Racisme: se réunir autour d’une table pour casser les stéréotypes
Éditeur en chef du site internet Duse Magazine et consultant basket pour la RTBF, Duke Tshomba a réuni autour d’une table cinq autres personnes noires, faisant partie des minorités issues de la colonisation belge.
Duke Tshomba a invité Marie-France Vodikulwakidi, consultante en relations publiques et DJ, Marc Zinga, acteur, Laura Kalenga, fondatrice d’une entreprise active dans le secteur de l’art et la culture ainsi que dans la communication audiovisuelle, Wen Mukubu, athlète professionnel international et Krisy, jeune entrepreneur, producteur et ingénieur du son, pour son concept de table ronde. Ensemble, ils ont abordé différents sujets tels que l’importance des mots, la sous-représentativité des personnes noires à tous les niveaux de pouvoir, les solutions pour un changement de mentalité, les discriminations vis-à-vis de la couleur de peau. Venant de milieux professionnels différents, ils ont pourtant tous vécu des expériences semblables, ont dû faire face au même genre de difficultés.
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Le Vif: Duke, parlez-nous de votre parcours.
Duke Tshomba: Mes parents sont d’origine congolaise, je viens d’une famille de dix garçons. Chez moi, on avait un cadre de Kwamé Nkrumah, c’est un homme qui essayait de regrouper les gens, d’unir les différents peuples d’Afrique. On a aussi fortement été influencé par la culture afro-américaine. J’ai eu la chance de rentrer dans le sport. J’ai commencé dans le football mais j’ai été victime de discriminations. Puis, j’ai joué au basket et j’en suis tombé amoureux parce que c’est le seul sport où toutes les cultures sont représentées. Vers 15 ans, je suis arrivé chez les Spirou de Charleroi. Je me suis très bien entendu avec les joueurs américains, on partageait la même vision, alors que ce n’était pas toujours le cas avec mes coéquipiers belges. On regarde l’Afro-Américain avec admiration alors que l’Africain, voire l’Afro-Européen, on le regarde comme le migrant, celui qui gratte au CPAS. Pourtant, on était noir, on était dans le même vestiaire mais le regard n’était pas le même. Puis, je suis parti faire des études universitaires de psychologie aux États-Unis et j’ai fait plusieurs formations là-bas, notamment une sur l’histoire de la culture afro-américaine.
Nous, ce qu’on veut apporter avec cette table ronde, c’est parler, souligner les problématiques sans pour autant être radical. On veut reprendre le contrôle de la narration.
Duke Tshomba
Pourquoi était-ce important pour vous de faire cette table ronde ?
À travers cette table ronde, nous cherchons à casser les stéréotypes. Aujourd’hui, on est trop souvent dans une situation où il y a une double victimisation. C’est-à-dire qu’on a tendance à dire que le noir joue la victime, joue la carte du racisme dès que les choses ne vont pas dans son sens. Et c’est ça que, moi, j’avais envie de casser. Les rares fois où on donne la parole à des noirs pour parler de ces problématiques, souvent ce sont des noirs qui ont une approche très radicale et on vient râler sur Annie Cordy et son Chaud Cacao. Chacun peut l’approcher comme il veut mais on va pas commencer à déterrer les morts non plus. Tout le monde a dansé sur Chaud Cacao pendant 60 ans. Et maintenant, tu vas dire que c’est un problème. Nous, ce qu’on veut apporter avec cette table ronde, c’est parler, souligner les problématiques sans pour autant être radical. On veut reprendre le contrôle de la narration. Dans la table ronde, ce sont différentes personnalités qui ont toutes réussi dans leur vie. Oui, on a traversé des galères mais on en est sorti, ça nous a rendus plus fort. Donc c’est un partage d’énergie positive, un partage d’émotions, d’expérience et on espère que ça va pouvoir ouvrir la réflexion sur la problématique de la discrimination.
Dans vos mots, comment définiriez-vous le terme « Black Excellence » ?
Pour moi, le noir c’est beau, c’est l’élégance. Quand on va aux Oscars, on met un costume noir, c’est élégant. Quand on parle du noir, on a la connotation négative, comme quand on dit « travail en noir ». « Black excellence », c’est une source d’inspiration pour les noirs et les non-noirs. La couleur noire, c’est un ensemble de couleurs. Mettons-nous ensemble, acceptons-nous pour ce que nous sommes. Homme, femme, noir, blanc, jaune, on a tous le même objectif, c’est de devenir la meilleure version de nous-mêmes. C’est ça qu’il faut mettre en avant, c’est ça l’excellence.
Homme, femme, noir, blanc, jaune, on a tous le même objectif, c’est de devenir la meilleure version de nous-mêmes. C’est ça qu’il faut mettre en avant, c’est ça l’excellence.
Duke Tshomba
Dans votre table ronde, vous parlez de créer des choses, par des gens de votre communauté, pour les gens de votre communauté. De quoi s’agit-il exactement ?
Il y a beaucoup d’organisations qui sont déjà en place pour essayer d’aider, de soutenir et de mettre en avant une approche égalitaire. Notre table ronde n’est qu’une plate-forme d’échange. Elle va permettre au public averti et non-averti de prendre conscience de ce qu’il se passe. Et si les gens veulent aller plus loin et faire certaines démarches, à travers cette table ronde, on peut les orienter vers différentes organisations existantes qui travaillent sur le terrain et différentes personnalités. Mais on essaye surtout de casser les stéréotypes.
Wen explique qu’il ne doit pas rigoler trop fort, sinon les gens vont dire « regarde le noir, il rigole fort ». Y a-t-il d’autres choses qui peuvent paraitre anodines mais auxquelles vous faites pourtant attention tous les jours ?
Énormément. Je pourrais t’en donner plein. Mais, moi, j’essaye de ne plus trop y faire allusion. Mais c’est clair qu’il y a une liste.
Vous abordez également le sujet des statues, comme celle de Léopold II, qui ont fait parler d’elles. Quel est votre avis par rapport à la manière d’apprendre l’histoire ?
À un moment, il faut lever le voile. Il faut arrêter cette hypocrisie par rapport à l’approche de l’histoire. Juste retirer les statues, c’est un petit peu comme quand tu demandes à des enfants de ranger leur chambre et qu’ils cachent tout sous leur lit. Moi je n’ai pas de problème, tu ne dois pas retirer la statue mais tu ne peux pas être hypocrite, et c’est ça qui fait mal aujourd’hui à notre communauté. Je peux te poser une question sur l’Holocauste, tu serais en mesure de répondre. Mais si je te pose la même question au niveau de la traite des noirs, je ne suis pas sûr que tu puisses y répondre. On est pas là pour refaire l’histoire mais on est quand même là pour connaître les vrais fondements de l’histoire.
On peut être une source d’inspiration pour la prochaine génération, c’est bien. Et leur faire comprendre que t’es pas obligé d’être le prochain Damso ou le prochain Romelu Lukaku pour réussir.
Duke Tshomba
Vous dites qu’aux États-Unis, il y a une représentativité des noirs à tous les niveaux de pouvoirs, ce qui permet aux jeunes de se dire « c’est possible d’arriver là ». Vous, qui avez grandi en Belgique et étudié aux États-Unis, qui était votre exemple ?
En Belgique, il n’y en avait pas. C’est aussi simple que ça. Mes exemples, c’était Eddie Murphy, Michael Jordan, Will Smith. C’est le Prince de Bel Air aussi. Si on regarde encore les épisodes aujourd’hui, 30 ans après, ce qu’il se dit est toujours d’actualité. Donc, si d’une manière ou d’une autre, on peut être une source d’inspiration pour la prochaine génération, c’est bien. Et leur faire comprendre que t’es pas obligé d’être le prochain Damso ou le prochain Romelu Lukaku pour réussir. Tu peux très bien essayer de devenir le prochain magistrat ou un orthodontiste ou lancer ta boite de communication, parce que c’est ça aussi réussir.
À travers votre table ronde, s’il y a un message qui doit ressortir, ce serait lequel ?
On est plus fort ensemble et pour être ensemble, il faut pouvoir comprendre et respecter l’autre.
Entretien réalisé par Lauriane Vandendael
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