Marc Van Ranst: « Je ne m’opposerai pas à la suppression du CST »
De toutes les mesures sanitaires, le Covid Safe Ticket (CST) est celle qui rencontre le plus de résistance. Selon les scientifiques, cette résistance n’est pas infondée. » Tout le monde sent que, dans cette situation, on ne peut pas le rendre obligatoire « .
Lorsque le président français Emmanuel Macron a annoncé début juillet 2021 que dès le mois prochain, l’horeca, les cinémas et les centres commerciaux, entre autres, ne seraient accessibles qu’avec un pass sanitaire (l’équivalent de notre CST), il a déclenché les protestations de centaines de milliers de Français. Macron a tenu bon. Un peu plus de six mois plus tard, il semble avoir eu raison. Selon une étude récente du think tank Bruegel, le pass sanitaire français aurait permis d’éviter plus de 30 000 hospitalisations et près de 4 000 décès. A titre de comparaison, en Belgique, cela signifierait environ 5000 hospitalisations et environ 600 décès en moins.
Ces chiffres sont impressionnants. Mais l’efficacité du Covid Safe Ticket (CST) en Flandre et/ou en Belgique a-t-elle été du même ordre? Pas du tout. L’efficacité du pass sanitaire français est principalement due à l’effet favorable de la mesure sur le niveau de vaccination. Le CST a eu beaucoup moins d’influence dans notre pays.
Lorsque Macron a annoncé l’instauration du pass sanitaire, environ 53% de la population en France avait été vaccinée. Aujourd’hui, avec près de 76 % de personnes complètement vaccinées, le pays se trouve – comme la Belgique – dans le subtop européen. Compte tenu de la grande méfiance des Français à l’égard des vaccins, ce taux de vaccination relève du demi-miracle. Il ne fait aucun doute que le pass sanitaire y a contribué. Selon l’étude de Bruegel, sans le pass sanitaire, le taux de vaccination français serait inférieur de 13 points de pourcentage.
Chantage
L’influence du CST sur la couverture vaccinale en Belgique était beaucoup plus faible, au point que l’on peut même se demander s’il a eu une influence quelconque. Pour s’en rendre compte, il suffit de jeter un coup d’oeil aux chiffres. Le 1er octobre 2021, lorsque le CST a été introduit dans notre pays comme condition pour se rendre à de grands événements ou dans des discothèques, 73 % de la population totale était déjà doublement vaccinée. Lorsqu’un mois plus tard, le CST est également devenu obligatoire pour l’horeca ou les centres de fitness, le taux de vaccination belge était de 74 %. Entre-temps, ce chiffre est passé à plus de 76%. Il s’agit donc d’une augmentation de 2 à 3 points de pourcentage, dont au moins 1 point peut être expliqué par le lancement de la vaccination des enfants.
« Dans un pays comme la France, un pass sanitaire est plus défendable que dans notre pays. En France, le passeport sanitaire a fait une différence très nette. Rétrospectivement, il faut dire que dans les pays où le taux de vaccination est aussi élevé que le nôtre, la charge et les tracas ne l’emportent pas sur le bénéfice éventuel », estime Marc Van Ranst (KU Leuven).
Contreproductif
Etait-ce une mauvaise idée d’instaurer le CST en Flandre où la couverture vaccinale est plus élevée qu’ailleurs en Belgique? Tom Wenseleers, biostatisticien à la KU Leuven, souligne qu’initialement le CST a été introduit comme une mesure transitoire. « Il a donné aux personnes vaccinées la possibilité de retrouver une certaine liberté et de rouvrir certains pans de l’économie », explique Wenseleers. « N’oubliez pas que le CST a été instauré principalement sous la pression de l’horeca. En même temps, il pouvait encourager un certain nombre de personnes non vaccinées à franchir le cap ». Ce dernier point ne semble guère avoir été atteint et n’a fait qu’accroître les doutes quant à l’effet bénéfique sur la santé publique, car le CST n’a-t-il pas aussi créé le fameux faux sentiment de sécurité ? « Il ne fait aucun doute que certaines personnes vaccinées ont estimé que le CST garantissait un environnement sûr », déclare Wenseleers. « Il a pu annuler en partie l’effet des vaccinations. Si un vaccin réduit le risque d’infection par un facteur de deux, mais que les personnes vaccinées voient deux fois plus de monde, le bénéfice est perdu ».
