Pourquoi les communes ont-elles si peur de la transparence ? (analyse)
Contraindre les communes à publier en ligne, avant chaque conseil communal, les projets de délibération relève du parcours du combattant. Mais une proposition de décret est, enfin, sur les rails parlementaires. Elle suscite toutefois une vive opposition de certains élus et de l’Union des villes et communes, qui estime que davantage de transparence à ce niveau n’est pas forcément nécessaire…
Annoncer dans le détail ce dont on va débattre lors du prochain conseil communal, quel démocrate peut raisonnablement s’y opposer? Pourtant, comme le montre notre enquête, les résistances sont nombreuses. La proposition de décret que le CDH a déposée en juillet 2020 pour obliger les communes à mettre en ligne, une semaine à l’avance, les projets de délibérations des conseils communaux fait l’objet de vives tractations. Ces projets sont censés permettre aux conseillers de préparer leurs interventions et leurs votes.
L’idée du décret est, dans un souci de transparence, de les rendre accessible à tous les citoyens. Le texte atterrit au parlement de Wallonie cette semaine. Les partis de la majorité et le CDH sont parvenus à s’accorder sur une mouture que tous les députés vont maintenant examiner. De nombreuses auditions ont déjà eu lieu au parlement, au printemps dernier.
Dans les communes, même petites, qui publient déjà les projets de délibération, on assure que cela n’exige pas vraiment un surcroît de travail.
Où cela coince-t-il? Difficile de distinguer les arguments d’ordre pratique des plus politiques. La transparence ne semble pas une priorité pour tout le monde. En particulier, l’Union des villes et communes de Wallonie (UVCW) qui a freiné des quatre fers. Son président et bourgmestre de Braine-le-Comte, Maxime Daye (MR), a expliqué au parlement, en avril dernier, que « le premier rempart du contrôle démocratique était les citoyens élus qui ont osé s’engager politiquement pour assumer des responsabilités au sein de leur commune ». Il soulignait aussi que, vu la méfiance actuelle à l’égard du politique, les candidats aux élections se bousculaient de moins en moins au portillon.
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Peur du changement
L’argument paraît curieux, alors que c’est justement pour lutter contre cette méfiance et éviter que des citoyens pensent que les élus ont quelque chose à cacher que davantage de transparence est nécessaire. Benoît Dispa (CDH), un des auteurs de la proposition de décret, avait rétorqué qu’il y voyait simplement une « peur du changement ». Aujourd’hui, il qualifie « la frilosité de l’UVCW » de « malencontreuse ». « Il s’agit là sans doute d’une posture défensive et conservatrice », nous confie celui qui est aussi bourgmestre de Gembloux.
Maxime Daye a finalement accepté de répondre aux questions du Vif et du Soir, notamment sur la nécessité de recoller les morceaux avec des citoyens désenchantés. « Le citoyen, on l’écoute H24, assure-t-il. Il n’y a pas de répit pour un bourgmestre, même la nuit. Je ne vois pas ce qu’il faut de plus pour recoller les morceaux. Publier les projets de délibérations, avec des termes techniques, je ne suis pas certain que ça donnera une grande envie aux gens de s’intéresser à la politique. Il n’y a que deux ou trois intellos qui sauront s’y plonger. Essayons plutôt de vulgariser davantage, de renforcer les cellules de communication dans les villes et communes, mais ça nécessitera des moyens. »
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Sentiment d’épuisement
Benoît Dispa, qui a été vice-président de l’UVCW, reconnaît que les mandataires sont sous pression depuis longtemps, encore plus depuis l’épidémie de Covid-19. « Il y a chez eux un sentiment d’épuisement qu’il faut entendre, même si cela ne doit pas faire obstacle aux avancées démocratiques », dit-il sans balayer tous les arguments de l’UVCW. Même son de cloche du côté du cabinet du ministre des Pouvoirs locaux qui a servi d’interface dans ce dossier difficile: « La transparence est un principe essentiel en démocratie à partir du moment où on gère la chose publique, lance Christophe Collignon (PS). Mais c’est vrai qu’après les auditions au parlement, on s’est rendu compte qu’il fallait un juste équilibre entre ce principe essentiel et la praticabilité des choses pour toutes les communes. »
La surcharge de travail et la protection de la vie privée sont deux arguments souvent avancés par les communes – directeurs généraux en tête – qui se montrent récalcitrantes ou sceptiques envers la publication des projets de délibération. Au parlement, le président de la fédération des DG a expliqué que soixante-neuf communes wallonnes comptent moins de cinq mille habitants et cent cinquante moins de dix mille. Or, selon lui, dans ces petites communes, le directeur général est seul à gérer l’aspect « secrétariat » du collège et du conseil communal. Toutefois, dans les communes, même petites, qui publient déjà les projets de délibération, on nous explique que cela n’exige pas vraiment un surcroît de travail, ces projets étant de toute façon rédigés pour les conseillers et triés en fonction des parties publiques et à huis clos.
En outre, l‘intercommunale Imio, qui équipe plus de cent soixante communes avec un logiciel de gestion des réunions et délibérations, a mis au point le portail deliberations.be permettant, en un minimum de clics, la mise en ligne des projets de délibération avant et des décisions après chaque conseil communal. Au dernier salon des mandataires, Municipalia, fin septembre, le directeur d’Imio a été assailli de questions sur ce portail qui compte actuellement vingt communes, alors qu’une vingtaine d’autres sont en cours d’installation: « Des dizaines de représentants communaux se sont intéressés aux côtés pratiques et, surtout, à la nouvelle fonctionnalité destinée à anonymiser automatiquement certains éléments« , témoigne Frédéric Rasic. Grâce à un style « données à caractère personnel », à l’instar des styles « gras » ou « italique », le rédacteur des projets indique les zones qui apparaîtront hachurées lors de la mise en ligne. Un jeu d’enfant.
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Argument folklorique
Outre l’aspect chronophage et les contraintes du Règlement général sur la protection des données (RGPD), nombre de communes pointent encore, on l’a vu lors de notre enquête, le risque de confusion entre les projets de décision et les décisions elles-mêmes. « Les projets sont, par essence, des documents inachevés et incomplets, a souligné Maxime Daye au parlement. Leur communication peut être source de méprise. » Dans les communes qui publient ces projets, il est bien indiqué en filigrane en travers des documents et à l’en-tête qu’il s’agit de… projets. Impossible de le louper. « Autant la surcharge de travail est une réalité, a fortiori avec les inondations, autant l’argument sur le risque de confusion me paraît vraiment folklorique, tranche Stéphane Hazée, chef de groupe Ecolo. Personne ne s’offusque des déclarations politiques dans la presse annonçant des décisions comme si elles étaient déjà prises… »
Certains avaient espéré voir les échéances reportées jusqu’aux prochaines élections communales en 2024. Ce ne sera pas le cas.
Quoi qu’il en soit, la proposition de décret est sur les rails. Relevons que le texte actuel ne prévoit pas de sanctions spécifiques, alors qu’il avait été question, au départ, d’une retenue sur les rétributions des membres du collège en cas de non-respect du décret. C’était une crainte de nombreux bourgmestres. « Il fallait éviter que cela paraisse infantilisant et privilégier l’adhésion volontaire », reconnaît Benoît Dispa. La tutelle régionale jouera néanmoins un rôle de contrôle et épinglera les réticents dans son rapport annuel au parlement. Autre point d’accroche: les documents annexes aux projets de délibération. La question de la publication de ces annexes n’a pas été réglée. Le texte actuel n’en dit rien. Cela pourra encore être débattu en commission des pouvoirs locaux.
Avant les élections
Enfin, les délais d’application du décret ont aussi été très discutés. In fine, trois seuils sont prévus, avec des dates fermes. Pour autant que l’adoption du texte en séance plénière intervienne avant la fin de l’année, la publication des projets de délibération devra être effective dès le 1er avril 2022 dans les grandes villes (de plus de cinquante mille habitants), dès le 1er janvier 2023 dans les communes moyennes (entre douze et cinquante mille habitants) et dès le 1er juillet 2023 dans les plus petites (moins de douze mille habitants), soit la majorité des communes. Certains avaient espéré voir les échéances reportées jusqu’aux prochaines élections communales, en 2024. Ce ne sera pas le cas. Le législateur a néanmoins voulu tenir compte des réalités et moyens différents des communes en fonction de leur taille.
Gageons que, de son côté, l’association Transparencia, également auditionnée au parlement de Wallonie et qui a beaucoup milité pour voir aboutir ce projet, restera vigilante quant à sa mise en place, au risque d’énerver certains mandataires. Sa cheville ouvrière, Claude Archer, compte aussi, à l’avenir, développer la transparence communale au-delà de la Wallonie et Bruxelles via d’autres partenariats journalistiques: en Flandre pour commencer, avec le site d’information Apache. Devraient suivre le nord de la France, avec Mediacités, le Luxembourg, avec Reporter.lu, et la Suisse, avec Blick.
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