Ogeo Fund, le banquier de Publifin
Instrumentalisé par quelques oligarques liégeois, Ogeo Fund est devenu le « banquier » de Publifin en s’émancipant du contrôle des travailleurs des entreprises affiliées. Mais les revers s’accumulent. L’intercommunale Aide a décidé de migrer vers l’ONSS-APL et la FSMA, autorité de contrôle des marchés financiers, s’intéresserait à Stéphane Moreau.
» Huit récoltes plus loin » (le mot du président du conseil d’administration André Gilles), » tuteur de croissance » (le comité financier), » un enracinement robuste » (les organes opérationnels) : le rapport annuel 2015 d’Ogeo Fund est truffé de métaphores agrestes. Dans l’univers gris argenté des fonds de pension, Ogeo Fund détonne par son marketing vert pomme, ses enquêtes d’opinion et séminaires 5-étoiles, ses cocoricos. Il porte la marque des oligarques de Publifin/Nethys : André Gilles, président démissionnaire depuis le 9 mars, et Stéphane Moreau, administrateur délégué. Ils l’ont fondé en 2007 en s’emparant de la cagnotte de l’Association liégeoise d’électricité/Tecteo, un fonds de pension évalué à 500 millions d’euros. Aujourd’hui, Ogeo gère près d’un milliard d’euros.
En marge de l’affaire Publifin, l’autorité de contrôle des marchés financiers, la FSMA, aurait ouvert, selon nos informations, une enquête pour vérifier si l’administrateur délégué d’Ogeo Fund, Stéphane Moreau, par ailleurs CEO de Nethys, est toujours fit and proper. Ce label d’aptitude et d’honorabilité est indispensable pour diriger un organisme de financement des pensions. Comme toujours à la FSMA quand il s’agit de cas individuels, une telle enquête ne sera pas médiatisée, ni en son début ni à la fin. Mais une réponse négative sur la question du fit and proper constituerait, à l’évidence, un empêchement professionnel.
Ogeo Fund a rarement quitté la rubrique des » affaires liégeoises « . Il a frôlé le précipice à plusieurs reprises. Le 30 janvier dernier, le dossier Tecteo/Ogeo du juge d’instruction Frédéric Frenay a été transmis au parquet général de Liège. Son volet » Ogeo » porte sur d’anciennes constructions financières douteuses, un voyage d’agrément à Abou Dabi financé par le fonds et un compte bancaire top secret. Marc Beyens, le directeur sous cette ère mouvementée, a démissionné en juin 2014. » A la demande de la FSMA « , l’autorité de contrôle des marchés financiers, indiquait Dominique Janne, un compagnon de route de Stéphane Moreau, dans L’Echo du 8 octobre 2016.
Au PS comme au MR, les débuts d’Ogeo Fund furent placés sous le signe de la zizanie »
Après l’ALE/Tecteo, d’autres entreprises se sont affiliées à Ogeo, sept au total (deux d’entre elles ayant fusionné). Tant et si bien qu’en 2015, Ogeo gérait 1,125 milliard d’euros et affichait un rendement financier de 5,08 % quand la moyenne nationale était de 4,48 % ; 4 183 personnes en dépendaient alors pour le paiement de leur pension du premier pilier (Ogeo Fund) ou du deuxième pilier (Ogeo 2 Pension). Selon André Gilles, entendu à la commission d’enquête parlementaire du parlement de Wallonie le 9 mars, Ogeo traite aujourd’hui un peu moins d’un milliard d’euros. Le rendement de 2016 serait moins bon. » En octobre dernier, on était à 3,8 %, indique au Vif/L’Express Claude Tellings, membre du comité financier d’Ogeo. En décembre, le rendement était remonté à plus ou moins 4,5 % en valeur annuelle. Les chiffres fluctuent mais le système n’est pas en péril. »
Comprendre la mécanique d’Ogeo n’est pas chose aisée. Le fonds ne salarie que sept personnes. Il délègue la gestion administrative et le paiement des pensions à Ethias, dont le savoir-faire en la matière est reconnu. Son activité est surtout financière. Elle est confiée pour l’essentiel à des partenaires professionnels mais les dirigeants d’Ogeo conservent un important volant de manoeuvre, évalué à environ 35 % des actifs sous gestion. Bien qu’il annonce le contraire, le service d’Ogeo est loin d’être gratuit. Le fonds liégeois a créé un » canton de gestion » alimenté par des prélèvements auprès des entreprises affiliées. Ses charges d’exploitation (en ce compris des immeubles détenus en propre et des actifs sous gestion) ont quadruplé entre 2009 (1 354 264 euros) et 2015 (4 986 109 euros). En cas de dissolution d’Ogeo, 90 % des biens de ce canton retourneraient à Publifin et 10 % au Service régional d’incendie. C’est le seul lien » capitalistique » entre Publifin et Ogeo. Mais pas le seul lien d’intérêt, alors que la philosophie d’un fonds de pension impliquerait de se mettre » à l’abri » de l’employeur.
