Carte blanche
Réforme de la Grapa : « Nos aînés ne sont-ils point dignes d’un peu de confiance ? »
La garantie de revenus aux personnes âgées (GRAPA) bénéficie à des aînés de plus de 65 ans disposant de peu de moyens. De facto, elle succède au revenu d’intégration ou complète une petite pension. 104.265 personnes dont 68.107 femmes (65,3 %) en bénéficiaient en 2018.
Le bénéficiaire d’une Grapa doit avoir sa résidence principale en Belgique. Depuis le 1er juillet, il lui faut signaler tout déplacement à l’étranger au Service fédéral Pensions sous peine d’une suspension d’un mois de son allocation. Il doit faire de même s’il part en Belgique pour un séjour de plus de 3 semaines. Un facteur de la poste contrôlera sa résidence au moins une fois par an à date aléatoire. En cas d’absence, il se représentera deux fois dans un délai de 21 jours. Si on ne lui ouvre toujours pas, il laissera un certificat de résidence à remplir dans les 5 jours ouvrables. À défaut, le paiement de la Grapa est suspendu.
Un collectif pluriel et pluraliste a publié une opinion critique sur cette réforme. Le ministre compétent, M. Baquelaine y a réagi par écrit. Comme démocrates pour le débat, ce Collectif salue que le ministre ait pris la plume afin de donner son point de vue, exerçant ainsi un sain droit de réponse. Sur le fond et sur la forme, c’est autre chose.
« On ne peut que regretter les amalgames qui sont faits et qui aboutissent à désinformer la population », écrit le titulaire du maroquin des Pensions. Monsieur le Ministre, un procès en désinformation n’a jamais nourri la Démocratie.
« Cette obligation de résidence n’est pas nouvelle« , affirme le ministre. Les auteurs du collectif n’ont jamais prétendu le contraire et ne contestent nullement cette condition. Ils pensent que les modalités de son contrôle et les sanctions qui les assortissent sont inappropriées. Ils maintiennent : elles sont maltraitantes. Pourquoi ne pas demander à l’agent de quartier de faire les contrôles ? N’est-ce pas à un agent de police d’assurer une fonction de police ?
« Il est vrai que depuis le 1er juillet, il est également demandé au bénéficiaire de la Grapa de déclarer son adresse temporaire en Belgique s’il y réside plus de trois semaines. Mais cette obligation n’est assortie d’aucune sanction ! » poursuit le ministre. L’absence de déclaration d’un séjour temporaire de trois semaines en Belgique ne serait suivie d’aucune sanction. C’est un fait nouveau et il est acté positivement. Est-ce le point de vue du Gouvernement ? La marge d’interprétation d’un ministre en affaires courantes va-t-elle jusque-là ? La réforme est officiellement dans une logique de simplification administrative. Pourquoi alors une obligation assortie d’aucune sanction ? À quoi sert-elle si ce n’est à ajouter de la pression sur ces allocataires sociaux ?
« Où est la maltraitance dans cette nouvelle procédure dès lors qu’elle permet à la personne âgée de ne plus devoir se rendre à la commune pour remplir son certificat de résidence ? « , écrit le ministre. Une personne âgée est un citoyen comme un autre avec ses spécificités et propres rythmes. La réforme vise officiellement la simplification administrative. Un des principes de la simplification administrative est celui de confiance. Pourquoi ne pas l’appliquer en l’espèce ? Une fois que la condition de résidence a été avérée, serait-ce trop demander la confiance à l’aîné et un contrôle « par coup de sonde », fait aléatoirement par les agents de quartier ? Nos aînés qui nous ont tant donné, et en tout premier lieu la vie, ne sont-ils point dignes d’un peu de confiance ?
Concernant le facteur, selon le ministre, « le rôle qui lui est attribué est finalement semblable à celui qu’il remplit lorsqu’il se présente pour remettre un pli recommandé« . La Grapa est pour certains aînés indispensable pour (sur)vivre. Si vous et moi sommes absents pour un recommandé, nous allons à un bureau ou un point de poste. Nous n’encourrons nulle sanction. Si un aîné ne remplit pas ses obligations en matière de Grapa, il peut perdre de quoi (sur)vivre. L’analogie est bancale, presque heurtante.
Ce qui n’est pas dit est souvent signifiant. Le ministre ne dit rien quant à l’absence de volontarisme belge sur la question du dumping fiscal des Gafa alors que le Fédéral serre la vis sur la Grapa. Il ne s’exprime pas davantage sur l’attitude « béni-oui-oui » du Fédéral quant au Mercosur alors que la réforme de la Grapa limite de facto la libre circulation des personnes et que le Mercosur sème la colère dans nos campagnes. Le Fédéral finance B-post pour contrôler des aînés. Que paie le Fédéral à la Poste pour cette mission au regard de ce qu’il escompte économiser par ce contrôle tatillon ? Le CPAS d’Ostende exerce une vigilance sur le bien-être de ses octogénaires avec B-Post. Pourquoi le Fédéral ne soutient-il pas plutôt une mission de veille bienveillante au service de nos aînés?