La question de l’utilité du CST ne devient que plus pertinente à mesure qu’Omicron mine davantage l’efficacité des vaccins. Certes, même avec ce variant, les vaccins et les rappels offrent une protection contre l’infection et la transmission. Mais la protection est beaucoup plus faible que les prédictions faites sur la base du variant original de Wuhan. Dans le journal De Morgen, le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) a récemment affirmé qu’une personne vaccinée a « neuf à dix fois » moins de chances de transmettre le virus. Cependant, comme le rapporte une vérification des faits dans le journal De Standaard : en réalité, la réduction du risque est beaucoup plus faible. Mais dans l’autre sens, la vérité est parfois également voilée. L’épidémiologiste Luc Bonneux a récemment déclaré sur Twitter que le taux de vaccination flamand (NDLR : 81%) n’est pas suffisamment élevé « pour même entraver Omicron ». Cette affirmation est également incorrecte. Grâce à une étude danoise, nous savons qu’un rappel réduit l’infection et la transmission d’Omicron de 40 à 50 %« , explique Tom Wenseleers. « Mais nous savons aussi que l’effet diminue rapidement après quelques mois. En outre, le virus circule logiquement davantage chez les personnes non vaccinées, de sorte qu’elles acquièrent une immunité plus rapidement et que la différence de risque entre les personnes vaccinées et non vaccinées s’estompe avec le temps. Cette protection par l’immunité naturelle ne doit pas être négligée. Mais elle a aussi un prix en termes de soins de santé et de risque individuel élevé. »
Polarisation
Wenseleers ne laisse aucune place au malentendu : les vaccins restent une arme très importante, également dans la lutte contre Omicron. Mais une obligation directe ou, comme via le CST, indirecte est-elle encore justifiable si ces vaccins perdent si rapidement leur efficacité ?
« J’envisagerais une certaine forme d’obligation si la protection contre l’infection et la transmission était très élevée et si nous pouvions vraiment éradiquer le virus », déclare Wenseleers. Des vaccins de deuxième génération sont actuellement en cours de développement. Par exemple, différents fabricants travaillent sur des vaccins en spray nasal qui seraient plus efficaces pour prévenir la transmission. Une fois ces vaccins approuvés, les arguments en faveur d’une obligation pourraient reprendre de la vigueur. Mais pour l’instant, je crains qu’une large obligation ne renforce la polarisation. Il y a un risque qu’elle compromette le haut niveau de volonté à la vaccination en Flandre, ce qui pourrait également avoir des effets négatifs sur la volonté de se faire vacciner pour d’autres maladies.
Malgré les nombreuses objections, le CST ne semble pas encore mort et enterré. Par exemple, le baromètre corona récemment proposé stipule que ce n’est que dans la phase la plus basse, jaune, de la pandémie (moins de 300 patients en soins intensifs) que le CST ne sera pas nécessaire pour se rendre dans un restaurant ou à un événement. En même temps, le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) veut remplacer dans un avenir proche le CST par un certificat de vaccination, un instrument qui, d’une certaine manière, est encore plus exclusif, car un certificat de guérison et/ou un test négatif ne suffiraient plus pour se rendre dans un restaurant, par exemple.
Pour Debyser, introduire une forme d’obligation lorsque la situation épidémiologique devient incontrôlable n’est pas nécessairement une mauvaise idée. « Avec le comité de bioéthique, nous avons décidé que l’obligation doit être envisagée si elle peut sauver le système de santé. Si les soins de cancers potentiellement mortels doivent être reportés parce que les personnes non vaccinées mettent trop de pression sur le système, il y a beaucoup à dire sur le plan éthique. Mais nous avons également assorti cette décision d’un certain nombre de conditions. Et certaines de ces conditions ne sont pas remplies pour le moment. Par exemple, nous pensons qu’une obligation n’est possible que si le vaccin est suffisamment efficace. Ce n’est manifestement pas le cas à l’heure actuelle. Les fabricants de vaccins eux-mêmes affirment que le vaccin actuel est inadéquat et qu’ils doivent en développer un nouveau. Tout le monde est certainement d’avis que dans cette situation, on ne peut pas le rendre obligatoire ».
Région frontalière
Marc Van Ranst n’est pas fan non plus d’une obligation indirecte de vaccination en temps d’Omicron. « Le CST n’aurait jamais vu le jour si Omicron avait été dominant à l’époque », dit-il. « Une forme d’obligation serait encore justifiable s’il existait un vaccin plus efficace, mais il n’y en a pas. »
Va-t-il, depuis sa position de conseiller, plaider en faveur de l’abolition ? « Je comprends les voix qui plaident pour l’abolition, et je ne m’y opposerai certainement pas. Mais je préférerais que nous entrions le plus rapidement possible dans le code jaune du nouveau baromètre. Alors la discussion s’arrêtera. »
Enfin, il existe un argument plutôt pragmatique en faveur du maintien, au moins temporaire, du CST. Un mécanisme similaire existe déjà dans nos pays voisins. Si notre pays est le premier à l’abolir, il y a un réel danger que nous soyons inondés de personnes non vaccinées venant des Pays-Bas, d’Allemagne ou de France. Il faut en tenir compte », déclare Van Ranst. « Au fond, notre pays tout entier est une région frontalière. Mais je ne pense pas que le problème se posera. Vous pouvez déjà constater que des pays comme l’Angleterre, l’Écosse et la République tchèque abandonnent ces mesures. Il faut s’attendre à ce que d’autres suivent. »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici