Pourquoi votre facture d’énergie va exploser (et comment la réduire)
Environ 500 euros par an. C’est ce qu’un ménage moyen pourrait payer en plus pour sa facture d’électricité et de gaz dès cette année. En cause: une demande en forte hausse due à la relance économique et une flambée du prix de la tonne de CO2 en Europe. De quoi remettre l’efficacité énergétique au devant de la scène.
Des prix planchers en 2020, des prix records en 2021. Rarement le marché de l’énergie avait connu de tels extrêmes par le passé. Alors que la relance économique se confirme à travers le monde, les ménages et les entreprises se voient illico pénalisés financièrement par un rapport très déséquilibré entre l’offre et la demande. Aucun pays européen n’échappe à cette flambée des prix, d’autant plus inquiétante qu’elle pourrait encore s’accroître dans les prochains mois. En un an à dater du mois de juin, le coût pour 1 mégawattheure (MWh) d’électricité sur le marché de gros, auprès duquel les fournisseurs s’approvisionnent, a ainsi grimpé de 53%. Pour 1 MWh de gaz, la hausse est même de 403% pour les clients résidentiels, bien que son prix soit tombé à un niveau historiquement bas en 2020 (voir graphique ci-dessous). Il n’y a donc pas de pire moment que l’heure actuelle pour envisager de signer un nouveau contrat d’énergie à tarif fixe. Les consommateurs ayant opté pour des contrats à prix variables, eux, en subiront les conséquences à court terme, selon la périodicité mensuelle ou trimestrielle de l’indexation.
Dans le contexte actuel, de nombreuses matières premières et les vecteurs énergétiques se retrouvent sous pression.
Tant pour le gaz que l’électricité, cette hausse fulgurante des prix est avant tout liée à la reprise économique. « L’énergie, c’est le carburant de l’économie mondiale, résume Stéphane Bocqué, responsable de la communication à la Fédération belge des entreprises électriques et gazières (Febeg). Dans le contexte actuel, de nombreuses matières premières et les vecteurs énergétiques se retrouvent sous pression. Certains plus que d’autres: en Asie, l’augmentation du prix du charbon a, par exemple, engendré un déplacement de la demande vers le gaz. Des volumes d’approvisionnement initialement destinés à l’Europe se voient désormais acheminés vers l’Asie. »
Un regain des énergies fossiles?
Les nouvelles unités d’énergie renouvelables, elles, ne semblent pas en mesure de faire face à cette croissance de la demande mondiale d’électricité. Celle-ci « devrait croître de près de 5% cette année, après avoir chuté de 1% en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19, indique l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans un récent communiqué. Mais même si la production à partir d’énergies renouvelables comme l’hydroélectricité, l’éolien et le solaire devrait croître de 8% en 2021 et de plus de 6% en 2022, elle ne pourra répondre qu’à environ la moitié de l’augmentation prévue de la demande mondiale d’électricité. Le reste sera couvert principalement par des centrales utilisant des combustibles fossiles. »
Plus cher, le gaz naturel tire inévitablement le prix de l’électricité vers le haut. En 2020, à l’échelle de l’Union européenne, celui-ci constituait la deuxième source de production d’électricité (19,7%), derrière le nucléaire (24,8%) et devant l’éolien (14,4%). En Belgique, il génère même 34,4% de la production, selon les données compilées par Elia, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité à haute tension. A cela s’ajoutent d’autres facteurs conjoncturels, comme l’indique la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (Creg): ces derniers mois, des opérations de maintenance ont affecté les productions de la centrale hydro-électrique de Coo et de certains parcs éoliens, dont les rendements ont par ailleurs été globalement inférieurs en raison de conditions météorologiques défavorables. En ce qui concerne le gaz naturel, la combinaison de faibles réserves et d’un ralentissement de l’approvisionnement a encore accru la flambée des prix à l’échelle européenne. « Le gazoduc russe Yamal, qui achemine du gaz vers l’est de l’Allemagne, était hors ligne pour une maintenance planifiée du 6 au 10 juillet », mentionne la Creg, peu avant « une panne sur le gazoduc Nord Stream, ramenant à zéro les livraisons via cette route entre le 13 et le 25 juillet. »
Ces derniers mois, la Febeg et ses membres ont accordé 628 000 plans ou reports de paiements, pour une valeur totale de 369 millions d’euros. Nous avons aussi réduit les acomptes de 1,3 million de clients.
Dernier facteur spécifique à l’Europe, et non des moindres vu son caractère structurel: le prix de la tonne de CO2 sur le marché du système d’échange de quotas d’émission de l’UE (ETS, pour Emissions Trading System), censé contribuer à atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050. Hormis une baisse substantielle en 2020 lors du premier confinement, il n’a cessé d’augmenter depuis 2018, avant d’exploser ces derniers mois et de frôler la barre des 60 euros par tonne (voir graphique ci-dessus) . Logiquement, cette hausse a une influence directe sur le prix de l’électricité produite à partir de combustibles fossiles (pétrole, gaz, charbon) et sur les secteurs industriels à forte intensité énergétique. Si un tel prix était inattendu en 2021, les analystes prédisaient bien son augmentation progressive au fil des ans. Récemment, la Commission européenne a notamment estimé que le coût d’une tonne de CO2 pourrait s’élever à 85 euros en 2030. D’autres études avancent même un montant de 120 euros à cet horizon.
Les conséquences sur la facture des ménages
Jusqu’à l’échéance de leur contrat, il n’y en aura aucune pour les ménages qui ont choisi une formule à prix fixe (jusqu’à trois ans) pour l’électricité et/ou le gaz. La plupart sont dans ce cas, puisque celle-ci représente environ 65% des contrats d’électricité et 55% des contrats de gaz des ménages, selon la Creg. En revanche, les prix seront inévitablement revus lors du renouvellement ou du changement de contrat. « L’offre sera logiquement faite en tenant compte des paramètres du marché et des projections que le fournisseur fait pour le futur », commente Stéphane Bocqué. Après avoir bénéficié de prix particulièrement bas en 2020, les consommateurs ayant opté pour un tarif variable, indexé la plupart du temps tous les trois mois, verront plus rapidement une hausse sur leur facture. Pour ces contrats, les fournisseurs se tournent en général vers des marchés à court ou à moyen terme, distincts de ceux de long terme, sollicités pour les contrats à prix fixe.
L’influence des prix du marché sur le montant de la facture dépend du type d’énergie. La partie « énergie » représente moins de 30% d’une facture d’électricité et environ 50 à 60% d’une facture de gaz, poursuit la Creg. Le solde couvre les coûts de réseau (distribution et transport), les redevances diverses perçues par les autorités et la TVA de 21%, logiquement plus onéreuse pour le consommateur si le prix de l’énergie augmente. Compte tenu des nombreuses conditions des contrats, de leur date de souscription et des négociations de la part des fournisseurs, il est difficile d’estimer quelle sera la hausse exacte de la facture des ménages ou des consommateurs professionnels.
C’est un mythe de penser que le marché de l’énergie est une machine qui fonctionne toute seule, où il est facile de dégager des bénéfices. Les fournisseurs prennent, au contraire, des risques importants.
Le Vif a toutefois établi une estimation pour un ménage type consommant en moyenne 3 500 kWh d’électricité et 23 000 kWh de gaz naturel par an, soit les niveaux retenus par la Creg dans ses analyses. Dans l’hypothèse où celui-ci aurait souscrit un contrat fixe d’un an en juillet 2020, à un moment où les prix étaient particulièrement avantageux, il pourrait payer plus de 500 euros en plus par an, TVA incluse, en optant pour le même contrat dans les conditions actuelles du marché: environ 100 euros en plus par an pour l’électricité et 400 euros pour le gaz. Dans les prochains mois, la facture serait encore plus salée si les prix continuaient à augmenter. La réalité est toutefois plus complexe: si ce même ménage a choisi un contrat particulièrement onéreux en 2020, il pourrait tout de même trouver une meilleure offre à l’heure actuelle, malgré les prix beaucoup plus élevés du marché. Comme le montre le Creg Scan, un outil en ligne permettant de comparer son contrat par rapport aux formules actuelles, la différence entre l’offre la plus chère et la moins chère pour le gaz, en juillet 2021, s’élève à 350 euros par an pour un ménage moyen. Pour l’électricité, elle est de 260 euros.
Ne pas signer de contrat fixe
Que faire pour réduire la facture ou éviter une hausse trop importante? « De manière générale, la Creg conseille, durant cette période où les prix de l’énergie sont particulièrement élevés, de ne pas signer de nouveau contrat à prix fixe, indique sa porte-parole, Sophie Lenoble. En effet, le consommateur paierait le niveau de prix élevé tout au long de la durée du contrat. En revanche, les produits dont les prix de l’énergie sont variables ou indexés bénéficieront automatiquement de toute baisse éventuelle de prix futur au cours de la période contractuelle. Pour voir quelles offres sont intéressantes actuellement, nous conseillons d’aller sur un site de comparaison des prix en ligne des régulateurs régionaux ou labellisés par la Creg. »
Quelles sont les perspectives de prix pour les prochains mois? Quand diminueront-ils à nouveau? Personne ne peut l’affirmer avec certitude. Les marchés de l’énergie sont à ce point complexes que toute tentative d’en prédire la courbe, même à moyen terme, se vérifie rarement dans les faits. « Trop de paramètres entrent en compte, confirme Stéphane Bocqué. Entre les prévisions et la réalité, il y a parfois de grandes différences. On le voit dans l’évolution des prix ces dix dernières années. » Il y a trois ans, les prix s’étaient déjà brusquement envolés, en raison d’une hausse de la demande en gaz liée au coût plus élevé de la tonne de CO2 sur le marché ETS et aux réserves constituées anticipativement. A cela s’ajoutait une indisponibilité partielle d’unités nucléaires belges et françaises lors du dernier trimestre de 2018. « Entre décembre 2017 et décembre 2018, le prix de l’électricité (composante énergie uniquement) a augmenté en Belgique d’environ 40% pour les clients résidentiels et d’environ 36% pour les PME, indique le rapport annuel commun de 2018 des régulateurs belges. Les prix du gaz naturel ont grimpé de respectivement 28% et 29% pour les clients résidentiels et les PME. » Ils avaient ensuite baissé en deux vagues, jusqu’en mai 2020.
Des risques élevés pour les fournisseurs
L’incertitude inhérente aux prix sur les marchés s’avère également lourde de conséquences pour les fournisseurs d’énergie, puisque ceux-ci doivent acquérir en suffisance des volumes d’électricité et de gaz sans connaître à l’avance les prix du marché, ni les niveaux exacts de consommation de leur portefeuille de clients. « Un fournisseur a l’obligation de prévoir assez d’énergie pour ses clients à chaque instant, souligne Stéphane Bocqué. S’il n’y arrive pas, il s’expose à des pénalités assez importantes. Mais si les volumes dont il dispose sont trop importants par rapport à la demande, il doit les revendre au prix du marché. C’est donc une mission particulièrement complexe, d’autant que la Belgique se caractérise par un haut taux de mobilité de la clientèle, parmi les plus élevés d’Europe. »
Un ménage type pourrait payer plus de 500 euros en plus par an en optant pour un contrat fixe dans les conditions actuelles du marché.
La crise sanitaire illustre ce défi en tout point. En 2020, les fournisseurs ont été contraints de revendre à perte une très grande part des volumes d’électricité et de gaz qu’ils avaient acquis, vu la baisse drastique de la demande lors des périodes de confinement successives. « Il faut des sociétés avec des reins suffisamment solides pour jouer sur ce marché très volatil de l’énergie, témoigne Bénédicte Lefebvre, responsable Energie Marketing & Sales chez Engie. C’est un mythe de penser qu’il s’agit d’une machine qui fonctionne toute seule, où il est facile de dégager des bénéfices. Les fournisseurs prennent, au contraire, des risques importants, qu’il faut gérer en permanence. »
Des ménages jusqu’aux plus grandes entreprises, cette hausse de prix rappelle avec force la nécessité de réduire autant que possible leur facture de manière structurelle. « Dans ce contexte, les fournisseurs deviennent de plus en plus des conseillers en efficacité énergétique, conclut Stéphane Bocqué. Parmi les solutions proposées, on peut citer l’autoproduction d’énergie, les thermostats intelligents, les systèmes de chauffage plus performants, l’isolation… Chacun peut faire un effort en ce sens, d’autant que ces placements rapportent bien plus que l’argent placé sur les comptes d’épargne, même avec une baisse du niveau de soutien ou de sa disparition dans le cas des panneaux photovoltaïques. » Ces investissements sont loin d’être à la portée des ménages et des entreprises qui ont subi de plein fouet la crise sanitaire. Mais plus que jamais en 2021, la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas.
Les modules photovoltaïques 10% plus chers
Après une forte baisse ces dernières années, le prix des panneaux photovoltaïques repart à la hausse. « Certains installateurs commencent déjà à gonfler la facture de leurs clients, écrit le fournisseur Lampiris sur son blog. Comptez un montant de 8 à 10% plus cher qu’à la normale. » Deux raisons à cela: d’une part la pression exercée sur certaines matières premières nécessaires à leur fabrication (métal, cuivre, silicium…), liée à la relance économique, de l’autre une hausse des coûts d’acheminement des modules photovoltaïques de l’Asie vers l’Europe. La hausse des prix affecte également certaines pièces détachées, notamment pour les chaudières. Elle semble toutefois conjoncturelle.
L’impossible débat sur la tarification carbone
Depuis des années, de nombreux experts s’accordent sur la nécessité de mettre en place une tarification carbone, afin d’accélérer l’immense défi de l’efficacité énergétique, l’un des piliers indispensables pour la transition vers une société bas carbone. Le principe: financer des projets résidentiels ou professionnels d’isolation, d’autoproduction et de réduction des émissions de gaz à effet de serre en prélevant une quote-part supplémentaire sur les combustibles fossiles. « C’est en quelque sorte un tax shift énergétique, résume Fawaz Al Bitar, directeur général d’Edora, la Fédération des énergies renouvelables. Il nous semble logique que les sources d’énergie les plus polluantes se voient affectées par une tarification reflétant leur impact environnemental. Le fait de ne pas internaliser ces coûts externes constitue un soutien détourné à leur égard. »
Cette tarification serait complémentaire au système européen ETS, puisque que celui-ci ne cible, à l’heure actuelle, que les secteurs à forte intensité énergétique. Plusieurs modèles existent déjà. En Suisse, par exemple, une partie du produit de cette tarification est même reversée directement aux consommateurs. En Belgique, cette réflexion est au point mort. « On est confronté à un immobilisme du monde politique, poursuit Fawaz Al Bitar. En début de législature, Zakia Khattabi (NDLR: la ministre fédérale du Climat, Ecolo) avait tenté de relancer le débat, mais elle avait directement dû faire marche arrière. » Mal conçue ou mal communiquée, cette tarification mènerait légitimement à une opposition similaire à celle des gilets jaunes, puisqu’elle affecterait le budget des ménages sans contrepartie suffisante. « Beaucoup utilisent le prétexte des ménages précarisés et de certaines sociétés en difficulté pour ne pas avancer, regrette le directeur général d’Edora. Or, il est tout à fait possible de les accompagner en ce sens. » Une tarification carbone sociale, en quelque sorte, voire inexistante pour les plus faibles revenus. Mais si les idées ne manquent pas, le débat semble verrouillé politiquement.
Les efforts du secteur pendant la crise
Jusqu’à la fin de cette année, près d’un client particulier sur cinq bénéficie du tarif social sur l’électricité et le gaz, indique la Fédération belge des entreprises électriques et gazières (Febeg). Le SPF Economie a en effet décidé de l’ouvrir temporairement aux bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM), vu la crise économique liée à la Covid-19. « En plus de cela, la Febeg et ses membres ont accordé 628 000 plans ou reports de paiement aux clients résidentiels et professionnels, pour une valeur totale de 369 millions d’euros. Nous avons aussi réduit les acomptes de 1,3 million de clients. » Bon nombre de factures ont ainsi été revues à la baisse ces derniers mois. « Et c’est exactement que ce nous sommes en train de faire à présent pour les victimes des inondations, souligne Bénédicte Lefebvre, responsable Energie Marketing & Sales chez Engie. Dans certains cas, les forfaits sont, par exemple, remis à zéro. Nous n’abandonnons pas les clients dès qu’ils ne peuvent pas payer leur facture. » Ce type d’accord avec les fournisseurs se fait au cas par cas, à la demande des clients.
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