Les Savanturiers, l’école de la recherche
Comment l’école peut-elle former des citoyens pour faire face aux enjeux climatiques? Collaboration et confrontation d’idées sont au coeur d’un projet encourageant profs et élèves à se comporter en chercheurs. Un défi capital à l’heure de la pandémie et des cours en distanciel.
Alors qu’elle était enseignante en banlieue parisienne, Ange Ansour faisait déjà interagir ses élèves avec des chercheurs. Depuis 2013, elle est passée à la vitesse supérieure en développant Les Savanturiers au sein du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI). L’un des leviers du concept est l’intervention de scientifiques en classe, auprès d’élèves de 3 à 18 ans. En 2017, des écoliers de l’Athénée de Thuin avaient, par exemple, accueilli un archéologue avant de se pencher en profondeur sur la mémoire de leur ville. Car si le projet est français, il intéresse de plus en plus de pédagogues belges (lire l’encadré « Bientôt dans le Pacte d’excellence? » en fin d’article).
L’objectif n’est pas de réinventer ce qui a été inventé, mais de comprendre comment ça marche.
L’aspect de rencontre entre élèves et scientifiques n’est qu’une des facettes du projet: « Plus que les chercheurs, ce qui m’intéresse surtout, c’est la méthode, insiste Ange Ansour. Comment peut-on transformer une question en question scientifique? Les enfants sont très curieux, ils en posent beaucoup. Pourquoi ne pas exploiter cette motivation de manière rigoureuse? Comment parler de créativité et d’esprit critique sans que cela ne sonne comme un slogan? » Des mathématiques au français en passant par la géographie, les projets se veulent pluridisciplinaires, en intégrant les contraintes du programme officiel. Il ne s’agit pas simplement de créer une appétence pour les sciences exactes ou les sciences humaines. L’objectif affiché est que les élèves apprennent à penser comme des chercheurs… tout comme les enseignants, invités à devenir des pédagogues-chercheurs. « Quelque part, ils sont déjà chercheurs sur les faits pédagogiques. Bien sûr, le périmètre de la preuve est assez faible, mais ils cherchent les solutions adaptées à chaque contexte de classe. Il est important que les enseignants travaillent comme des chercheurs: en formant une communauté, en soumettant leur travail les uns aux autres, etc. »
Du côté des élèves, la posture ne les invite pas à tout découvrir par eux-mêmes. « Je suis très méfiante par rapport à cela, développe l’instigatrice du projet. Si l’élève découvre par lui-même, on ne fait pas école. On le sait, les approches socioconstructivistes conduisent parfois à l’échec, notamment pour les élèves les plus fragiles. Les savoirs naturels n’existent pas ; il est important d’appliquer une méthode. L’objectif n’est pas de réinventer ce qui a été inventé, mais de comprendre comment ça marche. » La chercheuse utilise la métaphore d’un capot de voiture que l’on ouvrirait. L’éducation par la recherche permet aux élèves de comprendre l’envers des manuels qui leur sont proposés, de la construction des savoirs à la transformation en connaissances.
Un enseignement tourné vers la recherche est aussi un enseignement qui prend en compte les dernières avancées scientifiques afin de les mettre au service de l’apprentissage. Des découvertes liées à l’attention, à la mémorisation et à tant d’autres aspects de la construction de connaissances peuvent être rapidement transposées dans la pratique et le quotidien d’une classe. L’approche résonne particulièrement dans le contexte actuel: « La pandémie a interrogé l’école sur ses gestes pédagogiques. Les enseignants se sont demandé: qu’apprennent les élèves qui ne sont pas en face de moi? La question se posait déjà avant, mais, là, on a été obligés de se la poser collectivement, note Ange Ansour. Plus important encore, si la pandémie n’est qu’une répétition à minuscule échelle de ce qui nous attend, il y a un effort de prospective à faire en collaboration avec le monde de la recherche et les pouvoirs publics. Les enjeux climatiques sont un chantier pour l’école. Il faut absolument s’interroger sur ce que signifie éduquer à l’heure de l’anthropocène, en dépassant le simple fait climatique. Comment s’adapte-t-on? Comment être inventif pour trouver des solutions? Quelle est notre place dans l’environnement? C’est à ça que doivent être formés les citoyens de demain. »
Entre les MOOC (NDLR: Massive Open Online Courses, soit des formations ouvertes, à distance, capable d’accueillir un grand nombre de participants), les défis accompagnés par des chercheurs en visioconférence et les ressources mises en commun, tous les enseignants de la Francophonie qui le souhaitent peuvent prendre part au projet numériquement.
Bientôt dans le pacte d’excellence?
Natacha Duroisin (UMons) est coordinatrice du consortium Mathématiques-Sciences-Géographie. Avec une équipe de chercheurs, de formateurs et d’enseignants de terrain, elle explore les pratiques, repère et analyse des dispositifs innovants pour une éventuelle intégration sur la plateforme e-classe mise en oeuvre dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence.
Qu’est-ce qui a retenu votre attention dans le projet Savanturiers?
Le point essentiel, c’est l’éducation par la recherche, leur leitmotiv. Mais ce qui est aussi intéressant, c’est que ce projet permet de faire des ponts entre plusieurs disciplines. Investir les élèves dans cette réflexion plus scientifique, c’est leur apprendre à apprendre, apprendre à chercher, apprendre à trouver, apprendre à partager, et pas seulement à mémoriser des contenus.
N’y a-t-il pas déjà des projets faisant intervenir des scientifiques en classe?
Si, ça percole d’ailleurs vraiment en ce moment, on a plusieurs projets dans ce sens. Les Savanturiers viendraient enrichir la démarche plus globale.
Comment l’éducation par la recherche aide-t-elle l’enseignant?
Elle permet de se placer au plus près des recherches dans certains domaines. Si on prend l’exemple de la neuroéducation, cela aidera les professeurs à dépasser certaines idées fausses, appelées neuromythes, notamment le fait qu’il faille distinguer les élèves qui ont des aptitudes visuelles et d’autres auditives. Un neuromythe qui persiste.
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