Près de 65 % des actifs de placement d’Ogeo Fund sont logés dans la sicav institutionnelle Ogesip Invest (Royal Bank of Canada), gérée par quatre institutions belges : la Banque Degroof-Petercam, BNP Paribas Investment Partners, Candriam (ex-Dexia Asset Management) et KBC Asset Management. Le fonds de pension fondé par André Gilles et Stéphane Moreau a relativement peu d’obligations d’Etat : 25 %. Il s’enorgueillit, en revanche, d’une politique de placement qui fait la part belle à l’immobilier (20%). Un spécialiste du secteur émet des réserves à propos de cette politique. « Le return sur un an de placements en briques, ça ne veut rien dire. Il faut aller plus en détail. Est-ce que ce bâtiment est déjà construit ? Quelle est sa valeur de rachat ? Sa durabilité ? Est-ce qu’il produit déjà du cash flow ? Une construction- développement présente un autre profil de risque qu’un bâtiment loué à la Commission européenne qui offre la garantie d’un très bon bail pendant vingt ans… »
Lors de sa prestation devant la commission d’enquête parlementaire, André Gilles a mis en avant quelques réalisations de prestige, dont le siège de la police nationale néerlandaise à Rotterdam ou celui du ministère des Finances au grand-duché de Luxembourg. En raison de son histoire mouvementée, Ogeo Fund n’a jamais vraiment rassuré, d’autant que le cadre législatif qui régit les fonds de pension est plus souple que celui, très sévère, qui encadre le secteur des assurances-pension. Seule consolation, si c’en est une, en cas de difficulté, les entreprises sont obligées de remettre au pot. In fine, les communes associées.
Des bisbrouilles au MR
Chef de file des libéraux liégeois, Daniel Bacquelaine (MR), connaît bien le dossier mais en tant que ministre fédéral des Pensions, il refuse de se prononcer. » C’est la FSMA, un organe indépendant dont la compétence est partagée par les ministres des Finances, de l’Economie et des Pensions, qui contrôle les organismes de financement de pensions, rappelle-t-il. Ogeo Fund est en ordre sur le plan légal et par rapport à son contrôleur. Son rendement se situe entre 6,30 % et 7 % en moyenne depuis sa fondation. Je n’ai pas de souci par rapport à ça. »
Daniel Bacquelaine n’a pas toujours été aussi détendu. Aux débuts de Tecteo/Ogeo Fund, il en a fait démissionner l’administrateur MR. » A ce moment-là, justifie- t-il, nous n’avions pas toutes nos garanties. Nous considérions, et c’est toujours le cas aujourd’hui, que ce n’est pas le rôle de mandataires politiques de siéger dans des fonds de pension. » Les libéraux liégeois Christine Defraigne, actuelle présidente du Sénat, et Olivier Hamal, aujourd’hui retiré de la politique, étaient également critiques à l’égard du système Tecteo qui se mettait en place avec la bénédiction tacite de leur parti, le député provincial Georges Pire étant la tête de pont du MR dans les intercommunales socialistes. Sauf à Ogeo. Olivier Hamal se souvient » des pressions exercées par Georges Pire sur Christine Defraigne, invoquant des liens familiaux et francs-maçons, pour que nous ne tenions pas notre conférence de presse en septembre 2009 sur les dérives de Tecteo, en ce compris, Ogeo. Tout ça n’était pas de nature à influencer Christine. »
Le MR liégeois ayant décidé de boycotter Ogeo, Louis Michel, selon une rumeur de l’époque, aurait sollicité son vieil ami François-Xavier de Donnea. Un témoin direct, libéral, liégeois, nous a affirmé avoir proposé le job à FXDD au nom du comité de direction d’Ogeo. » Ce n’est pas moi qui l’ai invité, insiste le ministre Bacquelaine mais François-Xavier de Donnea n’avait plus de mandats politiques (NDLR : faux, il était toujours député fédéral). C’est un économiste de formation, et il faut des personnes de qualité dans des structures comme celle-là. » De 2009 à 2014, le Bruxellois a donc été administrateur indépendant chez Ogeo tout en siégeant à la Chambre. » Je ne représente pas les sociétés affiliées à Ogeo Fund ni le MR, déclare-t-il au Vif/L’Express. Je suis là pour veiller à l’intérêt général des pensionnés. La FSMA estime que le fonds respecte toutes les procédures. J’ai mes apaisements. « . François-Xavier de Donnea justifie aussi sa présence par » un intérêt intellectuel » pour le fonctionnement des marchés. Et il précise encore : » Tant que j’ai été député, je n’ai pas été rémunéré. Aujourd’hui, je reçois un jeton de présence. » Soit la même chose, ou un peu moins, que les 10 000 euros par an déclarés par André Gilles à la commission d’enquête.
