Les mensonges et les vérités officielles, cancers de la démocratie
La professeure à l’Institut d’études européennes de l’université Paris 8 Anne-Cécile Robert et le journaliste Tom Phillips décryptent l’ère présumée de la post-vérité. Les menteurs ne sont pas que ceux auxquels on pense.
Le triomphe de la post-vérité consacré par Donald Trump et ses clones restera-t-il comme une parenthèse dans l’histoire? Deux auteurs d’ouvrages récents en doutent.
Professeure associée à l’université Paris 8, Anne-Cécile Robert explique, dans son riche essai Dernières nouvelles du mensonge (1), que les populistes et les complotistes ne sont pas les seuls responsables de ce climat délétère pour la vérité. « Un contexte intellectuel politique et social […] dévalorise l’esprit critique au profit d’attitudes tribales et suivistes », souligne-t-elle, mettant particulièrement en cause les politiques. Elle leur reproche une propension quasi naturelle à prendre des libertés avec la vérité mais plus encore, une volonté, une fois au pouvoir, d’imposer une « vérité officielle », dont la prétention au « parler-vrai » est l’instrument.
Les mensonges et la post-vérité sont des signaux d’alarme qui nous disent que la démocratie est devenue un idéal et une réalité à défendre.
« Dans les périodes de transition comme la nôtre, transition entre géopolitique et écologie, le « parler-vrai » se révèle inopérant, car il professe des dogmes là où il faut précisément ouvrir les yeux et faire fonctionner son cerveau. En résulte une sorte de rigidité qui transforme la vérité en mensonge officiel, car le décalage entre la réalité et les outils du discours dominant devient abyssal », analyse Anne-Cécile Robert. Cette rigidité, traduite en économie, impose le néolibéralisme comme seule pensée pour ceux qui se présentent comme « raisonnables » et, face au catastrophisme climatique en extension, l’impératif de « solutions indiscutables ».
Pour l’auteure de Dernières nouvelles du mensonge, ce constat pèse sur le jugement que l’on peut porter sur les populistes. « On ne peut pas réduire leur discours à un mensonge, car il est le miroir de l’irréalisme du « parler-vrai » », avance-t-elle. Anne-Cécile Robert dessine heureusement des pistes pour sortir de ce cercle infernal (débattre plutôt que se battre, notamment sur les réseaux sociaux qui favorisent la seconde option, revivifier l’espace politique, etc.) avec, finalement, un message optimiste: « Les mensonges et la post-vérité sont des signaux d’alarme qui nous disent, entre autres, que la démocratie est devenue un idéal et une réalité à défendre. »
Auteur de Bobards! (2), le journaliste Tom Phillips, lui, récuse l’idée que nous vivions dans une ère de post-vérité, simplement parce que cela impliquerait l’existence, à un certain moment de notre histoire, d’une « ère de vérité ». Or, les mensonges ont toujours existé. Et il nous en fournit la démonstration en égrenant les mystifications, escroqueries, supercheries qui ont émaillé l’histoire, avec, en l’occurrence, une prédilection pour le domaine de la presse aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Pour expliquer la crédulité des émetteurs et des lecteurs de ces bobards, Tom Phillips épingle la capacité à enfler les faits outre mesure et le refus têtu d’abandonner nos idées fixes. C’est pourquoi il prône, pour y remédier, d' »intensifier nos efforts pour que davantage de bons contenus soient disponibles car, sans cela, les mauvais ne feront que remplir les vides… »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici