Les femmes, avenir de l’Eglise
Inédit : l’Eglise catholique belge met l’accent sur sa féminisation dans son rapport 2019, radiographie chiffrée de ses acteurs et activités. Majoritaires dans l’institution, les femmes y » jouent un rôle déterminant pour son avenir « , reconnaît-elle. Encore faut-il que l’Eglise, qui refuse l’ordination des femmes, clarifie ce rôle.
Est-ce de la communication pour être dans l’air du temps ? Ou pour masquer l’aspect misogyne de l’institution, son gouvernement restant dans les mains des seuls hommes ? Toujours est-il que l’Eglise catholique de Belgique a décidé d’ouvrir son » rapport 2019 » sur la place occupée par les femmes dans ses structures. Un thème et une mise en évidence inédits pour cette radiographie chiffrée des acteurs et activités de l’Eglise : le premier rapport annuel, publié il y a un an (et qui portait sur l’année 2016), n’abordait pas le sujet. Le nouveau, qui documente l’année 2018, et dont Le Vif/L’Express a eu la primeur, affiche en gros caractères ce constat : les femmes constituent la majorité (55 %) des personnes actives dans l’Eglise belge (1). » Les résultats laissent clairement apparaître que les femmes jouent un rôle déterminant pour l’avenir de l’Eglise et dans la vie spirituelle « , commente Stéphane Nicolas, l’un des auteurs du rapport, établi à la demande de la Conférence des évêques de Belgique.
Selon les chiffres récoltés, les femmes assument 56 % des fonctions paroissiales, 64 % des activités de l’Eglise dans l’enseignement et les soins, 43 % des responsabilités à l’échelle des diocèses, détaille le rapport. Plus précisément, il relève que sept catéchistes sur dix sont des femmes, tout comme huit assistants paroissiaux ou pastoraux sur dix, 68 % des aumôniers d’hôpitaux et de maisons de repos, 56 % des inspecteurs dans l’enseignement, 57 % des responsables de célébration. » Les conseils épiscopaux, composés des plus proches collaborateurs d’un évêque, sont constitués à 22 % de femmes, alors que ces conseils étaient encore entièrement masculins il y a une dizaine d’années « , signale Tommy Scholtès, le porte-parole des évêques.
Positions de responsabilité
Axelle Fischer, secrétaire générale des asbl catholiques Entraide et fraternité (solidarité internationale) et Vivre ensemble (justice sociale), confirme la féminisation en cours de l’Eglise en Belgique et au-delà : » Les femmes sont bien présentes au sein de l’institution religieuse, mais aussi dans les associations catholiques. Chez Entraide et fraternité, la majeure partie des postes à responsabilités est occupée par des femmes. C’est également le cas chez Broederlijk Delen, notre association soeur en Flandre, et à la Cidse, la coupole des organisations catholiques de développement au niveau européen et nord-américain. En peu de temps, nos organisations catholiques se sont réellement féminisées. Cette évolution est inscrite dans notre époque : les luttes sociales actuelles sont menées par des femmes, telles les jeunes militantes de la cause environnementale. De son côté, le pape François montre un désir d’inclusion : il a invité la secrétaire générale de la Cidse au synode des évêques pour l’Amazonie. »
Un bémol, tout de même : si » féminisation » de l’Eglise il y a, les femmes ne sont pas considérées comme les égales des hommes dans l’institution catholique romaine. Le droit de vote n’a pas été accordé aux femmes présentes aux derniers synodes, malgré leur demande. Et l’ordination de femmes est exclue par le droit canon : elles ne peuvent accéder aux ministères d’évêque, de prêtre et de diacre. Toutes les autres fonctions leur sont ouvertes et elles assument de plus en plus de positions de responsabilité. De la nef à la sacristie, des salles de catéchisme aux maisons de retraite, elles sont, plus que les hommes, le visage de l’Eglise en Belgique.
Moins de prêtres, plus de femmes
D’autant que le nombre de prêtres se réduit d’année en année. Il baisse en fait de manière continue depuis les années 1960. L’Eglise belge compte actuellement 2 300 prêtres actifs et pensionnés, soit 8 500 de moins qu’il y a soixante ans. Le rapport 2019 de l’Eglise indique que 72,3 % d’entre eux ont plus de 65 ans et 51,4 % ont plus de 75 ans ! Seuls cinq prêtres ont été ordonnés en Belgique en 2019 (le pays compte entre trois et huit nouveaux prêtres chaque année). Un manque de renouvellement qui conduit l’Eglise à se réorganiser : elle ferme des paroisses (39 paroisses supprimées en 2018) ou les regroupe en réseau (322 unités pastorales instituées) ; et elle désacralise des églises (31 églises désaffectées l’an dernier, dont huit attribuées à d’autres cultes chrétiens).
Pour renforcer ses effectifs, l’Eglise belge accueille de nombreux prêtres étrangers : 20 % des » ministres du culte » – prêtres, diacres et laïcs dont le salaire est pris en charge par l’Etat fédéral – sont de nationalité étrangère (surtout des Congolais de RDC, des Français, des Polonais, des Sud-Américains…), signale le rapport. La plupart d’entre eux exercent à Bruxelles et en Wallonie. En outre, l’Eglise ne pourrait fonctionner sans l’aide de milliers de fidèles, dont une majorité de femmes. Dans l’Eglise, les laïcs sont aujourd’hui plus nombreux que les prêtres (1 940 prêtres en activité, pour 2 038 laïcs). Wim Vandewiele, professeur à la KULeuven, qui a collaboré au rapport en tant qu’expert, y voit l’émergence d’une » Eglise de laïcs « . Ces chrétiens salariés ou bénévoles soulagent les prêtres débordés par la gestion de plusieurs paroisses et qui exercent parfois leur métier au-delà de l’âge de la pension. » La situation est plus critique encore dans les villages et à la campagne que dans les grandes villes « , relève Tommy Scholtès.
