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Raoul Hedebouw : « Le PTB n’est pas un parti de Bisounours »

François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

L’ex-parti maoïste a le vent en poupe : 52 élus aux dernières communales, et une échevine en Flandre ! Considéré comme marginal jusqu’il y a peu, le PTB se révèle être une machine de guerre : ultra-organisé, caisses pleines et troupes disposées à tous les sacrifices. Pour un objectif inchangé : en finir avec « le système ». Dans Le Vif/L’Express de cette semaine, enquête sur le vrai visage du PTB, qui tiendra un congrès en 2013, son premier depuis cinq ans. Pour levif.be, Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB répond à toutes les questions qui fâchent. Que pense-t-il de l’URSS ? Pourrait-il entrer dans un gouvernement avec le PS et Ecolo ? Envisage-t-il le recours à la violence ? Plus qu’une interview, un document.

Le Parti du travail de Belgique (PTB) a adopté un nouveau look depuis son congrès de 2008. Le sigle du parti n’arbore plus le marteau et la faucille. Mais le fond, lui, a-t-il changé ?

Le PTB est un parti qui a changé, mais qui conserve ses principes. Cela veut dire que le PTB garde une grille d’analyse marxiste et, pour ses cadres, les mêmes règles d’engagement que celles décidées lors de la création du parti, en 1979. L’engagement militant maximal, le non-enrichissement, la discipline des cadres : c’est un héritage du passé qu’on veut maintenir.

Les nouveaux statuts du PTB, adoptés en 2008, évoquent « un parti communiste de notre temps ». Cela veut dire quoi ?

Le débat n’est pas simple, je ne m’en cache pas. Le PTB devra encore évoluer. Mais sans renoncer à ses principes. Le Parti communiste italien, qui était la plus grande formation communiste d’Europe, a complètement disparu en voulant se rénover.

Etre communiste en 2012, concrètement, ça implique quoi ?

On veut mettre les moyens de production aux mains de la démocratie la plus large possible. Il n’y a pas de message caché ou de double discours : oui, le PTB est pour une société où les grandes industries appartiendraient au collectif. Je parle des biotechnologies, des compagnies maritimes et ferroviaires, de la sidérurgie… Pas du cafetier du coin.

Beaucoup contestent votre marketing électoral, vos slogans simplistes, le style quasi publicitaire de vos campagnes.

On peut reprocher tout ce qu’on veut au PTB, mais la réalité c’est qu’on rend le goût du débat aux gens. Je n’accepte pas la critique de ceux qui disent qu’on alimente l’antipolitisme. C’est le contraire ! Expliquer les intérêts notionnels aux gens, ce n’est pas du discours simpliste, c’est de la pédagogie. Par contre, c’est vrai que sur un tract de quatre pages, on ne peut pas tout dire. Pour mieux se faire comprendre, on utilise l’humour, on met le paquet sur quelques idées. Tous les partis le font ! C’est de la communication élémentaire. On a sans doute été idiots de ne pas le comprendre pendant vingt ans.

Tous les dirigeants actuels du PTB étaient déjà des cadres du parti à la fin des années 1990, quand vous vous référiez encore ouvertement à Staline et Mao. Forcément, cela alimente la suspicion sur la sincérité du changement de cap opéré par le PTB. Dans quelle mesure le PTB a-t-il rompu avec ce passé-là ?

Pour répondre, je dois remonter aux élections de 2003. Cette année-là, on a perdu la moitié de nos voix, alors qu’on avait fait campagne comme jamais auparavant. Cet échec a été un électrochoc. On s’est dit : il y a un truc qui cloche, on milite depuis plus de vingt ans, et même dans les bastions industriels, on reste bloqué à 1 ou 2 %. Cela a entraîné des débats assez durs à l’intérieur du parti. Certains ont dit : ça suffit avec ces revendications maximalistes, cette approche provocatrice, cette incapacité à travailler avec les syndicats et les autres partis de gauche ! En fin de compte, cela a provoqué le départ de 3 des 8 membres du bureau national. Ce n’est pas rien ! On parle de la moitié de la direction, dont la secrétaire générale du PTB à l’époque, Nadine Rosa-Rosso. C’est comme si Didier Reynders était exclu du MR… C’est une première réponse à ceux qui prétendent qu’il n’y a pas eu de rupture au PTB : sur le plan organisationnel, il y a eu rupture !

Longtemps, le PTB a soutenu sans réserve les régimes communistes à Cuba, en Chine, en Corée du Nord, la guérilla maoïste aux Philippines ou au Pérou. Sur ce plan-là, y a-t-il rupture entre l’ancien et le nouveau PTB ?

Avant, le PTB se comportait un peu comme l’ambassade de tout ce qui s’est fait dans le monde au nom du socialisme. C’est fini, ça ! Le modèle nord-coréen, dynastique, militarisé, peu démocratique, ce n’est pas le nôtre. Mais je dis aussi que la gauche européenne hurle trop vite avec les loups. Nous, au PTB, on ne va pas dire tout le mal qu’on pense de la Syrie, de Cuba, de la Corée du Nord, car on sait très bien que ces discours servent en réalité à préparer les esprits pour une future intervention militaire. Là, on reprend un flambeau qui faisait avant consensus à gauche, c’était un acquis de la charte des Nations unies : pas d’immixtion dans les affaires internes d’un pays. Depuis la chute du mur de Berlin, une autre idéologie s’est imposée, celle du droit d’intervention. Aujourd’hui, quel est le bilan des deux interventions américaines en Irak ? 1,5 million de morts. On refuse de souscrire à cette vision noir-blanc des enjeux géostratégiques.

Quel bilan faites-vous des expériences communistes au 20e siècle ?

On voudrait nous mettre dans un coin, nous entraîner dans une révision de l’histoire. Moi, je ne marche pas là-dedans, quitte à perdre des plumes aux élections. Oui, j’ose dire que si l’Union soviétique n’avait pas existé, il y a beaucoup de chances qu’à Liège, on parlerait allemand aujourd’hui. Oui, les communistes ont joué un grand rôle dans la chute de Salazar au Portugal. Oui, le mouvement communiste mondial, avec l’aide des camarades socialistes, a résisté à la dictature de Franco.

Vous reconnaissez tout de même que le communisme, en Russie, a donné lieu à des dérives sanglantes ?

Oui, il y a eu des erreurs graves. La preuve, c’est que ça n’existe plus. Mais on ne peut pas dire ça sans ajouter que la révolution a permis d’énormes progrès en matière d’alphabétisation. L’URSS a porté 80 % du poids de la guerre contre le nazisme. Notre sécurité sociale, on ne l’aurait pas obtenue sans la peur du rouge, de l’autre côté du mur. Sur ces débats-là, je suis souvent d’accord avec Philippe Moureaux. Il a une vision critique de l’Union soviétique, mais il refuse de se laisser entraîner dans une relecture, une révision en noir-blanc de toute l’histoire du 20e siècle. Qu’on aille interviewer les 80 000 prostituées en République tchèque ! Depuis la chute du communisme, ce pays est devenu le bordel de l’Allemagne. Qu’on aille interviewer les ouvriers russes qui ont perdu douze ans d’espérance de vie depuis la fin des années 1980 ! Dans l’histoire moderne, on n’a jamais connu des régressions d’une telle ampleur sur des territoires aussi étendus.

Vous évoquez des « erreurs » commises par le pouvoir soviétique. Lesquelles ?

Les millions de morts en URSS. La répression. Des erreurs grosses comme des maisons, par dizaines. Il faut analyser tout ça. Mais ce n’est pas là-dessus que va se concentrer le PTB dans les prochaines années. On n’en a pas les moyens humains et matériels. Notre centre d’études se concentre désormais sur une tâche : trouver des solutions. On ne va plus dépenser toute notre énergie pour analyser l’histoire de l’URSS et de Cuba. Mais que des historiens le fassent, de façon approfondie, critique, on ne demande pas mieux. On veut bien être partie prenante du débat.

Le Parti de la révolution, écrit en 1996 par Ludo Martens, le père-fondateur du PTB, sert aujourd’hui encore de manuel de référence pour les cadres du parti. On y trouve des expressions comme « rectifier et épurer » ou « combattre le déviationnisme petit-bourgeois ». Cela ne vous gêne pas ?

Ce livre est le reflet d’une époque. L’après-1989 a été dur pour tous les partis marxistes en Europe. La plupart ont disparu. Cela a généré une mentalité d’assiégé. Face au matraquage idéologique, le PTB s’est enfermé dans le dogmatisme, pour maintenir l’existence de l’organisation.

Imaginons que le PTB grandisse encore dans les années à venir, vous allez vous retrouver confrontés à une question qui a déchiré les écologistes dans les années 1980 et 1990, celle de la participation au pouvoir. Pourriez-vous participer à un gouvernement avec le PS et Ecolo ?