Pour mémoire, François-Xavier de Donnea est président du conseil de conciliation et d’arbitrage du MR, au nom duquel il a entendu Armand De Decker dans le cadre du Kazakhgate. Dominique Drion, qui a démissionné de la commission de déontologie du CDH à la suite du scandale Publifin, est, lui, prêt à lâcher tous ses mandats dans les intercommunales. Sauf un : celui d’Ogeo. Mais qu’est-ce qui les attache donc à cette société sortie de nulle part et qui s’est hissée en moins de dix ans à la place de 5e organisme de financement des pensions de Belgique ?
Liège, ses socialistes et leurs conflits de copropriété
Au PS comme au MR, les débuts d’Ogeo Fund furent placés sous le signe de la zizanie. Marc Bolland, actuel bourgmestre de Blegny et fils de l’ancien gouverneur de la Province de Liège, avait quitté la Smap/Ethias en 2004. Quelques années plus tard, il propose à Stéphane Moreau, directeur général de Tecteo, de piquer à Ethias la gestion financière du fonds de pension des travailleurs de Tecteo. Objectif : stimuler ses rendements jugés poussifs et soutenir des projets industriels régionaux. Une habitude des décideurs socialistes liégeois. En tant que réviseur d’entreprise, Michel Daerden connaissait les trésors de guerre des asbl veillant sur les retraites des intercommunales. Il avait aussi les moyens politiques de les amener à collaborer aux grands projets liégeois.
En 2003, la Caisse de pension et de secours du personnel de la Socolie (production d’électricité) prête ainsi à la SLF/ Ecetia, bras financier des intercommunales, 130 millions d’euros à 3,9 %, sans jamais demander leur avis aux représentants syndicaux. Ogeo hérita d’une grande partie de cette créance (110 millions), qu’il fallut rembourser d’urgence en 2013, sous peine de représailles de la FSMA. Après une période de grandes tensions internes, ce remboursement eut lieu par échange de parts au sein de » la grande famille socialiste « . Cette opération a permis à Nethys de devenir l’actionnaire majoritaire de l’aéroport de Liège.
En usant de toutes les ressources de sa position dominante au PS liégeois, Stéphane Moreau a convaincu trois autres intercommunales de lui céder leurs fonds de pension : l’Intercommunale d’incendie de Liège et environs (2008), la Compagnie intercommunale liégeoise des eaux (2008) et l’Association intercommunale pour le démergement et l’épuration des communes de la Province de Liège (2012). Les représentants du personnel ont été largués. Méfiant, le gros de la troupe du public et du parapublic est toutefois resté à l’Office national de sécurité sociale des administrations provinciales et locales (ONSS-APL). Les députés provinciaux, le personnel et les mandataires de Seraing (commune et CPAS) se rallièrent en 2009 et 2010. Pour montrer l’exemple ? Le dernier trophée d’Ogeo en 2016 est Publilec (Seraing), la maison mère de Publipart qui a provoqué un scandale en Flandre à cause d’investissements non éthiques et de rémunérations inattendues d’élus gantois. Quatre mystérieux consultants de Publilec se sont partagé 1,7 million d’euros depuis 2012 (70 800 euros brut par an), selon Het Laatste Nieuws. » Il s’agit d’agents d’EDF Luminus mis à la disposition de Publilec, à qui EDF Luminus refacture ce personnel détaché « , a expliqué Stéphane Moreau, lors de son audition du 10 mars. Publipart a perdu 2 millions d’euros dans la faillite d’Optima, une banque flamande qui a bénéficié de la complaisance de mandataires socialistes et Open VLD, ainsi que de complicités bien liégeoises.
Un contrôle en trompe-l’oeil
Une quatrième intercommunale, l’Aide, s’apprête à migrer vers l’ONSS-APL, le 1er janvier 2018, en raison d’une baisse des rendements financiers d’Ogeo »
» Si l’affaire était sulfureuse, je la quitterais. » Le chevalier de Donnea n’est pas le seul à apporter sa crédibilité à Ogeo Fund. Guy Quaden, gouverneur honoraire de la Banque nationale de Belgique (PS), est consultant externe du comité financier. Celui-ci est surnommé poétiquement » tuteur de croissance » dans le rapport 2015. Outre les membres du comité de direction d’Ogeo, Stéphane Moreau et Emmanuel Lejeune, on y trouve Claude Tellings, pilier des » intercos » liégeoises (il est observateur à la Cile, Intradel et Ecetia) et directeur général de l’Association intercommunale pour le démergement et l’épuration des communes de la province de Liège. Celle-ci a adhéré à Ogeo en 2012, malgré les inquiétudes, finalement dissipées, de son personnel.
Dans ce cénacle figure également Patrice Beaupain, administrateur d’Ogeo 2 Pension et directeur financier de la compagnie d’assurance liégeoise Integrale, rachetée par Ogeo Fund et Nethys en septembre 2016. Le syndrome du contrôleur contrôlé ? Beaucoup plus discrète que sa grande soeur, Ogeo 2 Pension est une entité distincte. Elle s’occupe du deuxième pilier du personnel contractuel du secteur public et du personnel salarié du secteur privé (la Société régionale du logement de Herstal en est membre fondateur) mais sans témoigner d’une activité débordante. En dépit de la présence de Michel Mikolajczak, ancien membre du comité de direction de BNP Paribas Fortis France, cela ne donne pas » trois experts indépendants » comme le prétend Ogeo. » Je suis un caractère indépendant « , oppose malicieusement Claude Tellings au Vif/L’Express. A côté de cela, Ogeo dispose de tout l’appareil légal et extralégal nécessaire : double contrôle actuariel, commissaire agréé (Isabelle Rasmont pour PwC, comme chez Nethys), Compliance Officer, FSMA… Il lui manque pourtant le regard de ses bénéficiaires.
Les organisations syndicales écartées, les retraités spoliés
Contrairement à la majorité des fonds de pension, Ogeo Fund n’est pas paritaire. PensioPlus, qui fédère 86 % des 198 institutions de retraite professionnelles, dites aussi organismes de financement des pensions du deuxième pilier, relève que 73 % des fonds de pension belges ont des représentants du personnel au sein de leur conseil d’administration. Quand ce n’est pas le cas, le tiers des entreprises concernées ont au moins un comité social. Chez Ogeo Fund, rien de tout cela. Selon notre spécialiste du secteur, » dans un fonds de pension, la gestion paritaire n’est pas obligatoire mais elle est toujours préférable car il s’agit de l’argent des employés actuels et des retraités. C’est important pour eux de savoir que leurs réserves sont bien gérées. Le lien de confiance est essentiel. Raison pour laquelle la plupart des fonds de pension ne sont pas multi-employeurs. »
Le personnel est-il rassuré ? Luc Hakier, secrétaire régional CGSP – Admi, relaie la plainte récurrente des travailleurs du » canton » de Publifin : » Ils n’arrivent pas à obtenir des informations sur les résultats d’Ogeo, alors que dans d’autres intercommunales comme la Cile ou l’Aide, on les tient au courant. » Le syndicat socialiste CGSP dit regretter avoir perdu la parité ou un comité social. » Une reculade, admet Joël Thône, secrétaire intersectoriel, mais le rapport de force ne nous était pas favorable. » La reculade s’est répétée à chaque nouvelle affiliation. Ainsi, quand l’asbl Caisse de pension et de secours du personnel de la Socolie a transmis à Ogeo son trésor de guerre, soit 75,1 millions d’euros d’actifs, son comité social n’a pas suivi.
Le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de Tecteo du 19 juin 2009, signé André Gilles, était pourtant très clair : » Un comité social sera créé au sein d’Ogeo Fund conformément à la négociation globale arrêtée au sein des intercommunales liégeoises avec les organisations syndicales représentatives. Il sera composé de trois représentants du sponsor (Tecteo) et de trois représentants issus de l’actuel conseil d’administration de l’asbl existante » (point 3). Le » sponsor » est l’entreprise affiliée dans le langage des OFP. Le même procès-verbal garantissait les droits acquis : » Le conseil d’administration de Tecteo reconnaît que les droits des pensionnés et futurs pensionnés de l’ex-Socolie seront préservés dans l’hypothèse où une autorité extérieure (le législateur fédéral par exemple) réduirait de façon unilatérale les droits du personnel » (point 4).
La menace n’est pas venue d’une » autorité extérieure » mais bien d’Ogeo, via ses dirigeants à double casquette, André Gilles et Stéphane Moreau. Non content de tenir les organisations syndicales à l’écart, ils ont entrepris de raboter les avantages des retraités, plus élevés que ceux du secteur public, en invoquant une loi Wijninckx (1978) qui n’avait jamais constitué un obstacle par le passé. En juin 2013, le pécule de vacances et la prime de troisième âge des 200 et 136 retraités, respectivement, de l’ex-ALG et de l’ex-Socolie n’ont pas été versés. Selon les cas individuels, c’est un manque à gagner d’environ 1 000 euros par an. En première instance, la justice a condamné Ogeo à verser leur dû aux pensionnés (plus de 330 000 euros). Mais, en appel, les juges ont suivi l’argument de » la loi du changement » défendu par Jean Bourtembourg, avocat d’Ogeo Fund, contre le principe de standstill (maintien des droits acquis). La CGSP a renoncé à se pourvoir en cassation.
Quant au collectif des 333 retraités de l’ex-ALE qui ont porté un litige similaire devant les tribunaux, un jugement intermédiaire de première instance édicte que le groupe Publifin/Nethys n’aurait pas dû changer rétroactivement leur statut. Les pensionnés attendent la suite mais ils se sentent impuissants devant une justice liégeoise qu’ils soupçonnent d’être sous influence. Eux n’ont pas les moyens, disent-ils, de se payer un avocat comme Me Bourtembourg. Certains ont déjà mis 15 000 euros de leur poche. Et leurs rangs s’éclaircissent inéluctablement. Ils savent que la justice liégeoise enquête sur les années d’ancienneté de la mère de Stéphane Moreau à la Société de logements du Plateau, dont le futur ex-bourgmestre d’Ans est vice-président. Elles auraient été gonflées de dix années, ce qui aurait permis à Ethias de valoriser son assurance-groupe. Ils ont aussi appris, grâce à la commission Publifin, que l’assurance-pension de Stéphane Moreau s’élevait à 1,186 million d’euros.
Des années difficiles
Les charges d’exploitation ont quadruplé entre 2009 et 2015″
La chance d’Ogeo Fund est d’avoir été créée après la crise financière de 2008. Néanmoins, les mauvais jours pourraient revenir. Trois de ses entreprises d’affiliation ont déjà bifurqué vers le système ONSS-APL (les actifs d’aujourd’hui paient pour les passifs d’aujourd’hui : modèle rhénan de pension par répartition par opposition au modèle anglo-saxon de pension par capitalisation où chaque travailleur se constitue sa propre pension, principe des fonds de pension). Le Vif/L’Express l’a appris : une quatrième intercommunale, l’Aide, s’apprête à migrer vers l’ONSS-APL, le 1er janvier 2018, en raison d’une baisse des rendements financiers d’Ogeo. » La décision a été prise le 5 décembre dernier par le conseil d’administration, confirme Claude Tellings, directeur général de l’Aide. Cela évitera de devoir réinjecter de l’argent dans le fond de pension, 10 ou 11 millions d’euros, peut-être davantage, pour faire face à nos obligations à vingt ans. Le système par capitalisation n’est plus tenable. Nous allons donc passer au modèle de pension par répartition. Il n’y a pas de souci à se faire : la couverture intégrale des retraites en cours était assurée grâce à une réserve d’environ 100 millions d’euros dans le canton de l’Aide au sein d’Ogeo Fund. Celui-ci reste étanche par rapport aux autres. »
Cette migration étant légalement irréversible, à quoi va encore servir Ogeo Fund ? » A encaisser les rendements, répond Claude Tellings, et à intervenir si l’ONSS réclame l’excédent d’argent que le régime a avancé pour payer les pensions sur la base des cotisations de l’entreprise. » En fait, simplifie le directeur général, » Ogeo gère une cagnotte : c’est un élément de stabilisation et une garantie pour le personnel. » Doit-on comprendre que, petit à petit, le fonds liégeois se transforme en véhicule d’investissement ? Se contentant de faire fructifier une cagnotte (celle des travailleurs). Pour en user avec une certaine liberté.
