Carte blanche
Les religions, sources de tous les maux? (carte blanche)
« Non, ce n’est pas la religion qui est source de violence, mais bien plutôt le fanatisme – fanatisme qui, loin d’équivaloir à un ‘trop’ de religion, consiste au contraire en une idolâtrie », souligne Patrick Debucquois, secrétaire général de Caritas, en réponse à l’académicien Hervé Hasquin.
Dans deux cartes blanches récemment publiées par Le Vif, l’académicien et ancien homme politique Hervé Hasquin redit tout le mal qu’il pense des religions, de leur prétention à « détenir » la vérité et de leur obsession à convertir.
Dans la première, il dénonce leur prétention à être vectrices de paix.
Dans la deuxième, il dénonce leur obscurantisme qui les pousse à s’opposer au progrès, et en particulier celui de la vaccination.
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Sur la forme, ces articles sont décevants, surtout de la part d’un académicien de la trempe de Hervé Hasquin, qu’on a connu plus nuancé. Ils se cantonnent en effet à énumérer un ensemble de faits et d’informations à charge, sans construction d’une argumentation, pour en tirer des conclusions hâtives qui confirment, sans surprise, le préjugé du départ.
Pourtant, il ne faut pas être pétri de culture religieuse pour savoir que le primat de Belgique, le cardinal Jozef De Kesel, venait de tenir, dans son ouvrage Foi et religion dans une société moderne, un plaidoyer vigoureux contre tout prosélytisme, invitant les chrétiens à abandonner toute nostalgie stérile, à ne pas regretter un monde passé dont il explique qu’il n’avait rien de « normal » ni de « naturel ». En effet, le problème de ce monde passé n’était pas d’être religieux: il était, au contraire, d’être mono-religieux. Or, une religion majoritaire s’avère trop souvent intolérante et ne permet plus la richesse de la diversité qui caractérise bon nombre de nos sociétés contemporaines.
Concernant la vaccination, il ne faut pas être papolâtre pour savoir que le titulaire actuel de la chaire de saint Pierre venait de déclarer, dans un message vidéo du 18 août, que « se faire vacciner est un acte d’amour ».
Dans une analyse qui se veut scientifique, il s’agit tout d’abord de bien préciser l’objet de la recherche. On saura gré à notre auteur d’aborder celui de la violence, question lancinante, à laquelle Pierre Rosanvallon apportait pour sa part, au même moment, une contribution autrement plus intéressante. Il y mettait notamment en exergue la réalité d’une violence diffuse, celle qui tient au sentiment de ne compter pour rien, voire d’être méprisé. Violence moins spectaculaire que celle des attentats terroristes, mais dont le bilan est sans commune mesure avec elles. C’est, en effet, par millions que se comptent chaque année les victimes des inégalités d’accès aux conditions d’une vie décente, que ce soit à travers l’alimentation, la qualité du logement ou des soins de santé. Poser la question en ces termes ne signifie pas exonérer les religions de leur responsabilité. Cela permet toutefois d’éviter la stigmatisation, comme le fait l’auteur, d’une religion particulière comme un épouvantail et, par là même, d’attiser l’anxiété que, par ailleurs, on déplore.
Que la religion ait pu déboucher sur la violence, l’intolérance, le prosélytisme et la négation de l’autre dans son altérité, c’est un fait incontestable ; qu’elle en ait le monopole me semble hautement discutable. Il n’est pas nécessaire de rappeler le nombre de massacres et de génocides commis au cours du XXème siècle par des idéologies athées. Non, ce n’est pas la religion qui est source de violence, mais bien plutôt le fanatisme – fanatisme qui, loin d’équivaloir à un « trop » de religion, consiste au contraire en une idolâtrie, ainsi que le montre Adrien Candiard dans son essai Du fanatisme[1].
Il ne faut pas prêter aux religions des vertus – ni, a fortiori, des vices – qu’elles ne possèdent pas. Une religion est l’héritière d’une culture tout autant que l’inverse. Une religion crédible se doit, en particulier, de se faire l’écho du cri des pauvres, de ceux qui portent la part la plus lourde du fardeau de la violence. Oppresseurs et bien-pensants préfèreraient que ce cri ne soit pas, lui-même, violent. Qui ne le souhaiterait pas ? Mais il n’est guère surprenant, cependant, qu’il le soit. Et lorsqu’il l’est, il faut sans doute poser la question du « pourquoi ? », en cherchant à y répondre dans une attitude d’ouverture et de respect. Dans Fratelli tutti, le pape François qualifie cette attitude de « culture de la rencontre ». Les athées et agnostiques n’en ont jamais été exclus.
Patrick Debucquois
Secrétaire général Caritas
[2] https://www.levif.be/actualite/belgique/vaccinations-et-religions-carte-blanche/article-opinion-1463727.html
(1) Candiard, A., Du fanatisme, éditions du Cerf, 2020.
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