Felix Rameau
Pétition contre une porcherie : quand consommer local se heurte au nombrilisme
« Porcos ante margaritas ». Dans le petit village de Ronquières, en ce début du mois de janvier, sur le coup de midi, le silence paisible n’est dérangé que par le rare passage d’un engin agricole ou la sonnette bienveillante des cyclistes doublant les promeneurs qui flânent le long du canal Bruxelles-Charleroi.
A lire : Quand les citoyens s’unissent pour défendre leur environnement, leur santé et les animaux d’élevage. La réponse d’un collectif citoyen à cette carte blanche.
L’on s’émerveille des péniches résidentielles qui donnent une deuxième vie à ces longs transporteurs tranquilles ayant passé la main. La forte pente qui grimpe vers le majestueux Bois de la Houssière et ses sablières abandonnées conserve un marchand de tracteurs, dernier vestige local d’une industrie qui déserte ces lieux consacrés désormais à la villégiature campagnarde, en toute sérénité.
Ce panorama du bonheur bucolique ne serait pas complet sans mentionner le restaurant de la place de l’église qui, inutile de le préciser, fait recette. On y sert aujourd’hui du jambonneau et, à leur table réservée pour deux, des dames discutent. Elles se nomment toutes deux Marguerite et on ne s’étonnera pas de cette invraisemblance, puisque la réalité est féconde en ce type de coïncidences, bien plus que la fiction, qui contraint toujours à la logique.
En attendant leur plat, nos deux habituées en viennent au sujet très controversé d’une demande de permis concernant une porcherie, à quelques encablures du restaurant, du chez-soi, de tout le quotidien en somme. Les deux dames y sont fortement opposées, rapport aux nuisances, mais fort heureusement, le monde politique se charge du dossier, en vue de défendre la localité et la cause animale.
Alerte aux nuisances : quand consommer local se heurte au nombrilisme.
Ces deux dames ont raison : le monde politique et certaines associations manifestent leur opposition concernant un projet dont les nuisances paraissent évidentes : odeur désagréable, panorama dégradé, hausse des transports agricoles dans la région. Des groupes de contestation se forment sur Facebook, une pétition est en ligne. On voit fleurir ce genre d’initiatives locales dès qu’un groupe de riverains se sent menacé dans son confort, qui pour une porcherie, qui pour une éolienne, qui pour des logements sociaux. Parfois, la légitimité est totale : le projet est contraire au bien commun, à l’éthique la plus naturelle, on s’en serait indigné même s’il ne nous concernait pas directement. D’autres fois, les contestataires trahissent leur nombrilisme par leurs contradictions. C’est le cas ici.
D’abord et avant tout, on s’oppose à la création d’une porcherie à Ronquières, non à la consommation de viande porcine en elle-même. Le même citoyen qui s’indigne aujourd’hui ira, demain, acheter son jambon rose, marque blanche, gonflé à la soupe de nitrite et de salpêtre (canon !) ou, au mieux !, il achètera le même jambon, plus cher, dans un emballage griffé. Donc, que veut-on ? Ni préserver notre santé ni réduire notre empreinte énergétique : simplement délocaliser notre mauvaise conscience.
Le résultat est tangible : les mêmes cochonneries, mais par d’autres fournisseurs, délocalisés eux-aussi, éventuellement soumis à une autre législation, plus laxiste et compétitive. Pour une culpabilité refoulée, quel coût économique, humain, social ? Quelle perte pour l’attractivité d’une région ?
L’essentiel est de ne pas être dérangé le matin par un camion à bestiaux au carrefour de notre rue, et ce afin d’aller se jeter dans les embouteillages autoroutiers, créés notamment par le transit mondialisé des denrées.
Quant à l’impact paysager, il est réel : un tel bâtiment a toutes les chances de ne pas remplir les canons esthétiques de la forêt vierge ou du grand canyon. Mais tournez-vous : les torchères du zoning pétrochimique ne gênent aucunement les élus locaux : les bénéfices servent aux intérêts de la commune. Partout autour de vous, la campagne est façonnée par l’activité humaine : céréales diverses, lisière du bois de la Houssière qui s’épanouit tendrement sur l’horizon des labours, canal bordé de peupliers, haie naturelle, saule solitaire régnant sur les vaches. Voici le paysage de nos régions : le résultat du travail des hommes sur Terre. Pour utiliser une expression un peu passée de mode et d’usage : vouloir le paysage agricole sans le bâtiment agricole, c’est vouloir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière.
