Pop, tops et flops (3/6): Wallace Collection
Signés par le label anglais des Beatles, les six membres originaux du Wallace enregistrent à Abbey Road en 1969. Notamment un Daydream qui flirte alors avec une faramineuse gloire internationale. Avant l’effritement progressif.
» On se produisait à Athènes dans un énorme amphithéâtre, devant quatre-vingt mille spectateurs. Et au premier rang, que des militaires. C’était étrange et intimidant. On a commencé à jouer et puis, tout à coup, un type est monté sur scène, s’est emparé du micro, et j’ai cru comprendre qu’il louait la présence de l’armée : on était en pleine dictature des colonels. Cela nous a mis vraiment mal à l’aise. Quand il a voulu revenir faire le même numéro, je lui ai mis un coup de guitare dans l’estomac et il a dégagé. » C’était en juin 1969.
Cinquante-et-un ans plus tard, Sylveer Vanholme – tout le monde l’appelle Sylvain – est assis dans le foisonnant jardin de son arrière-maison ixelloise. Sans le vouloir, parmi les pays ayant vibré à Daydream, adaptation pop-classique à l’irrésistible refrain inspiré du Lac des cygnes de Tchaikovski, se trouvent l’Espagne, le Portugal, le Brésil et donc la Grèce. Tous, à l’époque, sous férule de régimes militaires, si pas carrément fascistes, auxquels le Wallace apporte un courant d’air frais qui séduit la jeunesse. Vanholme confesse : » Dans la furie de l’époque, on ne s’est pas forcément rendu compte des implications politiques. Le tourbillon des concerts était insensé puisqu’un jour, on pouvait être au Midem de Cannes et le lendemain, avoir une télévision à Hilversum, aux Pays-Bas… En voyageant dans un minibus. »
Le Wallace n’était pas un groupe d’amis, mais de musiciens, chacun fort dans sa partie…
La veille de la rencontre avec Sylvain, l’un des six originaux du Wallace, le claviériste Marc Hérouet, annule notre rendez-vous à la suite d’un souci de santé, tandis que le bassiste Christian Janssens reste aux abonnés absents. Ce sont les trois survivants du Wallace Collection » historique » puisque Freddy Nieuland, vocaliste-batteur, Raymond Vincent, violoniste, et Jacques Namotte, violoncelliste, sont partis rejoindre Elvis et Tchaikovski.
Orchestre national
Sylvain Vanholme (Furnes, 1943) expérimente les sixties à Ostende, chambre d’écho de la pop d’outre-Manche. Mais très vite, le guitariste-compositeur s’installe à Bruxelles où, avec le Sylvester’s Team, il explore la vaste galerie des galères belges de l’époque. » J’ai longtemps travaillé dans une compagnie d’assurances, y compris jusqu’au Wallace, parce que faire de la musique, dans les années soixante, c’était juste décrocher de l’argent de poche. » Vanholme a l’idée hurluberlue de vouloir marier la culture rock en cours à l’univers classique. Il pose une annonce dans un bar bruxellois pour recruter deux violonistes. Se présente Raymond Vincent, premier pupitre à l’Orchestre national de Belgique. Pointure majeure qui amène un violoncelliste en la personne de son collègue de l’ONB, Jacques Namotte. Le groupe est bouclé, la chimie également. » Il y a eu quelque chose d’unique, d’exceptionnel, dans la combinaison de ces six musiciens, c’était cela le vrai Wallace « , confie Sylvain.
Impossible de retracer le parcours du groupe sans évoquer Jean Martin (1932-2018), imprésario hâbleur qui programme des shows aux quatre coins de la Belgique via son Secrétariat des artistes . Il a déjà booké le groupe précédent de Sylvain. Qui accepte qu’il s’occupe du Wallace à une condition : que le groupe soit enregistré en Grande-Bretagne, pas dans les antiques studios belges ! Martin boucle à ses frais une maquette de cinq morceaux et ensuite, c’est la commedia dell’arte à la belge : Martin, qui ne parle pas anglais, obtient un rendez-vous à Londres chez EMI et, dans un sabir franco- néerlando-anglais, convainc le prestigieux label d’envoyer un émissaire à Bruxelles.
Déboule un jeune producteur australien, David MacKay, qui assiste à une prestation du groupe aux Gémeaux, boîte vintage du boulevard du Souverain. Impressionné, le voilà relayant à EMI-Londres la nouvelle – surprenante – qu’un groupe belge pourrait faire un malheur international. Le contrat est signé, dans d’aussi pingres conditions que celles octroyées aux Beatles – 2% de royalties… – à partager en sept puisque Jean Martin s’est constitué en membre à part entière du Wallace. Mais le studio est celui d’Abbey Road et l’ingénieur du son, Geoff Emerick, titulaire du poste chez les Beatles depuis 1966.
Sylvain Vanholme a l’idée hurluberlue de vouloir marier la culture rock en cours à l’univers classique.