« C’est d’autant plus regrettable que le discours vise à susciter l’émotion liée à la détresse matérielle de certaines personnes âgées » est votre conclusion. Monsieur le Ministre, vous cultivez l’image d’un gentleman. Chaudfontaine est une commune connue pour être attentive à ses aînés. Notre position est argumentée et nous assumons nos émotions. Nous les réitérons, tant nos arguments que nos émotions. Est-ce le diable que d’exprimer ses émotions ? Nous ne le pensons pas. Un mentor du Fédéral fut sans conteste Bart De Wever. En 2010, il déclarait que « la politique est un savant mélange de raison et d’émotions. Monsieur le Ministre, votre argument sur l’émotionnel est aussi infondé que déplacé. Sauf votre respect, il a quelque chose de presque patriarcal. L’émotion est par contre suscitée par la mesure contestée en ce qu’elle va faire craindre à ces personnes d’être absentes au mauvais moment. Il s’agit donc bien d’une assignation à résidence psychologique et émotionnelle.
Monsieur le Ministre, merci pour votre réponse. En revanche, nous maintenons. La réforme des contrôles de la Grapa va fragiliser des personnes déjà vulnérables vu leur âge et petit revenu. C’est une lamentable régression. Elle vaut au moins une réprobation.
Liste des signataires
Philippe Andrianne, Secrétaire politique d’Enéo, membre du Conseil consultatif fédéral des aînés
Josy Arens, Député fédéral et Bourgmestre d’Attert.
Nicolas Bernard, Professeur à l’Université Saint-Louis
Jean-Pierre Buyle, Président d’AVOCATS.BE et ancien bâtonnier du barreau de Bruxelles
Marie-Thérèse Casman, Sociologue à l’ULiège
Estelle Ceulemans, Secrétaire générale de la FGTB de Bruxelles
Michel Colson, Député bruxellois honoraire, ancien Président de la Fédération des CPAS bruxellois
Cécile Daron, Économiste
Bruno Dayez, Avocat
Philippe Defeyt, Économiste
Jean-Marc Delizée, Député fédéral
Vanessa Degreef, Chercheuse au Centre de droit public de l’ULB
Nicolas De Kuyssche, Le Forum – Bruxelles contre les inégalités
Laurent Demoulin , Directeur de l’ASBL Diogènes
Paul De Munck, Médecin
Ri De Ridder, Président de Médecins du Monde
Muriel Di Martinelli, Secrétaire fédérale Cgsp Bruxelles
Pierre Drielsma, Médecin
Fanny Dubois, Secrétaire générale de la Fédération des maisons médicales
Bernard Dutrieux, Professeur Haute École de Bruxelles Brabant
Jacques Fierens, Professeur à l’UCL, l’ULiège, l’Unamur
Arnaud Gorgemans, Directeur de la Mutualité chrétienne Saint Michel
Malvina Govaert, Citoyenne engagée
Daniel Hanquet, Travailleur social, Président et membre d’associations sociales
Michel Jadot, Président de Solidaris et d’Espace seniors
Francoise Kemajou et Denis Stokkink, administrateurs délégués du Think and do tank pour la solidarité
Christine Mahy, Secrétaire générale et politique Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté
Thierry Marchandise, Juge de paix suppléant et ancien Procureur du Roi
Jonathan Martin, Président de Défi Wallonie et Échevin à Libramont-Chevingny
Céline Nieuwenhuys, Secrétaire générale de la FdSS-FdSSB
Olivier Nyssen, Secrétaire général du secteur wallon Admi de la Cgsp
Alain Quairiat, Représentant d’Enéo membre du Conseil Consultatif fédéral des aînés.
Lucien Rigaux, Chercheur au Centre de droit public de l’ULB
Jean-Marc Rombeaux, Économiste et citoyen sans frontière
Véronique Sabel, Secrétaire nationale CSC Service public
Patricia Schmitz, Maître assistante, Haute École Libre de Bruxelles – Ilya Prigogine.
Pierre Schoemann, Vice-Président de la Fédération des Associations sociales et de Santé.
Veronique van der Planck, Avocate au Barreau de Bruxelles, collaboratrice scientifique à l’UCL
Dany Vandroogenbroeck, Coordinatrice de la Fédération des Services bruxellois d’Aide à Domicile
Jean Jacques Viseur Président d’Enéo, mouvement social des ainés
Marie Wastchenko, Agent de pompes funèbres et ex-Secrétaire de la Fédération des CPAS bruxellois
Jerry Werenne, Directeur médical de l’ASBL LAMA
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