C’est ça, le débat difficile : quelle doit être la relation de la gauche de gauche avec la social-démocratie ? Quand Die Linke participe à la coalition au pouvoir à Berlin et que ses députés votent les privatisations avec les sociaux-démocrates du SPD, ils font fausse route. Le Parti communiste, en France, a voté les privatisations décidées par le gouvernement Jospin. Ils en sont revenus : c’était une erreur ! Est-ce qu’on accepte d’être une force d’appoint, un aiguillon des majorités de centre-gauche ? Ou alors est-on là pour construire un vrai contre-pouvoir, comme les Fronts populaires dans les années 1930, avec l’objectif d’établir un rapport de forces dans la durée ? Voilà la vraie question.

Donc, pour vous, participer à une coalition de type « Olivier », c’est exclu ?

Si on n’a pas la garantie de peser dans le rapport de forces, c’est non ! Quand je lis les programmes des partis aujourd’hui, je ne vois pas avec qui le PTB pourrait former une coalition au niveau national. On n’accepte pas le carcan des directives budgétaires européennes. Rien que là-dessus, on serait en rupture totale. Mais sur le plan local, c’est différent : d’ailleurs, on a pris nos responsabilités en entrant en majorité à Borgerhout.

Le PTB parle beaucoup de la taxe des millionnaires, des sacs-poubelles payants, des licenciements dans la sidérurgie. Mais il entretient le flou sur le but qu’il poursuit à long terme. N’est-ce pas une forme de manipulation des électeurs ?

Je suis plus que demandeur d’avoir un débat sur la gauche du 21e siècle avec Thierry Bodson (FGTB), Olivier Deleuze (Ecolo) et Elio Di Rupo (PS). Mais ce n’est pas un débat dont le PTB va parler dans ses tracts… Parce que c’est inaudible ! Ce n’est pas de notre faute si le climat idéologique a tellement changé depuis les années 1970 qu’il est devenu quasi impossible de délivrer certains messages sans se faire quasi insulter. Mais si Le Vif/L’Express veut organiser un débat autour d’une table entre quatre acteurs de la gauche en Belgique francophone, je suis preneur ! Et pas pour discuter des intérêts notionnels ou de la taxe des millionnaires, mais pour vraiment parler de notre projet de société à long terme : vers où veut-on aller ? C’est quelque chose que j’ai toujours respecté chez Jean Gol et chez Jean-Luc Dehaene. Ils ne défendaient pas du tout la même vision que moi, mais eux, au moins, ils osaient les débats idéologiques. Ils se mouillaient en abordant la question : quel modèle de société veut-on ? Aujourd’hui, ça n’existe plus.

Vous regrettez de n’avoir plus, face à vous, des adversaires aussi « musclés » que Jean-Luc Dehaene ou Jean Gol ?

Tout le monde s’est converti au social-libéralisme ou au libéralisme social. Tout le monde soutient le Plan Marshall 2.Vert. Les débats politiques sont devenus ennuyeux… Il n’y a plus que des débats techniques. Plus personne n’y comprend rien dans un tel mic-mac idéologique. Heureusement, il reste Didier Reynders et Philippe Moureaux. Vous pouvez me croire ou pas, mais j’ai du respect pour eux. Cela me plait qu’il y ait encore des hommes politiques qui assument leur position sans langue de bois, qui osent les débats francs. Une démocratie a beaucoup à gagner avec ce genre de débats.

Les militants et les cadres du PTB doivent reverser une partie de leurs revenus au parti. Pourquoi ?

Cette règle s’applique aux cadres, pas aux simples adhérents. Dans les autres partis, plus on monte dans la hiérarchie, plus on augmente son confort matériel. Au PTB, c’est l’inverse. Nos cadres gagnent le salaire moyen d’un ouvrier. C’est-à-dire entre 1 300 et 1 700 euros. On tient compte de différents paramètres, comme le fait d’avoir des enfants ou pas. Pour nous, c’est une forme de sélection, pour n’avoir à la tête du parti que des gens vraiment motivés. On peut dire que c’est démodé, je m’en fous. On veut maintenir une rigueur idéologique pour préserver l’intégrité du parti. Mon salaire tourne autour de 1 350 euros. Non seulement parce que les finances du PTB sont réduites, mais aussi parce que j’estime que je ne suis pas là pour m’enrichir. Je ne peux pas concevoir un dirigeant du PTB qui gagnerait 3 000 euros par mois. A un moment, qu’on le veuille ou non, on commence à penser comme son portefeuille. Quand les députés gagnent tous entre 2 500 et 5 000 euros, ça crée un certain climat idéologique. Il y a un lien entre le fait qu’aucun député n’a jamais travaillé à la chaîne et la facilité avec laquelle on a détricoté les prépensions.

