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Méga-détournement de fonds au CPAS de Liège

David Leloup Journaliste

Durant 15 ans, des centaines de milliers d’euros ont été détournés au CPAS de Liège par un agent indélicat. L’homme de 61 ans, en aveux, a été arrêté. Il puisait sur le compte des règlements collectifs de dettes, flouant ainsi des personnes surendettées et leurs créanciers, au nez et à la barbe de son employeur. Qui n’a jamais rien décelé d’anormal depuis 2003.

Le scénario est d’un cynisme sans nom. Un agent du Centre public d’action sociale (CPAS) de Liège a détourné, depuis 2003, plusieurs centaines de milliers d’euros en ponctionnant le compte du règlement collectif de dettes, un compte destiné à verser un revenu aux personnes gravement surendettées et à rembourser leurs créanciers. L’homme, un Liégeois de 61 ans qui travaillait au CPAS depuis 1999, réinvestissait ensuite les fonds détournés dans l’immobilier. Propriétaire de plusieurs immeubles en Belgique, il est en aveux et un mandat d’arrêt a été délivré contre lui dimanche dernier.

Les faits ont été découverts mercredi 14 février suite à la détection d’une anomalie lors de l’analyse du dossier individuel d’une personne surendettée. L’agent indélicat était absent et c’est son remplaçant qui a découvert fortuitement le pot-aux-roses, alerté par un virement inhabituel. Vu la gravité des faits, le suspect a été licencié sur-le-champ. Dès le lendemain, le directeur financier du CPAS déposait plainte auprès du parquet de Liège, qui a directement mis le dossier à l’instruction pour « détournement commis par fonctionnaire, faux commis par fonctionnaire et blanchiment », nous confirme-t-on au parquet.

L’épouse du suspect a été inculpée de blanchiment et libérée sous conditions. Le directeur financier, ainsi que d’autres agents du CPAS, ont été auditionnés par les enquêteurs de la police judiciaire fédérale de Liège. Ces derniers se sont rapidement plongés dans les dossiers dont l’agent licencié avait la charge. Sur les 181 dossiers de règlement collectif de dettes actuellement gérés par le CPAS, 65 étaient sous la responsabilité du suspect. Environ la moitié de ceux-ci auraient fait l’objet de détournements.

Le montant gonfle de jour en jour

Lundi, les fonds détournés étaient estimés à 85.000 euros. Ce jeudi, on se situe « entre 150.000 et 200.000 euros », précise Nathalie Rutten, la directrice générale du CPAS. Ce montant gonfle de jour en jour et pourrait très bien doubler, voire tripler, apprend-on de source judiciaire. On n’est qu’au tout début de l’enquête et tous les dossiers individuels n’ont pas encore été épluchés par les enquêteurs. Loin de là. « Un dossier de règlement collectif de dettes s’étale généralement sur une période de deux à sept ans maximum », précise Nathalie Rutten. Vu que les faits litigieux ont débuté en 2003, le suspect a dû gérer ces quinze dernières années largement plus d’une centaine de dossiers, dont un grand nombre ont été clôturés.

« Le suspect avait contracté plusieurs emprunts hypothécaires et autres crédits auprès de banques qu’il remboursait directement depuis le compte du CPAS, explique une source proche de l’enquête. Il remboursait ses crédits au moyen des fonds qu’il détournait. Le mécanisme utilisé pour siphonner les fonds n’avait rien de sophistiqué. Le problème, c’est qu’il n’y a pas un compte spécifique pour chaque médié [personne en médiation de dettes, NDLR]. Il n’y a qu’un compte global dans lequel tout est dilué. Le suspect utilisait à ses propres fins l’argent qui arrivait dans ce pot commun destiné aux médiés et à leurs créanciers. »

Les fonds quittaient donc ce « pot commun » et étaient versés sur les comptes de diverses banques qui avaient fait crédit au suspect. Apparemment, aucune banque ne s’est interrogée sur le fait qu’un crédit accordé à un individu était remboursé par une institution, en l’occurrence le CPAS de Liège. L’enquête devra déterminer le mode opératoire exact utilisé par le suspect.

Personne n’a rien vu

Durant toutes ces années, pourtant, personne n’a remarqué quoi que ce soit d’anormal au sein du CPAS de Liège. « Les médiés et les créanciers ont toujours été payés en temps et en heure, nous n’avons jamais reçu la moindre plainte », explique la directrice de l’institution. Qui ajoute que ni les médiés ni les créanciers ne seront lésés au bout du compte. « Le CPAS a l’intention de se porter partie civile dans ce dossier et se portera garant des montants détournés aux uns et aux autres », précise encore Nathalie Rutten.

Un règlement collectif de dettes (RCD) est une procédure en justice destinée à remédier aux situations de surendettement devenues ingérables. Elle vise à permettre aux personnes qui le demandent et à leur famille de retrouver des conditions de vie dignes, tout en leur permettant de rembourser tout ou partie de leurs dettes. Une fois une demande de RCD introduite, le médiateur de dettes désigné – un avocat ou le CPAS – fait le point sur la situation économique du demandeur. Il élabore ensuite un plan de remboursement avec les créanciers. Si ce scénario « amiable » n’aboutit pas, le juge ordonne un plan judiciaire imposé au demandeur et à ses créanciers. Le CPAS de Liège gère environ 530 dossiers de médiation de dette (à l’amiable) et 181 dossiers de RCD (contraints par un juge).

L’ancien président du CPAS de Liège se dit « choqué »

Claude Emonts, qui présidait aux destinées du CPAS de Liège de 1995 à 2015, s’est pour sa part dit choqué par l’important détournement de fond. Lui qui a de nombreuses fois été confronté au sexagénaire s’est déclaré « véritablement stupéfait d’apprendre que cet homme a agi de la sorte pendant de nombreuses années sans jamais se faire prendre. C’est surprenant de constater qu’un individu, d’apparence respectable, a réussi à commettre une telle escroquerie ». Cette stupéfaction est d’autant plus grande que le profil de cet homme « ne colle absolument pas avec celui d’un voleur », estime Claude Emonts qui précise que « cet homme, qui a obtenu le diplôme de juriste au Congo, a été moine dans sa jeunesse ».

« Il m’était réellement impossible de savoir que des fonds manquaient durant mon mandat de président », ajoute l’ancien président de la structure. « Le CPAS est basé sur un système pyramidal donc je ne suis pas le premier à être informé par ce genre de problèmes ».

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