L’ordination reste réservée aux hommes
Pas surprenant, dès lors, qu’un ministre du culte sur cinq en Belgique soit une femme (437 femmes, pour 2 260 hommes en 2018). Mais ces femmes ne peuvent célébrer un baptême ou un mariage, sacrements réservés aux ministres ordonnés, considérés par l’Eglise comme les successeurs des douze apôtres choisis par Jésus, tous des hommes. Le pape Benoît XVI et Jean-Paul II avant lui ont refusé toute idée d’ouvrir la porte à une forme d’ordination pour les femmes, sujet qui reste tabou pour les catholiques traditionalistes. Le catholicisme compte pourtant deux fois plus de religieuses que de religieux dans le monde et la majorité des pratiquants sont des femmes.
Dans un récent ouvrage d’entretiens, le pape François estime que la lutte pour l’égalité hommes-femmes est un but à poursuivre. Plus concrètement, il a institué, en août 2016, une commission d’étude chargée d’examiner le rôle des femmes diacres au début du christianisme. Mais il a constaté, en mai dernier, que ses membres avaient des opinions trop divergentes pour trancher. Il aurait l’intention de relancer cette commission avec de nouveaux membres si les actuels ne parviennent pas à fournir une réponse définitive. Mais déjà, fin octobre, les évêques d’Amazonie ont fait savoir que, dans leur région, des communautés autochtones sans prêtres étaient guidées par des femmes. En conséquence, ils ont demandé au pape qu’elles puissent devenir diacres permanents, fonction actuellement réservée aux hommes et qui permet de prononcer le sermon à la messe, de célébrer baptêmes, mariages et funérailles. Ces pères synodaux ne prônent pas une réécriture du droit canon afin d’accorder l’ordination aux femmes, mais ils demandent au pape de faire des » exceptions » à la règle pour l’Amazonie.
Une fois de plus, l’ouverture du diaconat permanent aux femmes est présentée comme une réponse à la pénurie religieuse qui menace de nombreux diocèses dans le monde. L’Eglise catholique aurait toutefois intérêt, si elle s’engage sur la voie de l’ordination des femmes, à entamer une réflexion plus profonde sur leur place dans ses structures, des diocèses à la curie romaine.
(1) L’enquête porte sur 7 000 hommes et femmes qui endossent des responsabilités à différents niveaux.
» La mutation de l’église s’accentue »
Le deuxième rapport sur les activités et les acteurs de l’Eglise catholique de Belgique, sorti cette semaine, est présenté par ses auteurs comme un exercice de » transparence » de l’institution. Le mot n’est pas utilisé par hasard : en Belgique et ailleurs, l’Eglise a souvent été qualifiée, ces dernières années et tout récemment encore, de structure opaque, voire corrompue (affaire du Vatileaks à la curie romaine, révélations sur l’existence d’un lobby gay au sein du Vatican, abus sur mineurs cachés pendant des décennies en Belgique et ailleurs dans le monde). La question des abus sexuels dans l’Eglise belge est brièvement évoquée à la fin du rapport, pour rappeler qu’il existe dix » points de contact » auprès desquels les victimes peuvent se faire connaître. Le texte précise que 26 personnes ont déposé une plainte en 2018 auprès de ces centres.
Pour le reste, l’objectif affiché de l’épiscopat est de mettre en évidence, à travers les chiffres collectés dans les diocèses, la » diversité » de l’engagement concret de l’Eglise catholique dans la société. En clair, il s’agit de montrer que la messe du dimanche et le catéchisme ne représentent qu’une partie de ses activités. » Dans un contexte de sécularisation et de multiculturalité, le nombre de fidèles qui se réunissent pour la liturgie dominicale et qui forment le premier cercle de l’Eglise est devenu plus modeste « , reconnaît le cardinal Jozef De Kesel, archevêque de Malines-Bruxelles et président de la Conférence des évêques de Belgique.
» Les données du rapport témoignent d’une mutation de l’Eglise qui s’accentue, assure Tommy Scholtès, le porte-parole des évêques. On observe trois changements majeurs : la place importante prise par les femmes et les laïcs, majoritaires ; la diversité croissante des communautés catholiques : 155 d’entre elles sont d’origine étrangère, dont neuf de rite oriental ; et le changement de pratique religieuse. En clair, l’Eglise sociologique d’hier, à laquelle on appartenait par tradition familiale, laisse la place à une Eglise à laquelle on adhère par choix individuel. » Les célébrations de baptêmes, confirmations et mariages sont moins nombreuses qu’autrefois. La fréquentation de la messe du dimanche chute. Mais il y a de plus en plus de retraites spirituelles dans les abbayes et autres centres d’hébergement catholiques. Les grands pèlerinages ont du succès et les processions folkloriques en l’honneur de sainte Rolende, saint Feuillen ou saint Vincent font plus que jamais partie de l’identité locale. Et de plus en plus de bénévoles s’engagent au nom de leur foi dans le soutien aux malades, aux démunis, aux détenus, aux migrants.
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