Le PTB reste un parti unitaire, bilingue, avec une seule direction nationale. N’est-ce pas en décalage complet avec l’évolution de la Belgique ?

Au bureau du parti, chacun parle sa langue. La connaissance active du français et du néerlandais constitue une condition pour y entrer. Mais on a aussi appris à tenir compte des différences qui existent entre la Flandre et la Wallonie. Jusqu’il y a dix ans, on distribuait systématiquement les mêmes tracts des deux côtés de la frontière linguistique. On avait cette conception d’unifier le monde du travail… Le débat politique, malheureusement, diffère de plus en plus au nord et au sud du pays. Donc, on en tient compte. La version francophone de notre hebdomadaire, Solidaire, n’est plus une traduction exacte de la version néerlandophone. Par contre, on se refuse toujours à travailler dans des sous-groupes Flandre et Wallonie. J’y suis personnellement opposé. Parce que si on organise le parti en fonction de critères linguistiques, cela va déboucher à un moment sur des lignes politiques différentes, c’est la nature humaine. On veut éviter ça. Mais je ne nie pas que le PTB va aussi devoir préciser son positionnement sur la question nationale. On ne vit pas sur Mars, on sait bien que l’institutionnel sera l’un des enjeux de la campagne électorale en 2014. On doit s’y préparer.

La candidature de Jean-Luc Mélenchon lors des élections présidentielles en France a reçu beaucoup d’écho en Belgique francophone. Qu’est-ce qui vous différencie de lui ?

C’est difficile de répondre, car Mélenchon lui-même évolue beaucoup. Où veut-il aller ? Ce n’est pas clair. Mais c’est aussi ce qui rend le personnage intéressant : il est capable d’évoluer. Jusqu’à présent, Mélenchon s’est revendiqué d’une pensée mitterrandienne, c’est-à-dire un réformisme qui s’accommode très fort de l’économie de marché. Nous, on conçoit l’économie en-dehors du marché. On a aussi une vision assez différente de la question nationale. Sur ce sujet, ses discours ont une teinte assez franchouillarde. On n’a pas non plus la même approche de la laïcité. Cela peut se comprendre : il est en France, nous en Belgique, on n’a pas la même histoire. Mais si certains veulent importer chez nous une laïcité offensive à la Mélenchon, un peu comme Bernard Wesphael semble vouloir le faire, on ne se retrouvera pas dans cette vision-là.

Par rapport au président vénézuélien Hugo Chavez, comment vous vous situez ?

Moi, je soutiens en grande partie l’approche de Chavez. Mais, depuis la Belgique, ce n’est pas non plus à moi de dire aux Vénézuéliens ce qu’ils doivent faire. Au Venezuela, il y a de vifs débats. Certains pensent qu’il faut approfondir la révolution bolivarienne. D’autres pensent qu’il faut maintenant temporiser. Et que faire sur le plan énergétique, vu que les réserves de pétrole s’épuisent ? Mais si vous me demandez si le PTB estime positive la révolution bolivarienne d’Hugo Chavez, je réponds oui.

Le PTB, dans sa façon de concevoir l’action politique, reste-t-il sur une ligne révolutionnaire ?

Oui, le PTB veut un changement révolutionnaire de la société. Notre démocratie est très faible. Les citoyens n’ont quasi aucun droit d’interpellation au conseil communal. Les quatre partis traditionnels se sont habitués à ce système démocratique faiblard, où on demande juste aux gens de mettre une boule rouge à côté d’un nom, tous les trois ou quatre ans. Nous voulons une démocratie beaucoup plus large que ça. La démocratie, ce n’est pas seulement les élections et le parlement. Une grande partie de nos réformes sociales ont été écrites par des voies extraparlementaires. Je ne vais pas nier le fait que l’histoire en Belgique a été ponctuée de moments violents de confrontation entre les mouvements sociaux et le pouvoir. Non, le PTB n’est pas le parti des Bisounours ! Si j’avais vécu à l’époque du nazisme, j’espère que j’aurais eu le courage de m’engager dans la Résistance. Si Mandela n’avait pas utilisé la lutte armée, l’apartheid règnerait encore en Afrique du Sud. Mais dans le contexte de la Belgique aujourd’hui, nous rejetons clairement la violence. Il n’y a aucune ambiguïté là-dessus.

Entretien : François Brabant

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