Plan stratégique du WHI: derrière les chiffres
D’ici à 2025, 3,348 millions d’euros seront investis dans l’aménagement ou la rénovation de sites du patrimoine militaire, dont Ypres, Beauvechain et Bastogne. Décryptage du « Plan stratégique ».
Créé en 2017, le War Heritage Institute (WHI), parastatal qui chapeaute le Musée royal de l’armée (MRA) et d’autres sites dédiés à la conservation du patrimoine historico-militaire, aura attendu quatre ans la désignation d’un « commandant de bord » effectif et l’adoption d’un « plan de vol ». Depuis le 1er mai, Michel Jaupart, directeur général, n’occupe plus cette fonction « ad interim » : le Conseil des ministres a approuvé sa désignation définitive, proposée par la ministre de la Défense Ludivine Dedonder (PS), qui a la tutelle sur le WHI. Un mois et demi plus tard, l’institution fédérale est dotée d’un « Plan stratégique et opérationnel 2021-2025 ». Le vif.be en a révélé les principaux axes dès le 16 juin (Le Musée de l’armée bientôt siphonné ?), soit la veille de son adoption par le conseil d’administration du WHI.
Remanié à plusieurs reprises, ce rapport de près de 120 pages fixe notamment des budgets pour développer ou moderniser des sites muséaux et mémoriels en Wallonie et en Flandre : Beauvechain, Bastogne, Ypres, Breendonk, le Mont Kemmel. L’idée est aussi d’accroître les effectifs de ces « plateaux » régionaux. Un rééquilibrage qui risque de se faire au détriment du Musée de l’armée du plateau du Cinquantenaire, craignent des responsables de collections de l’institution.
Un comité de direction inutile?
Le plan stratégique a été élaboré par un groupe de travail mis en place par la ministre Dedonder. Franky Bostyn, sous-directeur ad interim du WHI (et néanmoins simple contractuel), et un chargé de mission, le général à la retraite Robyns de Schneidauer, ont planché sur le document, en étroite collaboration avec le patron du WHI, Michel Jaupart, le président du conseil d’administration du parastatal, Koen Palinckx (N-VA), et le cabinet de la Défense.
Selon des sources internes, le rapport a été transmis au conseil d’administration et au cabinet Dedonder sans avoir obtenu au préalable l’aval de l’ensemble du comité de direction du WHI. Parvenues semble-t-il tardivement, les dernières pages, qui concernent précisément la répartition des investissements et du personnel entre les différents sites chapeautés par le War Heritage Institute, n’auraient pas obtenu le feu vert de tous les membres du comité de direction, alors que l’avenir de l’institution fédérale est en jeu dans le plan pluriannuel. « On peut donc s’interroger sur l’utilité de ce comité de direction et sur l’indépendance réelle du parastatal par rapport au cabinet ministériel et au monde politique », glisse l’un de nos informateurs.
La ministre répond au Vif
Suite aux informations publiées à ce sujet par Le Vif, Ludivine Dedonder nous a contacté pour défendre son point de vue. Elle insiste sur l’importance, pour le War Heritage Institute, d’avoir « enfin une boussole, un plan stratégique », quatre ans après sa création. « Les investissements prévus sur les sites militaires permettront d’améliorer leur offre, leurs conditions de fonctionnement et l’ancrage local du WHI. Des partenariats public-privé seront envisagés. Le lien entre le WHI et la Défense sera renforcé. Il n’est plus question de retirer du personnel militaire de l’institution : 65 militaires équivalents temps plein y seront détachés d’ici 2025. » La ministre de la Défense ne conteste pas pour autant ce que Le Vif révélait le 16 juin : « Le groupe de travail a dû accélérer le processus et il est possible qu’une partie du comité de direction n’ait pas validé l’entièreté du Plan stratégique, reconnaît-t-elle. Mais ce n’était pas une obligation légale. Le conseil d’administration du parastatal pouvait adopter le rapport, ce qu’il a fait le 17 juin à l’unanimité. Il ne reste plus à présent qu’à le mettre en oeuvre. »
Les chiffres du plan
D’ici 2025, 3,348 millions d’euros d’investissements serviront à aménager et développer différents sites militaires :
•YPRES : 600 000 euros en 2024-2025 pour « muséaliser » la caserne, qui accueillera du matériel roulant post-1945 retiré du dépôt de Brasschaat. A noter que ce déménagement de chars et pièces d’artillerie aura lui-même un coût non négligeable, tout comme le désamiantage des toitures des casernes de Ypres.
•FORT DE BREENDONK : 570 000 euros d’ici à 2024 pour la muséographie et d’autres travaux.
•KEMMELBERG : 518 000 euros en 2023-2024 pour le bâtiment d’accueil du bunker du Mont Kemmel, centre de commandement au temps de la guerre froide.
•BEAUVECHAIN : 510 000 euros étalés sur cinq ans pour aménager le nouveau « plateau », qui hébergera une collection de « matériel volant » militaire, notamment l’avion de transport, C-130 dont le hangar sera « muséalisé ».
•BASTOGNE BARRACKS : 486 000 euros de 2021 à 2023 pour le musée où sont rassemblés des blindés et chars de la Seconde Guerre mondiale, afin d’y réaliser une nouvelle muséographie et d’autres travaux de rafraîchissement.
•MUSÉE DE L’ARMÉE : 627 000 euros en cinq ans pour rafraîchir des salles (Hall de l’air, 14-18, Armes et armures, Arcades) et doter le Hall de l’air, fleuron du site bruxellois, d’une muséographie.
POURQUOI SIX PARTS ÉGALES ?
Constat le plus frappant : les investissements prévus par la Plan stratégique se répartissent de façon très « équilibrée » entre ces entités du WHI, dont trois sont situées en Flandre et deux en Wallonie. Un découpage du budget en six parts quasiment égales qui suscite de l’incompréhension au sein du Musée de l’armée, très nettement le site le plus important et le plus emblématique du « réseau ». « Près de 95 % des collections militaires nationales sont conservées au musée du Cinquantenaire, précise un conservateur. Plus de 115 000 pièces sur 130 000 s’y trouvent. C’est là que les rentrées annuelles liées à la billetterie des musées militaires sont de loin les plus élevées. On va investir des centaines de milliers d’euros en Flandre et en Wallonie pour tenter de rendre attractifs des dépôts qui sont de simples hangars et casernes, alors que le WHI dispose au Cinquantenaire à Bruxelles d’un site muséal prestigieux à fort potentiel touristique. Avec l’enveloppe modeste de 627 000 euros sur cinq ans qui lui est attribuée, le Musée de l’armée, qui souffre de longue date de désinvestissement, devra se contenter d’interventions ponctuelles et superficielles. Il a pourtant besoin d’une rénovation de grande ampleur ! »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici