Philippe Destatte: « Cette demande d’aide du PS au fédéral, quel mauvais signal! »

Olivier Mouton Journaliste

Le directeur général de l’Institut Destrée s’interroge sur la façon dont les socialistes ont imaginé cet appel à l’aide, qui nourrit les nationalistes flamands. La Wallonie aurait pu imaginer une autre formule pour sortir de l’ornière.

Philippe Destatte, directeur général de l’Institut Destrée, a exprimé son « scepticisme » suite à la demande faite par le PS au fédéral d’aider la Wallonie, à hauteur de 50% du coût, pour financer la reconstruction des infrastructures, suite aux ravages des inondations, ce été. Il s’agit d’un montant de quelque 600 millions d’euros. Il s’explique pour Le Vif.

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Dans quel sens êtes-vous « sceptique »?

Cela me pose plusieurs questions. La première, sur la forme: pourquoi le PS envoie-t-il les ministres fédéraux Pierre-Yves Dermagne et Thomas Dermine – deux personnalités que j’apprécie, là n’est pas la question – faire cette demande? On les envoie au casse-pipe au sein de la majorité fédérale et, ce faisant, on fait un cadeau aux nationalistes flamands qui ont évidemment beau jeu de montrer, une nouvelle fois, que les socialistes sont en demande de l’argent flamand.

La demande aurait dû venir du gouvernement wallon d’Elio Di Rupo?

Oui, d’autant que le PS coince, en outre, les autres partis flamands de la majorité fédérale. Les caricatures montrent déjà les libéraux et les sociaux-chrétiens flamands qui baissent leur pantalon. La démarche elle-même me rend sceptique et me fait douter.

Pourquoi la demande n’émane-t-elle pas de tous les partis wallons membres de la majorité? J’ai lu que Bouchez allait déjeuner avec Magnette, ils auraient pu convier Nollet, même si je sais qu’il leur est difficile de s’entendre.

Et oui, comme vous le dites: pourquoi la demande n’émane-t-elle pas du gouvernement wallon? Il aurait pu l’émettre à travers le Comité de concertation.

Ce serait la logique fédérale, non?

Absolument. On pourrait aussi se demander, puisque certains évoquent l’exemple allemand, pourquoi le Premier ministre, Alexander De Croo, n’a-t-il pas lui-même fait cette proposition, après avoir été conscientisé par Dermagne et Dermine. Cela ne donnerait pas l’impression qu’il cède au PS. Nous sommes dans un système fédéral qui a ses règles, pourquoi y déroger? Les socialistes ont-ils voulu marquer des points? Ce sont des gens intelligents, j’imagine qu’ils ne jouent pas à ce petit jeu là.

La réaction de Bart De Wever est déjà significative: il rappelle que le fédéral est exsangue, lui aussi, que la Flandre peut aider la Wallonie, mais à condition que l’on y mène des réformes.

C’est son discours, bien sûr. Cela démonte qu’on lui donne des arguments. Le Premier ministre aurait pu invoquer le fait que la situation découlant des inondations est exceptionnelle, que le moment est venu de faire preuve de loyauté fédérale, que l’on peut faire preuve de créativité comme ce fut le cas dans le cas de la crise du Covid. Vraiment, je m’interroge sur la démarche.

Sur le fond, on a la sentiment que la Wallonie et la Fédération Wallonie-Bruxelles se posent en demandeurs sur le plan financier, une nouvelle fois, quitte à se déforcer?

Pour moi, il est évident que si les Wallons veulent être respectés, ils doivent sortir de cette logique-là. Il y a une question de dignité, aussi! Certains parlent déjà de renégocier la loi de financement, alors que l’on arrive à peine au bout d’un moratoire de dix ans. Si on se met un instant dans la peau d’un nationaliste flamand, on se dit que ce n’est pas sérieux.

Je donne souvent cet exemple, qui n’est certes pas scientifique. Quand j’étais jeune, ma mère,à qui je n’ai rien à reprocher, m’a dit un jour: ‘Tu ne passes plus à la maison que pour que l’on s’occupe de ton ligne’. J’étais aux études, pris dans mes activités de mouvements de jeunesse et avec mes copains… Ce qu’elle m’a dit m’a blessé dans ma dignité: j’ai acheté une mini-wash et, à partir de ce moment-là, j’ai lavé mon linge moi-même. Pas par arrogance, hein…

Mais par souci d’autonomie.

Oui, par souci d’autonomie. Cela permet de créer des relations sur un autre plan.

C’est un mauvais signal?

Un très mauvais signal, oui. Or, il y avait un moment favorable et il était possible d’agir autrement. Ce qui est arrivé, c’est inondations, c’est une catastrophe, mais Morin dit que ce peut être ‘la genèse d’une métamorphose’. Cela ouvre une fenêtre d’opportunité pour aborder les choses autrement.

Sur le plan budgétaire, ce pourrait notamment être un moment pour changer la gouvernance. Il y a 65 milliards d’euros sur les comptes d’épargne en Wallonie: le gouvernement wallon aurait pu lancer une opération pour chercher à mobiliser celle-ci, via des mécanismes comme des obligations. Si l’on prend un peu moins de 10% de ce montant, on est déjà à 5 milliards. Je ne dis pas que c’est simple, il y a des obstacles techniques, mais il y a des experts pour les surmonter.

Cela donnerait un autre signal, celui d’un élan de solidarité des citoyens et d’une mobilisation des Wallons. Le gouvernement disposerait d’une enveloppe budgétaire qui pourrait être gérée avec le soutien des Wallons. Ce serait l’occasion de sortir d’une situation où l’on est sans cesse demander face à l’Europe ou en Belgique.

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