L’instrumentalisation politique
Comme André Gilles l’a avoué devant la commission Publifin, Ogeo a prêté successivement 25 millions, 30 millions et 40 millions d’euros à Publifin, chaque fois remboursé dans le temps imparti, d’un à trois mois, et avec » un intérêt au taux du marché « . Bien qu’en théorie, un fonds de pension ne puisse pas prendre une position de prêteur, Ogeo s’est affranchi plus d’une fois de cette règle. Chaque fois au bénéfice de son pré carré liégeois et socialiste. Le fonds de pension a ainsi prêté de l’argent (65 millions d’euros) à la compagnie d’assurances liégeoise Integrale (pensions complémentaires), avant d’en prendre le contrôle, avec Nethys (90 millions d’euros).
A Seraing, fief d’Alain Mathot, Ogeo a avancé 7,75 millions d’euros (hors intérêts) pour le projet de construction d’un complexe immobilier sur le site de la cristallerie du Val Saint-Lambert. » Le rendement annuel global moyen est supérieur à 7 %, fait savoir Ogeo, par courriel, au Vif/L’Express. Ogeo Fund y dispose de nombreuses sûretés réelles, gages sur terrain, mandats hypothécaires… » A Verviers, dont la bourgmestre est socialiste, Ogeo Fund a acquis pour 3 millions d’euros, en pleine propriété, un immeuble appartenant à Solidaris pour aider à la finalisation du projet de centre commercial City Mall. » Le rendement annuel global attendu est de l’ordre de 5 % « , indique Ogeo. A Bavière, l’investissement se fait au travers de la SA UrBa Liège détenue à 90 % par Ogeo Fund et à 10 % par la SA Galère : un projet immobilier d’environ 100 000 mètres carrés (logements, bureaux, université, bibliothèque, école et salle de sports) qui ne peut que satisfaire le bourgmestre, Willy Demeyer et sa compagne, Michèle Lempereur, dont le bureau de consultance, selon Le Soir du 1er mars, a servi de facilitateur pour 200 000 euros. Le capital de la société Urba Liège s’élève à 5 millions d’euros, dont 4 185 000 euros ont été libérés par Ogeo Fund. C’est le frère aîné de Daniel Bacquelaine, le promoteur Yves Bacquelaine, qui est l’administrateur-délégué de la SA Bavière Développement dont fait partie Urba Liège.
En donnant un coup de pouce à ces trois projets régionaux qui patinent depuis des années, Ogeo ne considère pas qu’il met en péril son business : » Ces investissements représentent moins de 7 % de la poche immobilière d’Ogeo, laquelle s’élève à 220 millions d’euros « , justifie-t-il.
Le fonds de pension liégeois a aussi investi à Anvers avec Land Invest Group grâce aux connexions avec l’ancien ministre socialiste gantois, Luc Van den Bossche (SP.A), au coeur de la galaxie Optima, et à un développeur immobilier qui fut aussi le premier chef de cabinet de Bart De Wever (N-VA). Ce dernier avait été salarié pendant huit mois par Ogeo Fund. Ces relations d’affaires expliquent-elles le refus flamand, à l’exception du CD&V et du Vlaams Belang, il y a un an pile, de lever l’immunité parlementaire d’Alain Mathot, inculpé pour corruption et blanchiment dans le dossier Intradel, la construction d’un incinérateur à ordures ? La réputation d’Ogeo Fund autorise toutes les hypothèses.
Frédéric Daerden (photo) est bourgmestre de Herstal, député fédéral et vice-président de la fédération liégeoise du PS. « Ogeo Fund fait partie du groupe Publifin. Je pense qu’il devrait revenir à une gestion paritaire, estime-t-il. D’un point de vue principiel, parce qu’il s’agit de l’argent des travailleurs, le gage qu’ils seront associés à la gestion de sommes considérables. C’est aussi la garantie d’avoir une utilisation prudente qui corresponde à une stratégie déterminée. La représentation du personnel a déjà été évoquée mais il ne faut pas qu’elle soit symbolique. Je ne connais pas le détail des opérations liées à L’Integrale, Bavière, Verviers ou Cointe (NDLR : une propriété à l’abandon dans le parc très huppé de Cointe, acheté par Ogeo pour 889 000 euros en 2012). Je ne dis pas que ce sont des opérations à haut risque ou du gaspillage d’argent, tout a été fait dans les règles prévues, mais cela peut paraître surprenant dans certains cas, Cointe, par exemple. Un contrôle supplémentaire serait légitime et opportun. »
Et c’est bien le drame pour ce fonds de pension présenté par ses concepteurs comme la huitième merveille du monde.
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