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PISA : comment expliquer les piètres résultats des francophones ?

Marie Gathon Journaliste Levif.be

Hormis les progrès des jeunes francophones en mathématiques, l’enquête PISA 2018 livre peu de raisons de se réjouir. Pour interpréter ces résultats peu encourageants, nous avons interrogé Dominique Lafontaine, directrice du Service d’Analyse des systèmes et des pratiques d’enseignement (aSPe) à l’université de Liège.

Que nous apprennent les résultats du test PISA 2018 ?

On peut avant tout constater une relative stabilité dans les résultats. Il n’y a pas de grande évolution par rapport aux années précédentes.

Concernant le test de lecture, la Fédération Wallonie Bruxelles se situe en dessous de la moyenne de l’OCDE. En 2009 et 2012, il y avait eu une évolution positive. Par contre, les résultats de 2018 confirment une diminution qui avait débuté en 2015.

En mathématique, on observe une légère progression et nous dépassons pour la première fois (depuis le début des tests PISA en 2000) la moyenne de l’OCDE. En Sciences, les résultats sont tout à fait stables.

Malheureusement, le test confirme également des grandes inégalités dans notre système scolaire. C’est-à-dire qu’il y a une grande disparité de résultats en fonction de l’origine sociale des élèves. Ces inégalités sont également plus importantes chez nous qu’en moyenne.

Comment peut-on expliquer des résultats si peu réjouissants ?

La première raison est qu’entre 2015 et 2018, il n’y a eu aucune réforme de notre enseignement. Aucun des mécanismes connus pour engendrer ces résultats n’ont été réformés durant ces années. Il s’agit aussi de la période du lancement du processus du Pacte pour un Enseignement d’Excellence.

Ce Pacte, lorsqu’il sera mis en pratique, va toucher aux mécanismes de mauvaise performance sur le moyen et le long terme. Mais il faudra patienter encore quelques années avant d’en voir les résultats puisque les réformes vont être échelonnées sur plusieurs années. Les premiers effets ne seront donc pas observés avant 2021, voire 2024.

Quels sont les grands chantiers qui vont permettre d’améliorer notre enseignement ?

Le premier est celui de l’allongement du tronc commun jusqu’à 16 ans. Les recherches montrent qu’il s’agit d’un levier important pour gommer les inégalités sociales et diminuer le redoublement. Actuellement, il existe un relatif tronc commun jusqu’à 14 ans, mais le test PISA interroge des élèves de 15 ans qui sont dans un système différencié depuis déjà plus d’un an. C’est à ce moment-là que les inégalités se creusent.

Le deuxième chantier est celui des programmes scolaires qui doivent être revus de fond en comble pour les actualiser et faire évoluer les savoirs et les compétences avec la société actuelle. C’est un chantier immense qui va permettre de réformer notre enseignement en profondeur, mais qui va prendre du temps.

En attendant, les élèves pâtissent d’un système qui n’est plus à jour.

Malheureusement oui. Mais le Pacte pour un Enseignement d’Excellence est une réforme cohérente sur le long terme. Ça ne peut pas se faire de manière brutale. Si vous décidez du jour au lendemain d’interdire le redoublement, vous aurez une levée de boucliers sur le terrain qui rendra la réforme très compliquée.

Pourquoi une réforme plus rapide n’est-elle pas possible ?

D’abord parce les politiques auraient peur de prendre une décision aussi impopulaire. Ensuite, parce que sur le terrain, les parents et les enseignants n’hésiteraient pas à lever le bouclier.

On sait par exemple que le redoublement est inefficace et qu’il est largement utilisé en Fédération Wallonie Bruxelles. Le Pacte d’Excellence va vers une suppression du redoublement, mais ça ne se fera pas du jour au lendemain. Il faudra d’abord faire évoluer les mentalités.

La culture de l’échec est très ancrée chez nous. Supprimer le recours au redoublement de manière brutale ne serait pas forcément efficace, car les acteurs du terrain chercheraient des échappatoires et des exceptions pour contourner les règles. C’est ce que l’on a déjà observé dans les années 2000 lorsque le redoublement a été interdit en primaire. La première année les redoublements ont diminué de manière drastique et les années qui ont suivi, ils ont augmenté graduellement. Pour éviter cela, il faudrait mettre en place des contrôles dans chaque école. Ce n’est pas réaliste.

On voit donc que prendre des mesures radicales contre les représentations culturelles, ce n’est pas la bonne approche. En Belgique, on préfère faire des compromis. Au niveau politique, on aura toujours plusieurs partis au pouvoir, en résulte une politique de compromis. Et ce, aussi dans l’enseignement.

Comment peut-on expliquer que la Belgique est un est des pays qui dépense le plus d’argent dans son enseignement et qu’il soit si peu efficace ?

En effet, en Fédération Wallonie Bruxelles, le rapport coût/efficacité n’est pas optimal. Cela s’explique pour deux raisons principales.

D’abord, notre enseignement est divisé en plusieurs réseaux (catholique, communal, provincial, libre, etc.) dont l’organisation a des coûts de fonctionnement. Cette division en réseau n’est pas pour autant plus efficace, alors qu’elle coûte cher.

Ensuite, il existe de nombreuses filières et beaucoup d’options dans le secondaire. En effet, une multitude d’options est proposée à des petits groupes d’élèves.

Pourquoi l’argent est-il si mal dépensé ?

Le problème vient du système de financement scolaire. Les écoles sont financées au prorata du nombre d’élèves qu’elles accueillent. Donc chaque école essaie de conserver un maximum d’élèves et offre un éventail d’options très large pour les attirer ou les garder.

D’ailleurs, cela se voit dans les résultats de PISA : nous avons une excellente situation concernant le nombre de professeurs par élève. Il est en moyenne de 21, ce qui est très peu. Mais cela ne reflète pas la réalité, puisqu’on sait que certains cours à option rassemblent à peine deux élèves alors que les cours généraux, comme le français, sont parfois donnés à des groupes de 30 à 35 élèves.

La Pacte va-t-il modifier cela ?

Malheureusement, le Pacte ne prévoit pas de réformer le système de financement. Même si l’allongement du tronc commun va permettre de faire des économies.

De même que réformer le système en réseaux, c’est tout à fait tabou. En effet, sur cette question, les parties prenantes sont impliquées dans le processus de décision. Ce qui rend les changements très compliqués. Le politique qui osera s’attaquer à ce dossier aura bien du courage.

Pourtant cela permettrait un enseignement plus efficace.

Tout à fait. Mais il ne faut pas non plus généraliser. On ne parle ici que du secondaire. En effet, la répartition du financement est très inégale selon le niveau. Le maternel est sous financé, le primaire est dans a moyenne, tandis que le secondaire coûte très cher et est beaucoup mieux financé. Le parent pauvre reste l’enseignement supérieur.

Pourquoi les enseignants n’essaient-ils pas eux-mêmes de réclamer une réforme puisqu’ils souffrent du système ?

Le problème est qu’ils sont très divisés sur la question. Effectivement, les professeurs qui enseignent les cours généraux se plaignent, à raison, de leurs conditions de travail. Tandis que ceux qui donnent des options n’ont aucune envie que le système change. Dans l’enseignement, les intérêts sont nombreux et contradictoires, c’est bien là le noeud du problème.

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