Daydream, vendu dans une quinzaine de pays à au moins deux millions d’exemplaires, entraîne les Bruxellois dans une folle sarabande. Eve Goffoy, ex-femme de Raymond Vincent, témoigne : » Ils enchaînaient les concerts dans un planning absurde qui pouvait être Londres un jour, Houffalize le lendemain, puis retour à Londres. Voyageant souvent de nuit et débarquant le matin pour bosser d’emblée dans une télé ou autre. Ils étaient épuisés et, en plus, Martin n’hésitait pas à les monter les uns contre les autres. Notamment lors d’un trip de six semaines au Brésil où il a fait courir des rumeurs sur la fidélité de certains des musiciens. Martin donnait l’impression d’avoir décroché la timbale pour être au sommet du monde mais une fois qu’il y est arrivé, il n’a plus trop su quoi en faire. »
De Londres à Hamoir
Témoin lui aussi de cette dinguerie, Daniel Lempereur, dit Phil, est engagé par Martin fin 1968, pour être roadie- technicien-régisseur-chauffeur du Wallace. Cela durera deux grosses années : » Le Wallace n’était pas un groupe d’amis, mais de musiciens, chacun fort dans sa partie… Quand ils étaient réunis pour faire de la musique, c’était formidable. Et puis, il y avait des excentriques comme Namotte, le violoncelliste, qui s’est plusieurs fois endormi avant un concert, par exemple sur une pelouse proche de la salle. Et qui s’est mis une fois à improviser un peu n’importe quoi sur scène avant le show : le public, très enthousiaste, pensait que cela faisait partie de l’act ! »
Le marché français, en particulier, accroche au Wallace. Claude François adapte Daydream en Rêverie qui devient un tube avant que les Bruxellois n’en donnent leur propre version française. Les connexions dans l’Hexagone se font davantage dans le registre variétés que rock : le Wallace passe en vedette américaine de Joe Dassin à l’Olympia à l’automne 1969 et part à l’hiver-printemps 1970 avec Johnny Hallyday, qui se montre généreux avec le groupe. C’est lors d’un break de ce périple – Johnny récupère d’un accident de voiture – que Christian Janssens et Jacques Namotte, désinvestis et épuisés, sont remerciés. Marc Hérouet, le claviériste essentiel du Wallace, dira plus tard : » Leur départ a, en quelque sorte, sonné la fin du véritable Wallace Collection et de sa production musicale originale (1). » D’autant que depuis le vol à Londres du camion contenant le gros du matériel son, non assuré, en juillet 1969, le groupe est lourdement endetté, le salaire des musiciens ne correspondant nullement à leur succès. Comme celui décroché en mars 1970 devant des milliers de jeunes Portugais, proches de l’hystérie, à Lisbonne et Porto.
Claude François adapte Daydream en Rêverie qui devient un tube avant que les Bruxellois n’en donnent leur propre version française.
Tout cela ne gomme pas la valse de remplacements de musiciens qui finissent par diluer l’identité du groupe : aux côtés des quatre Wallace d’origine, John Valcke (basse), Dennis Van Hecke (violoncelle), Serge Ghazarian (alto), Guido Everaert (violoncelle), Guy Delo (claviers), Nick Roland (basse) se succèdent en une seule année. Pris dans une tornade de concerts tous azimuts : du prestigieux Speakeasy londonien à un festival boueux à Hamoir, de Bratislava avec Cliff Richard au bal du bourgmestre Guy Cudell à Saint-Josse. Marc Hérouet quitte le navire en septembre 1970. Six mois plus tard, Sylvain Van Holme et Raymond Vincent partent à leur tour, après une ultime tournée, chaotique, au Brésil. Où Paul Simon, bluffé par le Wallace, propose aux Bruxellois d’emménager un an durant aux Etats-Unis, avec femmes et enfants, assurant de guider sa carrière, artistiquement et professionnellement. Jean Martin dira non.
Il y aura bien quelques tentatives ultérieures de perpétuer l’affaire comptable autour du seul rescapé original, Freddy Nieuland, la voix céleste de Daydream et de son petit frère Serenade. Et même un ultime come-back, début 1991, rassemblant cinq des six membres de la toute première formation – augmentée de deux nouveaux instrusmentistes – pour un nouveau single rappelant les mélodies anciennes, Velvet Moon. Et un concert enthousiaste au Palais des beaux-arts de Bruxelles. Mais rien n’en sortira. Le fameux quart d’heure de gloire warholien, ou simplement bruxellois, est définitivement consommé.
(1) Dans l’histoire du Wallace Collection racontée en détails, notamment via les carnets de Marc Hérouet, sur memoire60-70. be
Le Wallace original ne publie que deux vrais albums, Laughing Cavalier, en 1969, et Wallace Collection, l’année suivante. Un troisième disque, avec les remplaçants de Namotte et de Janssens, paraît en 1970 : la BO du film La Maison de Gérard Brach. Un demi-siècle plus tard, Laughing Cavalier – remastérisé et réédité en vinyle en 2017 – reste une pièce étonnante : hormis l’archiclassique Daydream, la diversité stylistique des titres, l’inventivité sonore, indiquent clairement que le Wallace aurait pu être un Electric Light Orchestra avant la lettre. Après la débandade du groupe, en février 1971, les destins se jouent dans le contraste. Sylvain tire au mieux son épingle du jeu, commercialement parlant, via la saga Two Man Sound, reprenant les parfums brésiliens en versions variétés. Fonds de pension assuré. Marc Hérouet, après une autre tentative pop (Salix Alba), va s’épanouir dans le piano jazz. Restent Christian Janssens, qui file vivre un anonymat au Luxembourg, l’aîné Namotte (1939 – 2012) part dans des circonstances douloureuses, tout comme Freddy Nieuland (1944 – 2008), mort d’un cancer. Quid de Raymond Vincent ? Après trois albums réalisés en Angleterre entre 1973-1975 avec sa formation Esperanto, le violoniste est engagé à l’orchestre de La Monnaie où il s’ennuie ferme. S’installe alors chez Raymond une misanthropie qui aboutira au syndrome de Diogène. Il y a deux ans, il a tiré sa révérence. Il avait 75 ans.
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