Podcasts, cours en ligne en direct, forum : comment s’organise l’enseignement supérieur face à la crise sanitaire ?
La décision de ne plus ouvrir les auditoires des universités pour le reste de l’année académique a été confirmée. Au menu des prochaines semaines : cours à distance. Comment s’organisent le monde académique et les étudiants face à cette nouvelle manière d’enseigner ?
Les étudiants ne reprendront pas les cours dans les auditoires après les vacances de Pâques. La décision a été confirmée ce lundi à l’issue d’une réunion par vidéoconférence entre la ministre francophone de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny (MR), les recteurs des universités, les patrons des établissements supérieurs et les représentants des étudiants.
La Fédération des étudiants francophones (FEF), est, quant à elle, assez perplexe à l’annonce des universités de maintenir les cours à distance : « les universités ne répondent pas aux questions que les étudiants se posent (les examens, les stages). Cela ne permet pas aux étudiants d’évoluer dans un environnement serein ou de diminuer les inquiétudes », affirme Chems Mabrouk, Présidente de la FEF. Recteurs et ministres ont annoncé qu’ils organiseraient les examens dès que l’on en saurait davantage sur une éventuelle prolongation du confinement.
Du côté des enseignants et des étudiants, on s’organise pour faire face à cette nouvelle forme de travail.
Podcasts, cours en direct, forum de discussions
La FEF dénonce les méthodes différentes des professeurs : « certains donnent des textes, d’autres des travaux, d’autres des cours par vidéoconférence. Chacun y va de sa méthode alternative, les techniques sont disparates ».
Selon Benoît Heinrichs, professeur de chimie et thermodynamique à la Faculté des Sciences appliquées de l’Université de Liège : « c’est un changement majeur, mais on (ndlr : les professeurs) s’est mis massivement aux podcasts. Il s’agit de cours enregistrés. À titre personnel, mes cours sont enregistrés jusqu’à la fin d’année. Cela permet également de laisser la place dans les amphis afin que tout le monde puisse enregistrer ses cours. » À côté des podcasts, « nous avons une plateforme nommée ‘e-campus’ où les étudiants peuvent télécharger divers documents et échanger sur un forum. C’est également sur cette plateforme qu’on partage les travaux et exercices à faire. »
Sofia est étudiante en master en sciences politiques à l’UCL, elle confie que le rythme est plus lent, car il faut s’assurer, lors d’un cours sur Teams (équivalent de Skype au sein de la Suite Office) que tout le monde a bien coupé son micro, car cela fait trop de bruit, ou a bien entendu une information pour le prochain cours. Selon l’étudiante, « tout le monde doit s’adapter, mais j’admire les professeurs qui le font, car cela ne doit pas être facile pour eux ».
Au niveau des méthodes, Sofia confie qu’un des cours qu’elle suit en auditoire se donne dorénavant via un enregistrement du professeur et qu’un travail est à réaliser ensuite : « Beaucoup de travaux prennent la place de cours ex cathedra. Cela peut être compliqué, surtout lorsqu’il s’agit de travaux de groupe. Cela nous (les étudiants) demande aussi de l’organisation ».
Clarisse est étudiante en master complémentaire en droits de l’homme à horaire décalé à l’Université Saint-Louis. Selon elle, il y a une bonne volonté des professeurs, mais ils ne sont pas tous sur les mêmes plateformes : « certains utilisent Teams – le mot d’ordre est d’utiliser Teams -, d’autres Dropbox ou WeTransfer. » « L’idéal serait d’avoir des syllabus complets pour tous les cours et le cours en ligne en plus », affirme-t-elle.
Des problèmes techniques
À propos des cours en ligne, « il y a des problèmes techniques, plusieurs étudiants n’ont pas d’endroit calme pour travailler chez eux. »
En ce qui concerne les problèmes techniques, Benoît Heinrichs rassure : « il n’y a pas de gros problèmes. Parfois, le système est saturé. Il faut s’armer d’un peu de patience. » Même son de cloche du côté de Sofia, une étudiante de l’UCL : « globalement ça va. Il n’y a pas de gros problèmes ».
Un informaticien de l’UCL rassure : « Des tests ont été effectués avant le confinement, mais jamais avec autant de personnes connectées sur nos plateformes, mais tout tient. »
Garder le contact
« Il est évidemment important de garder le lien avec les étudiants, via les forums de discussions après un podcast pour les cours. Je pense aussi que ce doit être le cas pour les étudiants en stages qui doivent défendre le rapport de stage ou ceux qui sont en train d’écrire leur mémoire. La visioconférence permet de garder également ce contact. » affirme Benoît Heinrichs.
Le contact est également maintenu du côté de l’UCL où « le directeur de programme reste à notre disposition et les professeurs sont plus ou moins réactifs et globalement présents pour nous par email ou via teams que l’université nous demande d’utiliser », assure Sofia, étudiante en sciences politiques.
Même heure de cours que d’habitude
« Certains professeurs ont gardé les horaires qu’ils avaient lorsqu’ils dispensent leur cours à distance ou envoient un mail aux étudiants pour spécifier de l’heure à laquelle il dispensent leur cours », affirme la FEF.
C’est ce que confirme Clarisse, étudiante en master complémentaire en droits de l’homme en horaire décalé : « certains professeurs veulent donner cours à l’heure où ils donnaient leur cours, en direct, de 17h30 à 20h30. Ce n’est pas toujours évident. Le professeur le plus bienveillant, jusqu’à présent, est celui qui a enregistré son cours et qui répond aux questions via le forum de discussions aux heures de cours ».
La question des examens
Du côté du personnel enseignant, c’est la grande inconnue : « aucune directive officielle n’a été donnée« , précise Benoît Heinrichs. Plusieurs scénarios se dessinent : « soit le confinement se termine et il y aurait une potentielle formule sur base présentielle, mais je me montre très prudent sur cette option. Cela parait excessif de regrouper autant de gens après la crise sanitaire. Par exemple, pour 250 étudiants, il faudrait minimum un amphi de 1.000 places. Cela semble compliqué à organiser. La question de l’évaluation en ligne peut être une option, mais il s’agit ici d’une réflexion strictement personnelle. » Le professeur de l’ULiège conclut : « l’organisation des examens doit être valide par rapport aux règles qui encadrent les examens. Aucun cadre n’existe dans le règlement des examens concernant une évaluation en ligne« .
Selon Sofia, étudiante en sciences politiques à l’UCL, « trois de mes examens sont des présentations de groupe. J’imagine que cette formule sera privilégiée, car cela permet de ne pas faire d’examen écrit (NDLR ne pas se déplacer et se regrouper), mais cela va demander de l’organisation. Un examen écrit était prévu pour un de mes cours. Ce dernier devrait être remplacé par un travail individuel à rendre. Cela va peut-être faire réfléchir sur la manière d’évaluer « . Pour Clarisse, étudiante en master complémentaire en droits de l’homme, les examens se donneront en ligne et surement à court ouvert : « c’est une autre manière de voir la matière et de se faire interroger avec des questions plus ouvertes et plus recherchées », s’inquiète l’étudiante.
« Nous demandons une uniformité et de la clarté dans les informations », scande Chems Mabrouk, présidente de la FEF.
Cours en ligne et à distance : pas une solution pour tous les types d’enseignement
« Les cours à distance ne répondent pas à tous les types d’enseignement supérieur. Je pense notamment à l’enseignement supérieur des arts où les pratiques théâtrales, la musique ou les arts plastiques ne s’enseignent pas via des cours à distance ou des vidéoconférences », confie Chems Mabrouk, Présidente de la FEF.
Clarisse, dont la soeur étudie la mode et le design à l’Helmo confirme les propos de la présidente de la FEF : « Ma soeur a besoin des professeurs, car la plupart de ses cours sont des ateliers où elle apprend à utiliser des machines. Si les étudiants n’ont pas accès aux machines et les explications de leur professeur, ils n’avancent pas. »
L’enseignement supérieur prêt à la virtualisation ?
Selon la Fédération des étudiants francophones, « l’enseignement supérieur n’était pas prêt pour cette virtualisation de l’enseignement. » Du côté de l’UCL, plusieurs outils ont été développés. Si certains d’entre eux sont apparus avec l’arrivée de Vincent Blondel comme recteur de l’Université il y a 6 ans, dans un plan de transition numérique, certains n’ont été mis en place que très récemment afin de faciliter les cours à distance :
- Moodle : il s’agit d’un des premiers outils que l’UCL a développé pour la transition numérique établie dans le plan du recteur de l’Université il y a 5 ans. Il s’agit d’un outil interactif qui permet aux étudiants de suivre leur cours par vidéos.
- UDS : il s’agit d’une plateforme qui permet une distribution de 80 à 90% des logiciels que les étudiants peuvent trouver une salle informatique. Les professeurs sont friands de cette plateforme et demandent aux informaticiens de mettre d’autres logiciels afin de pouvoir réaliser leurs travaux pratiques comme s’ils étaient en cours. Cela fait 4-5 ans que les informaticiens de l’UCL travaillent dessus.
- Microsoft Teams : ce logiciel de communication a été introduit, il y a 6 mois. Il permet au professeur de donner son cours via vidéoconférence. Les étudiants suivent le cours en s’ajoutant au groupe. L’outil compte 4.500 groupes qui correspondent au nombre de différents cours dispensés. Dans 80% des cas, le cours se déroule correctement.
Du côté de l’Université de Liège (ULiège), la mise en place de podcasts et des cours virtuels est apparue bien avant le confinement demandé par les autorités sanitaires : « plus de 2.600 films de cours et d’exercices ont déjà été enregistrés d’après les services informatiques », affirme Benoît Heinrichs. Le professeur de chimie ajoute : « à titre personnel, j’aime donner cours dans un amphi et être en contact avec mes étudiants. Ma fille, qui est étudiante en pharmacie, me dit que les podcasts sont utiles même si elle admet adorer se rendre aux cours avec ses amis. Je pense que pour la vie sociale de tous, le ‘tout le monde chez soi’ est assez triste même s’il se montre efficace dans ce cas présent ».
C’est l’avis également de Clarisse, étudiante en droits de l’homme : « J’ai pris ce master complémentaire, car je trouve cette matière intéressante. On est un petit groupe et on avait de chouettes échanges – entre nous et avec les professeurs – lors des cours. C’est ce qu’il me manque., confie-t-elle, c’est toujours plus amusant d’aller en cours que le confinement. J’adore aller en cours en auditoire pour voir également mes amis. Quand on va en cours, on reçoit toutes les infos. Pour le moment, j’ai l’impression que c’est la chasse aux infos », conclut l’étudiante.
Du côté de la FEF, « Hors de la crise, nous ne soutenions pas la virtualisation de l’enseignement. Sans être archaïque, une fracture numérique persiste. Les méthodes d’évaluation et pédagogiques doivent évoluer avec le temps, mais on ne doit pas aller vers une telle transformation. »
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