Carte blanche
Madame De Block, ne changez pas les chiffres des décès du coronavirus
Geoffrey Pleyers, sociologue, chercheur FNRS à l’UCLouvain, estime qu’intégrer les décès suspects mais non testés reste le meilleur moyen de suivre le développement de l’épidémie et d’adopter les meilleures mesures pour la contenir.
Face à l’ampleur de l’épidémie et un nombre de décès qui reste chaque jour très élevé, la ministre fédérale de la santé Maggie de Block propose de changer… les chiffres. Ce jeudi matin sur LN24 elle propose une nouvelle méthode de comptage des décès liés au coronavirus dans le but explicite d’éviter que notre pays n’apparaisse parmi ceux qui sont les plus touchés par la pandémie : « on a décidé, avec les neuf ministres, de demander un nouveau système. Le SPF Santé a proposé un enregistrement conforme en Belgique pour éviter que les chiffres soient si hauts. Sciensano travaille sur un système grâce auquel on peut se comparer aux pays autour de nous ».
Comme je l’indiquais dans une carte blanche ce mardi, en l’absence de tests généralisés, comptabiliser les décès dont les médecins soupçonnent qu’ils sont liés au coronavirus, comme nous le faisons en Belgique, est sans conteste la « manière de comptabiliser les décès qui permet d’avoir une meilleure représentation de l’ampleur de la pandémie et donc d’évaluer les moyens à mettre en oeuvre pour la contenir ». Il est donc important de maintenir ces indicateurs, tout en sachant qu’ils conduisent à relativiser les comparaisons internationales. En effet, la plupart des pays, comme la France, se refusent à intégrer les cas des personnes décédées qui n’ont pas été testées.
Changer les chiffres lorsque la réalité n’est pas celle qu’on souhaite ou pour préserver l’image du pays à l’étranger, c’est probablement ce que font la Chine et bien d’autres pays, mais cela pose question. La qualité des chiffres et des indicateurs est en effet fondamentale pour obtenir une bonne image de l’épidémie afin de mettre en place les mesures les plus appropriées possible pour la contenir. A cet égard, le travail quotidien des experts de la commission interfédérale sur le coronavirus est remarquable de rigueur et de pédagogie.
En m’appuyant sur le nombre élevé de décès par millions d’habitants en Belgique, le propos de ma carte blanche était d’alerter sur la gravité de la situation et de pointer un hiatus entre deux indicateurs, le nombre élevé de décès liés au coronavirus dans notre pays et le taux d’occupation des unités de soins intensifs. Contrairement à certaines régions d’Italie ou de France, nos hôpitaux n’ont pas été débordés et nous avons pourtant un nombre élevé de décès. Ce constat conduit à souligner l’insuffisance des indicateurs qui ont été jusqu’il y a peu les plus suivis et commentés, en particulier celui des nouvelles hospitalisations et le taux d’occupation des lits dans les unités de soins intensifs.
Lorsque 69% des décès annoncé dans la journée n’ont pas lieu à l’hôpital mais dans des maisons de repos et de soin, comme c’est ce jeudi, il est indispensable d’y ajouter des indicateurs spécifiques qui prennent en compte l’évolution de la maladie dans ce secteur particulièrement vulnérable. On y porte depuis quelques jours une plus grande attention. Mais pour disposer de ces indicateurs, il est indispensable de fournir très rapidement la possibilité de tester en masse et régulièrement les pensionnaires et le personnel si nous voulons avoir une meilleure image de l’évolution de l’épidémie dans notre pays et ne pas continuer d’agir « en aveugle » comme l’ont rapporté des directeurs de maisons de repos et de soin. Les chiffres et indicateurs statistiques nous indiquent que c’est à ce niveau que la Belgique, comme bien d’autres pays, a tardé à réagir, et que cela a eu des conséquences dramatiques.
Nous ne disposerons pas de chiffres précis et définitifs avant la fin de la crise, mais les chiffres et indicateurs dont nous disposons permettent d’ajuster notre image de l’épidémie dans le pays et à partir de là les politiques pour la limiter. Ils indiquent aujourd’hui que l’urgence est de fournir tout le matériel de protection et de tests aux maisons de repos et de soin et de mieux intégrer les acteurs de ce secteur dans la gestion de la crise et les décisions prises pour alléger le confinement. Allier la connaissance et la participation est un élément fondateur de la démocratie mais aussi un défi permanent, plus encore en cette période où nos sociétés sont mises à l’épreuve par cette épidémie sans précédent depuis un siècle.
Quand on a la grippe, il ne sert à rien de changer de thermomètre!
Geoffrey Pleyers, sociologue, chercheur FNRS à l’UCLouvain
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