Dominique Drion, l'homme aux 23 mandats (dont 9 rémunérés) n'a pas souhaité répondre à nos questions. "Je préfère laisser parler ceux qui me connaissent, avec mes qualités et mes défauts." © Bruno Fahy/Belgaimage

Publifin : Dominique Drion, l’orange qui aimait trop le rouge

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

De tous les acteurs du scandale Publifin, il est le seul à ne pas être politiquement tombé. Dominique Drion, ancien vice-président de Nethys, s’accroche à la Province de Liège. Malgré la contestation interne. Portrait rempli de contradictions : conseiller de l’opposition CDH amoureux de la majorité PS, critiqué sans être détrôné, homme simple aux poches bien remplies.

Plates-côtes et potée. Rien de vraiment bon, mais c’est la tradition. Une liégeoiserie resservie chaque mardi gras : ration de chou ! Ça éloigne les mouchettes. Comme à pareille époque chaque année, le 28 février dernier, le CDH de Sprimont avait aligné les tables en rangs serrés, déployé les nappes et roulé les serviettes en papier (orange, bien entendu). Les élus du cru avaient réservé leur couvert. Comme Dominique Drion. Comme Vinciane Pirmolin. La présidente des humanistes liégeois semblait longer les murs.  » Anéantie  » d’avoir été épinglée dans les comités de secteur version Publifin For Life, glissent des proches. Mais lui ? Tel que tout le monde l’a toujours connu. Un bon mot aux lèvres, la poche remplie de tickets, prêt à dégainer sa phrase préférée :  » Qu’est-ce que tu bois ?  » Le scandale n’allait tout de même pas le priver de chou frisé !

Après tout, lui ne siégeait pas dans ces comités de secteur. Mais il en fut l’architecte, comme de toutes les constructions de l’intercommunale. Vice-président de Publifin (jusqu’en juin 2015). Vice-président de Nethys et président de son comité de rémunération. Vice-président d’Ogeo Fund, de Resa, du Travailleur chez lui. Administrateur de quatre autres filiales du groupe. Pas mal, alors que son seul fait d’armes électif est d’être conseiller provincial de l’opposition depuis… 1979.

Devant la commission d'enquête (avec Georges Pire, à dr.), Dominique Drion assure ne pas avoir été alerté des dysfonctionnements des comités de secteur.
Devant la commission d’enquête (avec Georges Pire, à dr.), Dominique Drion assure ne pas avoir été alerté des dysfonctionnements des comités de secteur. © BRUNO FAHY/BELGAIMAGE

Il n’a jamais eu aucune autre ambition. Ni désir ministériel, ni appétence régionale.  » On comprend mieux pourquoi « , ricane un camarade. On comprend mieux combien : 150 000 euros brut par an. Hors revenus issus de son activité d’avocat.  » Pour 12 à 15 heures de réunions par semaine, préparation non comprise « , a-t-il clarifié devant la commission d’enquête du parlement de Wallonie, le 21 février.  » Quelle nonchalance ! l’apostrophe alors le député Olivier Maroy (MR). Regardez-vous les réseaux sociaux, la presse ? Ceci n’est pas une vaguelette. C’est un tsunami. Je ne crois pas que vous en mesurez votre part de responsabilité.  » Le Liégeois ne bronche pas. Tout au plus regrette-t-il de ne pas avoir davantage surveillé les comités de secteur.  » C’est tout ?  » l’interrompt le libéral.  » C’est déjà pas mal « . Le mea culpa attendra.

« Scandaleux ! »

Georges Pire ? André Gilles ? Stéphane Moreau ? Poussés à la démission politique. Même Willy Demeyer a été emporté. Pas Dominique Drion. Même s’il a, comme tous les administrateurs, renoncé à ses mandats  » publifiens « . Pourquoi lâcherait-il la Province ? Personne ne le lui a demandé.  » Nos ténors n’ont pas exigé son retrait, ni même des explications ou un remboursement. Il n’a pas été convoqué. Rien !  » râle un élu orange.  » La manière dont il s’est justifié en comité d’arrondissement, c’est scandaleux ! peste un autre. Aucune remise en question.  » Un militant abonde :  » Dans les sections locales, beaucoup sont réellement choqués.  »  » Quand j’ai entendu son salaire, je suis tombée de ma chaise « , s’exclame une mandataire.

Ceux qui réclament sa tête au bout d’une pique sont aussi nombreux que ceux qui estiment qu’il a porté sa croix.  » C’est bon, il ne va pas faire pénitence jusqu’à la fin de ses jours « , lance une élue.  » On ne peut pas lui enlever son expérience et son savoir « , enchaîne une militante. Alda Greoli, ministre de la Culture, tranchera. La  » nettoyeuse  » a été chargée par son président de parti, Benoît Lutgen, de remettre de l’ordre en Cité ardente.

 » Si je tombe, ce ne sera pas seul « , aimait répéter l’intéressé lors de réunions du G10, organe informel réunissant les pointures locales. Il n’y a donc point eu de chute.  » Pas encore « , croient savoir certains. Mais bien un lent déclin.  » Voilà ce qui arrive, quand on laisse le pouvoir trop longtemps entre les mêmes mains « , soupire un échevin. Président de l’arrondissement de Liège depuis 1996, Dominique Drion, qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations, n’a jamais été partageur. A l’époque, l’aile gauche (démocratie chrétienne) et l’aile droite (rassemblement du centre) se déchirent encore au sein du PSC. Le conseiller provincial, un  » sans famille « , sera un bon compromis, réélu deux fois sans sourciller.

En 2005, Serge Francotte considère que cela a assez duré. Conseiller communal à Beyne-Heusay, il sait qu’il n’a aucune chance de l’emporter.  » Mais j’entendais beaucoup de critiques, tout se décidait dans l’ombre. Il fallait amorcer le débat.  » Pour se faire connaître, il demande accès au listing des membres, afin de leur envoyer un courrier. Refusé. Peu après, ces mêmes membres reçoivent une lettre de soutien à Dominique Drion, signée par quatre élus de poids (Smal, de Lamotte, Simonet et Drèze). Le président en fonction est reconduit sans surprise, à 82,4 % des voix.

Réélection de justesse

A l’élection suivante, un autre conseiller communal de Seraing, Lucien Delchambre, envisage de se présenter.  » J’avais beaucoup de sections de mon côté « , dira-t-il plus tard dans La DH. Mais sa candidature sera torpillée, selon lui, par une missive signée Joëlle Milquet,  » téléguidée par Dominique Drion « , discréditant la locale sérésienne. Lucien Delchambre claque alors la porte du parti. En 2013, il est défié par Yves Moulin, conseiller communal à Flémalle, membre du cabinet du député Benoît Drèze. Cette fois, c’est juste : 48 à 52 %.

Les reproches ne s’éteignent pas. Jamais dans la presse, le CDH préfère laver son linge sale en famille.  » C’était le mandat de trop, juge une élue. Il n’y avait plus de débat entre nous, toutes les décisions étaient prises par Drion puis imposées, du coup personne ne venait plus aux réunions.  » Le fin tacticien ( » habile « ,  » calculateur « ,  » malin « ,  » toursiveux « , comme le décrivent unanimement ceux qui le fréquentent) sent probablement qu’il ne passera plus la rampe. Il choisit alors lui-même sa succession : Vinciane Pirmolin, conseillère communale à Grâce-Hollogne. Une provincialiste convaincue, à son image. Il l’école durant un an puis, en 2014, lui cède  » les clés du paradis « , autrement dit la présidence d’arrondissement du CDH liégeois (le parti a son siège rue Paradis). Officiellement, il n’y a plus qu’une cheffe à bord. Officieusement, Dominique Drion joue la belle-mère.  » La pauvre, elle a essayé de prendre son indépendance, mais elle n’a pas assez d’autorité « , constate un humaniste.  » Son mandat de chef de groupe à la Province lui laisse un rôle important. Il siège toujours au G10 « , abonde un autre.

