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Pourquoi le Sofagate est désastreux pour Charles Michel et pour l’Union européenne

Olivier Mouton Journaliste

L’incident diplomatique avec la Turquie entache la crédibilité du président du Conseil, donne une piètre image du respect de la femme et, cerise sur le gâteau, mine l’effort de rapprochement avec Ankara.

C’est un message reçu alors que la tempête du Sofagate ne cessait plus de faire couler de l’encre: « Père Lachaise politique pour Charles Michel, en quelque sorte. » Elle n’émanait pas d’un rival historique, mais bien d’un fidèle de la première heure. Comme un signe: l’heure est grave.

Le président du Conseil européen s’est longuement justifié, jeudi soir encore sur LN24, après cette image désastreuse de sa « goujaterie » apparente, lors de la rencontre au sommet avec le président turc Erdogan et la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, laissée à l’écart sur un canapé au début des discussions. Après qu’elle ait manifesté son incrédulité.

Jamais, sans doute, la forme d’un « incident diplomatique » n’aura éclipsé autant le fond. L’épisode s’avère effectivement désastreux pour Charles Michel, mais également pour l’Union européenne.

1. L’image de Charles Michel abîmée

Sa nomination à la tête du Conseil européen était, à juste titre, considérée comme une consécration. Conspué sur la scène politique belge pour son alliance avec les nationalistes flamands de la N-VA, Charles Michel a obtenu ce bon de sortie, il y a deux ans et demi, après s’être dépensé sans compter sur la scène européenne. Il a reçu l’appui du président français, Emmanuel Macron, et de la chancelière allemande, Angela Merkel, sans compter le soutien de ses amis du Benelux. Un tapis rouge.

Depuis deux ans, Charles Michel travaille d’arrache-pied, dans un contexte rendu très compliqué par la pandémie et le contexte géopolitique, notamment le Brexit: il consulte tous les pays, écoute attentivement les petits et, surtout, insiste pour maintenir un dialogue ave tous, y compris ces démocraties « illibérales » de l’Est, la Russie ou la Turquie. Son travail de conciliation, il l’assume, en permanence.

Mais pendant ce temps, le leader libéral souffre d’un manque de reconnaissance: comme en Belgique, on le considère à nouveau au niveau européen comme « le jouet » des grands (il était déjà considéré, chez nous, comme étant celui de Bart De Wever et de la N-VA). Dommage collatéral: il ne « passe plus » en Belgique et ne figure plus dans les baromètres de popularité. Comme si cela ne suffisait pas, il doit se battre pour exister face à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. L’ambition des deux se rejoint, mais leur espace est concurrentiel.

Ceci explique-t-il cet empressement manifeste, sur les images, à s’asseoir sur l’un des deux seuls sièges disponibles face à Erdogan? Charles Michel s’est longuement justifié, il évoque les règles protocolaires et une situation de « fait accompli », imposé par les services diplomatiques turcs. Et souligne sa volonté de ne pas avoir voulu créer un incident plus important, sur le moment. Tout cela se comprend, mais il laisse désormais l’image d’un sale goujat, d’un ambitieux voulant s’imposer dans la rivalité intra-européenne ou d’un maladroit poussé à la faute par Erdogan et attaqué frontalement par tous ses rivaux politiques: le « bad buzz » par excellence.

Charles Michel n’a visiblement pas compris non plus l’importance du nouveau combat féministe. Même s’il s’en défend et rappelle, à juste titre, avoir permis à Sophie Wilmès de devenir la première Première ministre belge. Le voilà confronté à la « cancel culture » de notre époque. Avec un parlement européen échaudé et un sparadrap qui va lui coller longtemps à la peau. Sans oublier des adversaires politiques belges réveillés, alors qu’ils le regardaient de loin.

Son « Père Lachaise » politique?

2. La crédibilité de l’Union européenne abîmée

Derrière son image, c’est toute l’Union européenne qui tressaille, à tous les étages.

D’une part, sa relation avec la présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen, risque d’être durablement affectée. Charles Michel lance du « Ursula » à toutes les phrases, mais le porte-parole de l’Allemande avait immédiatement relevé l’importance de l’incident: « Elle a décidé de passer outre et de donner la priorité à la substance. Mais cela n’implique pas qu’elle n’accorde pas d’importance à l’incident« .

Comme le souligne Le Soir, « c’est évidemment le camp politique d’Ursula von der Leyen – le groupe PPE de centre droit, première force au Parlement européen – qui s’est indigne le plus rapidement. « La visite à Ankara des présidents aurait dû être un message de fermeté et d’unité de l’approche de l’Europe à l’égard de la Turquie, a réagi le chef de groupe, l’Allemand Manfred Weber. Malheureusement, elle a abouti à un symbole de désunion. Il réclame un débat en séance plénière du parlement européen, « en présence des deux présidents ». En Belgique, le président du CD&V a sobrement posté… une image de trois chaises, qui dit tout.

https://twitter.com/joachimcoens/status/1379879557516427265Joachim Coenshttps://twitter.com/joachimcoens

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D’autre part, l’intention initiale de Charles Michel vire au fiasco intégral. Car sur le fond, il s’agissait d’un moment important. « Notre visite marquait un moment important dans le processus complexe d’amélioration des relations de l’Union européenne avec la Turquie, expliquait-il. Elle a été le résultat d’une préparation minutieuse, et d’un travail diplomatique mené depuis des longs mois pour ramener ce pays à une approche plus constructive dans son rapport à l’UE. »

Patatras, le résultat obtenu est tout l’inverse. La Turquie a fustigé jeudi des « accusations injustes » après l’affront protocolaire. En précisant, malicieusement: « Les demandes de l’UE ont été respectées. Cela veut dire que la disposition des sièges a été réalisée à leur demande. Nos services du protocole se sont rencontrés avant la réunion et leurs demandes (de l’UE) ont été respectées. » Le rapprochement est remis en cause. Et par ricochet, les tensions s’aggravent à tous les étages: la Turquie se fâche avec l’Italie parce que son Premier ministre, Mario Draghi, a qualifié Erdogan de dictateur ».

Quant à l’autre intention de fond, la nécessaire fermeté de l’Europe au sujet des valeurs démocratiques et des droits des femmes, c’est peu dire qu’elle s’est abîmée dans le précipice de ces trois chaises.

En réalité, c’est comme si Charles Michel était tombé dans un piège, tendu par la Turquie et/ou par les adversaires d’un tel rapprochement. Un ponte du MR nous disait jeudi que l’impact sur l’image de Charles Michel était effectivement désastreux, en ajoutant « mais il n’en est pas responsable ». Peut-être. Mais il paye, au minimum, une erreur d’appréciation, de taille.

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