Anne-Sophie Bailly
Liberté d’expression, faces A et B
La liberté d’expression doit être protégée, quand elle dénonce. Le racisme comme les mensonges d’Etat.
Face A. Bien sûr, il y avait Kim Clijsters, Boris Johnson et Donald Trump. Bien sûr, il y avait aussi des musulmans et des catholiques. Et la famille royale britannique. Et un garagiste Toyota.
Et bien sûr, il y avait aussi des juifs aux nez crochus. Caricaturés en insectes.
Ceux qui espéraient que les carnavaliers d’Alost allaient mettre la pédale douce après le tollé de l’année précédente en ont été pour leurs frais. Car à Alost, « on rit de tout ». Au nom de l’esprit carnavalesque. De l’irrévérencieux. De la liberté d’expression.
Comme le fait Charlie Hebdo, disent certains. Sauf que quand Charlie caricature, il dénonce. Quand Alost défile, il se moque. Et le monde rit jaune. Hormis de la part de son bourgmestre (N-VA), la confrérie a trouvé peu de soutien. Pas de #jesuisDeZwiejtollekes sur les réseaux. Mais une indignation quasi collective. Sophie Wilmès et la Commission européenne ont dénoncé, en choeur, les stéréotypes visés par ces marionnettes – » une honte » -, « qui ne reflètent pas nos valeurs ». Unia envisage une action en justice. Les constitutionnalistes regardent si l’intention de nuire peut être mise en évidence.
Et la presse, belge surtout, s’est interrogée sur la manière de couvrir l’événement. Montrer ou pas les images controversées ? A cette question, une seule réponse : oui, sans hésiter. Car si la presse ne le fait pas, chaque smartphone s’en chargera. Mais la publication de ces images doit être assortie de contextualisation et décodage. Pour expliquer, encore une fois, que la banalisation des stéréotypes est dangereuse. Que l’humour ne peut masquer un déversoir de haine, à l’heure où elle s’exprime de plus en plus en Europe, de Londres à Hanau.
Et rappeler que la liberté d’expression des uns s’arrête quand la liberté des autres est menacée.
Face B. Bien sûr, il y avait la manière dont les documents ont été obtenus. Bien sûr, il y avait aussi la question de leur véracité et de leur authenticité. Et celle de la protection des sources.
Et bien sûr, il y a aussi les accusations d’espionnage. Concentrées sur un traître à la nation.
La justice britannique se penche actuellement sur la demande d’extradition par les Etats-Unis de Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, accusé d’avoir fait fuiter des centaines de milliers de documents confidentiels sur les activités militaires et diplomatiques américaines.
Et le monde, démocratique surtout, s’interroge sur la manière de protéger les lanceurs d’alerte. Héros, traîtres, hackers, journalistes ? A cette question une seule réponse : WikiLeaks est une plateforme de diffusion de contenus, qui permet à des sources de faire fuiter des documents et à des journalistes de les exploiter. A ce titre, elle participe sans l’ombre d’un doute à un écosystème médiatique. Au même titre que la source et le journaliste, le lanceur d’alerte doit être protégé. Extrader Julian Assange reviendrait à permettre la criminalisation de certaines pièces de ce puzzle et empêcher la presse de faire son métier.
Et de rappeler que la liberté d’informer est un droit fondamental.
Cette liberté d’expression doit donc impérativement être protégée quand elle fait sens. Quand elle dénonce. L’antisémitisme ou le racisme. Les mensonges d’Etat ou l’évasion fiscale.
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