Drion cultive de bonnes relations avec Benoît Lutgen ou Joëlle Milquet.
Drion cultive de bonnes relations avec Benoît Lutgen ou Joëlle Milquet.  » C’est un bon soldat, il rend des services. « © PHILIPPE BOURGUET/BEPRESS PHOTO AGENCY/BPPA

Au sein du CDH national, le Liégeois  » n’est pas un homme de poids « . Mais il a ses entrées, grâce à la présidence du comité d’éthique et de déontologie (il en a démissionné en janvier). Souvent sollicité comme monsieur Loyal lors de congrès, il cultive de bonnes relations avec Joëlle Milquet comme Benoît Lutgen. Tant et si bien qu’en 2013, lorsque Melchior Wathelet s’en prend à lui au moment du rachat de L’Avenir en réclamant davantage de transparence au sein de l’intercommunale, le – pourtant – ministre fédéral perd son bras de fer.  » Dominique est un bon soldat, il rend des services « , sous-entend un humaniste.  » Il était corvéable et malléable à merci, détaille un autre. Si une polémique éclatait, il demandait au président la ligne à tenir, puis il sortait une position officielle enrobée de vernis juridique.  »

La haine bleue. Et verte

L’avantage d’être un bon avocat. Le bureau qu’il dirige avec ses cousins (l’un d’entre eux, Xavier Drion, siège également comme administrateur délégué du Centre hospitalier chrétien) a bonne réputation. Dominique Drion a représenté l’évêché de Liège, l’ONSS, le Secrétariat général de l’enseignement catholique. Le droit scolaire, son point fort.  » Même si on peut se demander si les écoles ne le choisissent pas pour ses relais politiques « , insinue un observateur. Il a gagné plusieurs dossiers compliqués pour l’enseignement libre, face à des communes  » rouges « .

Son opposition avec le PS s’arrête là. Sa politique est orange… sanguine.  » Il admire les socialistes car, selon lui, ils créent, ils mettent des choses en place, comme Publifin, et ne sont pas que dans la gestion quotidienne « , décrypte un CDH. Les élus locaux qui ont tenté de construire une majorité sans les socialistes s’en souviennent encore. Comme à Visé ou à Fléron.  » Ce fut très, très difficile, même sur le plan personnel « , confie l’échevin fléronnais Thierry Ancion.

 » Par contre, il déteste le MR ! enchaîne un mandataire. S’il critique la majorité provinciale, c’est uniquement les députés libéraux.  » Il a longtemps espéré prendre leur place.  » Un trio amoureux, s’amuse le chef de groupe MR, Fabian Culot. Le PS était la mariée et les deux autres partis se disputaient pour l’épouser. Toujours d’après cette vieille légende liégeoise selon laquelle le PS ne choisirait jamais le même partenaire à la Ville et à la Province.  » Dominique Drion, cet opposant conciliant.  » Quand il montait à la tribune, il parlait minimum trente minutes et on se disait : »Il va voter contre. » Mais non, il votait pour !  » se souvient Lydia Blaise, cheffe de groupe Ecolo jusqu’en 2012. L’humaniste apprécie encore moins le vert. Il peut dézinguer les propositions écologistes, sous les applaudissements de la majorité.  » J’ai reçu plusieurs témoignages affirmant que le CDH recevait le projet de budget avant les autres. Qu’il envoyait ses interventions à André Gilles… Je ne peux pas le prouver, mais à titre personnel, je suis méfiant « , confesse Marc Hody, chef de groupe Ecolo. Qui, un jour d’énervement, lui a lancé de but en blanc :  » Quand vas-tu arrêter de lécher le cul du PS ?  »

L’une des rares engueulades impliquant Dominique Drion.  » Je ne l’ai jamais entendu lever la voix « , garantit une élue CDH. Ne jamais vexer, ne jamais révéler le fond de sa pensée. L’humour, toujours.  » Tu vas boire un verre ou manger un boulet avec lui, tu t’amuses !  » Catholique bon teint,  » jésuitique « , il a le goût des choses simples, assurent ses proches.  » Il ne vit pas dans un quartier huppé, roule en Renault Scenic, n’a pas des costumes taillés sur mesure. Il n’est pas bling-bling, conclut une humaniste. C’est peut-être un homme de pouvoir, mais pas d’argent.  » Pas de chance, pour quelqu’un qui gagne plus de 150 000 euros par an.

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