Carlos Crespo
Mieux lutter contre « l’islamophobie » pour mieux lutter contre « l’islamisme » !
« Il n’est pas en soi illégitime qu’un état de droit souhaite limiter l’influence de personnes ou de groupes qui souhaitent mettre à mal ses principes fondamentaux. Cela implique toutefois d’agir de manière proportionnée et de ne pas traiter de manière discriminatoire une partie de ses citoyens. »
« Quand Paris s’enrhume, l’Europe prend froid ! » disait en 1830 le Chancelier impérial d’Autriche Klemens Wenzel Von Metternich. Il voulait relever le caractère inspirant des trois journées d’insurrection, passées à la postérité sous le nom de Trois Glorieuses, au cours desquels le peuple parisien s’est révolté pour chasser le Roi Charles X, le dernier des monarques bourbons à avoir régné sur la France. En effet, les insurgés de la capitale française font, dans les semaines qui suivent, des émules révolutionnaires notamment en Belgique. Il existe diverses variantes de cette expression. Parmi lesquelles, on retrouve, pour illustrer l’intérêt constant porté à l’actualité française dans notre pays, « Quand Paris s’enrhume, Bruxelles prend froid ! » ou quand Paris s’enrhume, Bruxelles éternue ! ».
Depuis plusieurs semaines le Président Macron a lancé une offensive contre l’islam politique. Sa nouvelle loi « confortant les principes républicains » vise principalement à sanctionner davantage la haine en ligne et à renforcer le pouvoir de contrôle et la possibilité de dissoudre des associations considérées comme radicalisées. Dans un pays aussi culturellement proche de la France que le nôtre, de surcroit également marqué par des attentats djihadistes, les débats français sur ces questions font souvent écho. En Belgique, la récente décision du Pouvoir Organisateur de l’enseignement officiel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, d’autoriser le port de signes convictionels dans le supérieur suscite une forte crispation. Certains observateurs ont tout de même été jusqu’à pointer une victoire « du prosélytisme islamiste ». Les prosélytes n’en sont visiblement pas à leur premier grand triomphe car le port du voile est depuis longtemps autorisé tant dans les universités de la très laïque République Française qu’à l’Université Libre de Bruxelles, temple du Libre Examen !
Pour en revenir au sujet principal, il n’est pas en soi illégitime qu’un état de droit souhaite limiter l’influence de personnes ou de groupes qui souhaitent mettre à mal ses principes fondamentaux. Cela implique toutefois d’agir de manière proportionnée et de ne pas traiter de manière discriminatoire une partie de ses citoyens. La loi précitée risque, de plus, d’être un gigantesque coup dans l’eau qui produit beaucoup de vagues ne fera à peine qu’éclabousser ceux qui sont visés. En effet, les recruteurs djihadistes mais aussi différents dirigeants ou intellectuels qui promeuvent, d’une manière ou d’une autre, l’Islam Politique mettent souvent en avant les discriminations ou la stigmatisation dont sont victimes les musulmans dans les pays occidentaux. Si l’objectif est de les rendre moins convaincants, leur donner de nouveaux arguments ne semble pas la meilleure chose à faire.
A contrario, même si cette option peut sembler incongrue, si l’on veut lutter contre « l’islamisme », il serait plus stratégique de mener également le combat contre « l’islamophobie ». J’utilise les guillemets à dessein pour évoquer ces termes polysémiques. Dans un débat qui laisse peu la place à la nuance, il importe d’objectiver les choses. Si l’on reprend la définition du dictionnaire Robert en ligne, « l’islamisme » est un « mouvement prônant l’expansion ou le respect de l’Islam ». On peut considérer que les sympathisants de ce mouvement placent la loi de Dieu au-dessus de la loi des hommes. Parmi les groupes ou les individus qui souscrivent à cette hiérarchisation effectivement critiquable, on observe une grande hétérogénéité. Outre les séides criminels de DAESH ou d’autres groupuscules prônant la terreur armée, on retrouve des promoteurs de l’islam politique qui utilisent les libertés existantes en ayant pour objectif, plus ou moins lointain, de les restreindre conformément à leurs préceptes religieux. Les tristes sires qui militaient pour ce que fut le parti « Islam » rentrent dans cette catégorie. Heureusement pour la santé de notre débat démocratique, qu’ils n’étaient indubitablement pas aussi fins stratèges que fieffés réactionnaires. Il est légitime de se montrer vigilant face à d’éventuels futurs avatars de ce genre de formations. Dans la même logique, il importe également d’être particulièrement méfiant à l’égard des agissements d’ambassades de pays d’où sont originaires un certain nombre de Belges et qui n’hésitent pas à instrumentaliser la religion et sa pratique pour accroitre leur influence politique et leurs réseaux.
Le combat pour la défense des principes démocratiques (ou même républicains !) ne se limite aucunement à lutter contre ceux qui les rejettent ou ambitionnent d’en restreindre la portée. Il est essentiel d’oeuvrer concrètement à les rendre effectifs tous les jours pour l’ensemble de nos concitoyens. Dans cette optique, la lutte contre « l’islamophobie » trouve tout son sens. Si on se réfère également au dictionnaire Robert en ligne pour ce terme controversé qui, n’en déplaise à ses nombreux détracteurs, le mot figure tout de même dans le dictionnaire, « l’islamophobie » est définie comme « l’hostilité envers l’islam et les musulmans ». Ce qu’il y a lieu de combattre c’est l’hostilité envers les musulmans sur base de leurs croyances ou pratiques religieuses. Tout démocrate conséquent doit s’insurger lorsque ses concitoyens musulmans sont la cible de propos stigmatisants ou d’attitudes discriminatoires. Un indéfectible attachement à l’égalité réelle n’implique aucunement une renonciation honteuse à la critique des religions. En guise d’exemple, le blasphème est encore un délit passible de poursuites pénales dans quelques pays européens, peu suspects d’être sous la coupe des Frères Musulmans au demeurant, et cela demeure une atteinte injustifiée à la liberté d’expression. Il importe de défendre le droit de croire comme celui de ne pas croire. On peut mettre la liberté de culte sur un piédestal tout en refusant que les cultes ne piétinent les libertés ! Il n’est aucunement incohérent de vouloir contrer, à la fois, des groupes nationaux ou supranationaux qui promeuvent diverses formes de régression démocratique et la haine à l’égard ceux qui n’ont pour seul tort que de partager la même confession que les activistes desdits groupes.
Carlos Crespo
Ex-président du MRAX
Auteur du livre « En finir avec DAESH », Ed couleur livres, 2018.
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