’opposition entre syndicats et organisations patronales quant à ses vertus potentielles.
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