Claude Demelenne
Mieux vaut un bon divorce que le chaos belge
Le divorce ou le chaos ? Ce pays ne vit plus, il survit. Il est un non-Etat, géré par un non-gouvernement, dirigé par une non-Première ministre. Une imposture démocratique.
Comme Georges-Louis Bouchez, moi aussi j’ai été belgicain. Jusqu’aux années 1990, j’ai pensé que la Belgique était un pays intéressant. Complexe, fragile, miné par d’incessantes disputes Nord-Sud, mais quelque part exemplaire. Tout de même, le compromis à la belge, le modèle social belge, la Sécu, ce n’est pas rien. J’en étais convaincu : il ne faut surtout pas diviser les citoyens, les travailleurs, mais jeter des ponts de part et d’autre de la frontière linguistique. Et puis, la Belgique n’est-elle pas la preuve qu’au coeur de l’Europe, au sein d’un même Etat multiculturel, peuvent cohabiter pacifiquement, deux peuples, de langues, de cultures, de sensibilités différentes ?
Degré zéro de la politique
C’est fini. Cela ne marche plus. La cohabitation est toujours pacifique – hormis quelques saillies verbales – mais elle est totalement chaotique. La paralysie est ravageuse. Degré zéro de la politique : la Belgique fédérale est incapable de la moindre ambition, du moindre projet, même pas un stade de foot national. L’exemple est devenu contre-exemple. Flamands et francophones ne sont pratiquement plus d’accord sur rien. Au Nord, l’échiquier politique penche de plus en plus vers la droite nationaliste. Au Sud, il s’ancre toujours davantage au centre-gauche, voire carrément à gauche. Le compromis patine, car le contentieux est trop lourd.
Le clivage Flamands-francophones est obsédant. Les uns et les autres ont, sur la plupart des sujets, des avis divergents. Leurs priorités, leurs agendas politiques, ne se recoupent plus. Leurs projets d’avenir n’ont plus rien de commun. En 1981, le journaliste-essayiste français, André Fontaine, publiait une monumentale histoire de la détente entre les Etats-Unis et l’URSS, sous le titre ‘Un seul lit pour deux rêves’. L’intitulé convient pour décrire les relations entre Belges francophones et flamands. Les premiers rêvent encore souvent d’une Belgique éternelle. Les seconds rêvent d’une Flandre volant de ses propres ailes, soit indépendante – un courant minoritaire – soit tirant les ficelles dans une Belgique ressemblant toujours davantage à une coquille vide.
Belgique peau de chagrin
La Belgique va devenir une coquille vide, l’expression est ancienne. « Privée de solidarités essentielles, la Belgique sera, demain, une coquille vide », écrivait il y a plus de deux décennies, l’ancien président de la FGTB wallonne, Urbain Destrée. Son constat était implacable : « Le système craque sous les coups de boutoir du nationalisme flamands. Nous vivons à l’heure d’une Belgique peau de chagrin qui rétrécit sous l’action combinée des hommes politiques et du patronat du nord du pays. Un patronat musclé, arrogant et pratiquant volontiers le chantage » qui prône « un modèle flamand à substituer au modèle belge » (1).
Le chantage des patrons flamands
Tel est le noeud du chaos belge.Une part croissante d’élus flamands souhaitent des réformes ultra-libérales – mettant sur le grill l’Etat providence – impitoyables avec les faibles, complaisantes avec les puissants, scindant les soins de santé, cultivant une identité flamande forte, mettant au pas les artistes, sommés d’être « utiles » à la nation flamande, sans oublier également des options très sécuritaires, très restrictives en matière d’immigration, dures avec les candidats à l’asile.
Le chantage des patrons flamands évoqué par le syndicaliste Urbain Destrée porte essentiellement sur la protection sociale. Si celle-ci n’est pas assouplie, comme le réclament les patrons flamands du VOKA, ils lâcheront la Belgique pour le confédéralisme, sinon l’autonomie pure et simple de la Flandre.
Le modèle flamand cher à la NV-A et à ses alliés, s’il était appliqué à la Belgique, constituerait un tournant majeur, un détricotage des acquis sociaux obtenus par la gauche. Ce serait un enterrement de première classe pour la social-démocratie à la belge.
Négocions un bon divorce
Alors, divorcer ? C’est vite dit. En 1980, l’avocat et essayiste liégeois, René Swennen, expliquait déjà que « la Belgique est en train de mourir, car les Belges ne s’aiment plus » ajoutant que « le grand défaut du scénario séparatiste est que les actuels époux ne sont d’accord sur aucune des clauses de la convention à établir. La Flandre ne veut pas payer de pension alimentaire à la Wallonie. Le partage des biens s’annonce difficile » (2).
Pourtant, le PS et au-delà, l’ensemble de la classe politique francophone n’a pas d’autre alternative. Laisser la NV-A et ses alliés imposer leurs choix dans une Belgique flamandisée conduirait à une catastrophe sociale.
Il faut donc négocier. Comme toujours en démocratie. Négocier un bon divorce. Formons un gouvernement provisoire, pour une durée d’un an, chargé de prendre quelques décisions urgentes, notamment budgétaires. Ce gouvernement aussi large que possible, incluant la NV-A, aura notamment pour mission de jeter les bases de l’après-Belgique fédérale. Cela veut dire fixer l’agenda et la méthodologie de la grande négociation Nord-Sud qui débuterait au plus tôt en 2022, après des élections anticipées. Sur la table, deux grandes options : une Belgique confédérale ou une séparation pure et simple. L’une et l’autre seront d’une infinie complexité. Mais tout n’est-il pas préférable au chaos actuel, qui constitue une vraie imposture démocratique ?
(1)Belgique, toujours grande et belle, ouvrage collectif, revue de l’ULB, éditions complexe, 1998
(2)Belgique requiem, René Swennen, éditions Julliard, 1980
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