On me répondra que ce n’est pas l’activité agricole en elle-même qui gêne, mais celle-ci en particulier. Cela nous fait revenir au problème de départ : si l’alimentation traditionnelle du Ronquiérois se contente de blé et de maïs, le raisonnement se tient. Pas autrement. Conserver la culture et exiler l’élevage, cela n’a rien d’un choix citoyen, c’est une conséquence néfaste de l’air du temps qui vise à renier tout ce qui est sale, au risque de perdre la mesure, celle de notre réalité, celle d’un animal conscient.
Ce qui fait l’homme, c’est de semer.
L’activité humaine s’inscrit dans un rapport dialectique de transformation de la nature par l’homme et de la conscience humaine par la nature. J’agis sur le monde, celui-ci me marque de son empreinte. La perte de l’activité économique rurale, c’est aussi l’oubli du rapport direct à la nature, c’est favoriser l’émergence d’une mentalité déconnectée de la réalité, de ses contingences, de son caractère essentiellement conflictuel. En causant l’immobilisme dans nos campagnes, non seulement on permet qu’une activité moins régulée voie le jour ailleurs et encombre notre réseau routier, non seulement on refuse par esprit de clocher le désagrément qui accompagne toute activité économique, mais encore on s’enferme dans un rapport à la vie désincarné, où le cochon n’est plus que cette sympathique boule rose qui fait groin-groin dans les livres pour enfants.
Ce n’est pas cela, la vie, la consommation, la nutrition, la place de l’homme sur Terre. L’oublier, ce n’est pas changer la réalité, mais adopter un regard édulcoré sur celle-ci, donc d’autant plus douloureux lorsque, tôt ou tard, la vérité nous crève les yeux. L’oublier, c’est renvoyer la peur, la souffrance, la mort derrière l’écran bleuté des télés, ce n’est pas diminuer le mal sur Terre.
Gaïa s’oppose au projet
L’association de défense des animaux Gaïa s’inquiète de la création d’un nouvel élevage porcin. Quoi de plus légitime de la part de cet organisme ? La politique d’élevage adoptée par les États industrialisés pose question et là sans doute se situe notre responsabilité morale majeure en tant que citoyens du vingt-et-unième siècle. Les nombreuses avancées dans les domaines de la génétique et des neurosciences nous prouvent la parenté intime entre l’homme et d’autres mammifères. Nous ne pouvons plus, à rebours de la modernité triomphante, considérer l’animal comme une machine à engraisser pour nourrir le progrès. Nous ne pouvons pas nier la souffrance animale que l’on entend et que l’on sent. Mais, encore une fois, la levée de boucliers généralisée concernant la porcherie qui nous occupe est-elle bien raisonnable ? Nous parlons d’un établissement d’une taille inférieure à de nombreux autres, respectant les règles en vigueur en Wallonie, l’une des législations les plus strictes qui soient en matière de respect des animaux, et proche de nous, de notre conscience écologique postmoderne qui ne peut que rejaillir, à moyen ou long terme, sur la gestion de cet établissement.
À nouveau, que préférez-vous ? Un cochon issu d’un élevage industriel, qui coûte ici, mais rapporte ailleurs, à l’empreinte carbone élevée, où le même cochon, d’ici ?
Mais vous vous indignez du sort réservé aux animaux d’élevage, notamment dans les abattoirs, et vous avez raison. Vous êtes inquiets pour la santé de vos enfants, vous avez raison. Vous considérez que l’administration d’antibiotiques aux bêtes d’élevage constitue un scandale. Vous désirez vous investir, militer si le temps le permet. Faites-le ! Mais agissez comme des représentants de l’espèce humaine, non comme des nombrilistes égoïstes et aveugles ! Ne refusez pas ici ce qui existera en pire ailleurs, battez-vous pour la qualité de ce que vous pouvez contrôler ici.
L’éleveur est votre voisin ! Il vous laisse même son numéro de téléphone. Renseignez-vous pour connaître l’alimentation, le traitement réservé à ses porcs et, lorsqu’il ouvrira une boucherie, allez lui demander une tranche de jambon gris.
Je laisse mes Marguerite dans leur restaurant ; je n’envisage pas de les faire changer d’avis. Elles ont tellement parlé qu’elles n’ont plus tellement faim. Elles n’ont quasiment pas touché au jambonneau. Dommage. N’y a-t-il pas une vieille expression, qui dit qu’il ne faut pas donner du cochon aux Marguerite ?
Plus d’informations sur www.je-soutiens-benoit.be
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