Philippe Close, monsieur showbiz
Philippe Close remplacera Yvan Mayeur en tant que bourgmestre de Bruxelles. En 2016, lors du dernier Brussels Summer Festival, nous dressions son portrait.
Cet article a été publié pour la première fois le 4 août 2016.
Echevin PS, Philippe Close est à la tête du Brussels Summer Festival (BSF), de La Madeleine, du Palais 12… Et vise désormais le Cirque royal. Sa recette: le mélange de « marxisme » et de grandes ambitions d’entertainment. Et du public et du privé.
Philippe Close reçoit au 14, Grand-Place, en ses bureaux d’échevin des Finances, du Personnel et du Tourisme de la Ville de Bruxelles. La déco? Quelques figurines, dont Elvis – prénom d’un de ses deux enfants – et deux photos de Tony Bennett et Lady Gaga, dont une, prise sur le balcon de l’hôtel de ville, alors que le duo américain donnait un concert privatisé sur « la plus belle place du monde » le 22 septembre 2014, pour présenter son album Cheek to Cheek. « J’ai accepté de faire ce lancement sur la Grand-Place parce que cela fait une pub monstrueuse et positive à Bruxelles. C’est aussi la raison pour laquelle on a eu aussi Taratata, place des Palais: le pouvoir du milieu musical est ultrapuissant. »
Au mur trône la gueule de Lemmy Kilmister, le mythique leader de Motörhead mort l’an dernier, affichant son slogan favori, Fuck… Philippe Close, 45 ans, est d’un abord tout contraire. Sourire abondant, carrure large, affabilité, ce fils de banquier namurois a immigré à Liège avant de venir s’installer à Bruxelles à l’âge de 12 ans. « Il est sympa mais c’est un tueur », livre un opposant politique qui, lui aussi, préfère l’anonymat. L’intéressé répond, pragmatique: « Lorsque Roger Lallemand, dont j’étais collaborateur parlementaire, s’est fait éjecter brutalement au sein du PS, où j’étais entré vers 1993, j’ai compris que la politique n’était pas pour les enfants de choeur… A un moment, on doit décloisonner le débat et être un tueur pour ses idées. Je suis issu de l’appareil du PS, j’en ai suivi le cursus, notamment en travaillant à l’Institut Emile Vandervelde et en étant porte-parole de Di Rupo, mais je me suis souvent entouré de gens atypiques qui m’ont appris des choses. »
Dont Olivier Mees, parrain d’un des enfants de Joëlle Milquet, CDH passé MR, ayant siégé au CA du Botanique. Ou l’attaché de presse Emmanuel Deroubaix, récemment suspendu un an du MR pour avoir giflé une journaliste. Georges Dumortier aussi, ex-directeur du Botanique ayant eu de sérieux ennuis judiciaires il y a dix ans, à présent directeur musical de Classissimo, festival longtemps associé au BSF, cette année patronné par l’échevinat de la Culture de Karin Lalieux, autre élue PS de la Ville de Bruxelles.
Bruxelles fermait à 22 heures
Ayant raté le poste de bourgmestre occupé par Yvan Mayeur depuis 2013, Close est député régional bruxellois et chef de groupe PS au parlement bruxellois. Il est aussi, notamment, l’homme de l’ouverture, en 2013, du Palais 12, plutôt bien rénové sur le site un brin décati du Heysel. Première étape d’une opération de la Ville de Bruxelles sur les salles de spectacle qui a pour but initial de contrer un Forest National vieillissant et le quasi-monopole flamand sur le business des concerts avec la filiale belge de l’américain Live Nation, dont le boss, Herman Schueremans, est Open VLD. « Le Sportpaleis anversois a investi Forest National à l’automne 2013, embraie Philippe Close. On n’imagine pas un instant des francophones mettant un pied dans le business en Flandre. On serait viré tout de suite. » Pas faux, tout comme on peut le croire lorsqu’il rappelle qu’avec le maïorat du morne François-Xavier de Donnea, de 1994 à 2000, « la ville fermait à 22 heures ».
Philippe Close devient chef de cabinet du bourgmestre Freddy Thielemans (2001-2013), qui va rarement se coucher avec les poules. D’où un florilège de Plaisirs d’hiver, de Bruxelles-les-Bains et de kermesses modernes, installés via une pléiade d’asbl ou de sociétés commerciales où siège Close, comme administrateur (Atomium asbl, Iris, Institut Jules Bordet) ou président (foires et salons de Bruxelles, Fire-Starter). Dix-sept au total. Ce juriste sorti de l’ULB a tissé ce qu’un opposant politique définit comme une « constellation, symptomatique de la Ville de Bruxelles où tout le monde s’entraide. Une subdivision des affaires en « milliards » de petits morceaux qui vous permettent d’arroser les gens. Du clientélisme à mort. » Close, lui, expose cela autrement: « La société, c’est un rapport de force et celui qui l’a le mieux compris, c’est Marx. Je crois à la lutte des classes mais il faut des hommes et pas juste de la structure. C’est là que je suis social-démocrate. Il faut faire bouger les lignes et comme pouvoir public, on est d’abord là pour ceux qui en ont besoin. Le danger, c’est de se croire tout permis, j’ai une légitimité, des électeurs. »
Le danger, c’est de se croire tout permis; j’ai une légitimité, des électeurs
Mais quel rapport entre le marxisme et le package de 8 places VIP pour le BSF vendues pour 1.400 euros? « C’est parce que je fais ce package que le pass du festival n’est qu’à 50 euros. Grâce au partenariat privé, je fais payer un tiers du festival. »
Mayeur, président
Le Palais 12, vaisseau capable d’accueillir 15.000 spectateurs, rejoint cet autre projet conduit par Philippe Close: le BSF, qu’il préside, créé il y a quinze ans, est la première initiative à faire tiquer les professionnels de la profession, promoteurs de concerts. D’autant qu’Eurit’mix – son premier nom – est initialement gratuit et brouille donc les prix du marché. Le festival, installé dans des endroits privilégiés de la capitale – la place des Palais, le Mont des Arts – devient payant et une quinzaine d’années plus tard, a toujours la même réputation de flatter les cachets, parfois exagérément. Ainsi du montant d’embauche du groupe anglais Tindersticks, qui se produira ce 11 août – 35.000 à 40.000 euros, soit deux fois le cachet usuel: Close se borne à renvoyer au programmateur Denis Gérardy et à l’enveloppe artistique globale « autour du million d’euros ». La question étant donc: est-ce le rôle de la Ville de se substituer au privé? « Je ne suis pas rémunéré pour mes mandats, et rétribué uniquement comme échevin et comme député, répond Philippe Close. Ces sociétés ne sont pas mes sociétés. Mes postes découlent de mes mandats publics. Je ne prends la place de personne. »
Fin juin dernier, on annonce que le bourgmestre Yvan Mayeur prendra prochainement la place de Philippe Close comme président du conseil d’administration de Brussels Major Events, asbl organisatrice d’événements tels que Bruxelles-les-Bains ou Plaisirs d’hiver. De l’argument touristique XXL. Mayeur et Close sont de notoriété publique concurrents, et certaines langues (pas forcément fourchues) assurent qu’ils ne se parlent plus que par l’intermédiaire du premier échevin, le MR Alain Courtois. « Entre autres pour des raisons sécuritaires – dont le bourgmestre est en charge – Yvan a considéré qu’il fallait mieux qu’il chapeaute ces événements dans l’espace public, explique Philippe Close. Honnêtement, ça ne me touche pas. Du moment que je puisse continuer mes trucs… »
Certaines langues assurent que Close et Mayeur ne se parlent plus que par un intermédiaire
Drôle de Cirque
Parmi les trucs, le Cirque Royal, dont la Ville veut récupérer la gestion à partir du 1er juillet 2017, mettant ainsi fin prématurément à la concession de trois fois neuf ans cédée au Botanique. Close affirme que la Ville a besoin d’une salle de 2.000 places pour « en faire une destination touristique et d’affaires »: après divers épisodes, le conseil communal a proposé, le 27 juin dernier, un appel à candidatures pour mise en concession du Cirque royal. Globalement, cet appel semble taillé pour Brussels Expo, la puissante asbl dont Philipe Close est président du conseil d’administration depuis fin 2013, chapeautant La Madeleine, le site du BSF, les Palais des expositions et le Palais 12 du Heysel.
Annie Valentini, directrice générale du Botanique, centre culturel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui gère jusqu’ici le Cirque, précise son étonnement: « Les travaux que nous y avons réalisés ont permis, notamment, l’organisation de concerts et la programmation par le Botanique a ouvert la voie. D’une soixantaine de spectacles avant 1999, nous en sommes, en 2015, à plus de 180 occupations. Cette productivité profite au développement de la vie culturelle bruxelloise et a drainé un public de quelque 150.000 personnes sur une année. C’est donc incompréhensible que le pouvoir local casse une machine qui donne de tels résultats pour satisfaire des pulsions d’hégémonie et de domination du secteur du « divertissement ». Le rôle du pouvoir public n’est-il pas de préserver la vitalité du tissu culturel plutôt que d’organiser une concurrence directe? »
Réseauteur habile et boulimique, Close a beau déminer la concurrence face à Mayeur – comme lui, socialiste et franc-maçon, mais d’une loge différente – sa réussite entriste aurait pu – ou dû – lui valoir un poste de ministre. Officiellement, pas de déception non plus de ce côté-là, d’autant qu’il a encore d’autres fers au feu. Comme le projet Neo, sur le plateau du Heysel, dont il est administrateur: « Un projet qui m’excite: 800 logements, un centre commercial, un centre de congrès de 3.000 à 5.000 places, des équipements sportifs dont une piscine à ciel ouvert… Tout ça via une coopérative entre la Ville et la Région qui capte une partie de la plus-value via l’investissement des promoteurs privés immobiliers pour construire de l’équipement. En fait, le problème du monde politique en Belgique, c’est que le privé ne nous attend pas pour une possible reconversion. » Sur ce coup-là, pas sûr.
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