Les experts de l’UCLouvain vous répondent: « Le vaccin, seul moyen pour une immunité collective »
Les professeurs Niko Speybroeck et Emmanuel Hanert soulignent: En l’absence de vaccin, cela signifie que 60% de la population doit avoir attrapé la maladie (et s’en être sorti). À l’échelle de la Belgique, cela représente presque 7 millions de personnes. »
A-t-on une idée du pourcentage de la population qui a été contaminée ? Quel est le taux d’immunité collective ? Si 10% de contaminés ont presque mis nos hôpitaux à genoux, une seconde vague de l’épidémie conserve un potentiel terrible.
Réponse de Niko Speybroeck, professeur à l’Institut de recherche santé et société (IRSS) :
Si on se base sur les chiffres des différentes études en Belgique, on voit que le taux d’immunité n’est en effet pas très élevé. Jusqu’à présent les chiffres n’étaient issus que d’études préliminaires et souvent sur base d’un échantillon non-représentatif. Une étude de l’Université d’Anvers, sur base d’un échantillon collecté il y a quelques semaines, signale que 3% de la population belge présentaient les anticorps contre le virus. Cela indique qu’une majorité de la population n’est donc pas immunisée contre le Covid-19. Ceci est cohérent avec d’autres recherches préliminaires : une étude menée aux Pays-Bas montrait que 3% des donneurs de sang avaient des anticorps contre le coronavirus. Attention, une grande majorité de ces résultats est basée sur des échantillons prélevés au début de l’épidémie. Nous avons donc besoin de plus d’informations sur les échantillons prélevés par la suite.
Une deuxième vague est bien évidemment possible, mais elle sera, espérons-le, un peu moins grave car si des personnes sont infectées, une partie de la population sera probablement protégée. Bien qu’on s’attende à des taux plus faibles, elle sera moins grave uniquement si on est capable de bien surveiller les taux de contaminations, des hospitalisations et d’adapter les mesures en fonction de cette surveillance. Il n’est pas facile de faire des prédictions, étant donné les nombreuses incertitudes, et nous ne savons pas exactement comment le virus se comportera après un « exit », c’est-à-dire à la fin du confinement. Le vaccin est de toute façon le seul moyen d’atteindre une immunité collective. D’ici là, notre seule solution est de gagner du temps avec, par exemple, la suppression progressive des mesures de confinement.
En attendant, il y a plusieurs raisons de ne pas aller vers l’immunité collective de manière naturelle, la principale étant d’assurer la capacité de prise en charge des hôpitaux. Il faut en effet à tout prix que notre système de santé puisse gérer cette crise.
Le plus important actuellement est de pouvoir faire une étude en profondeur pour mieux comprendre le comportement du virus. Ne sachant pas précisément comment l’épidémie va évoluer avec le temps, les tests diagnostiques sont très importants pour évaluer le taux des personnes asymptomatiques et ainsi mieux modéliser l’évolution. Cela permet d’imaginer différents scénarios et ainsi de réadapter les mesures prises.
Toutefois, on sait que tester tout le monde est impossible. Sachant qu’on est 11 millions en Belgique, si on teste 100.000 personnes par jour, ce qui est gigantesque, il faudrait déjà 110 jours pour tester tout le monde et recommencer deux semaines plus tard car cela n’aurait pas de sens de ne le faire qu’une seule fois. Il faut donc prendre la décision de qui tester. Étant donné qu’on est dans une crise, on teste en priorité le secteur médical, pour, par exemple, identifier les médecins qui ont des anticorps anti-sars-cov-2, afin qu’ils puissent retourner au travail en toute sécurité en étant en contact avec des patients infectés, car immunisés contre l’infection. Comme plus de laboratoires développent maintenant la capacité de tester et que moins de patients se présentent, il y a plus de place pour des tests supplémentaires, par exemple dans les maisons de repos et d’autres établissements résidentiels collectifs. Il faudra aussi continuer de collecter des échantillons aléatoires de la population. En Belgique, certaines initiatives dans ce sens ont déjà été lancées, par exemple à Sciensano qui étudie combien de donneurs de sang ont fabriqué des anticorps contre le Covid-19, permettant ainsi de tester si les donneurs ont contracté l’infection. De toute façon, il est nécessaire de continuer le débat sur la nécessité, la valeur et le sens des tests que l’on réalise.
Pour aller plus loin :
https://uclouvain.be/fr/decouvrir/la-modelisation-au-temps-du-covid-19.html
Réponse d’Emmanuel Hanert, professeur de modélisation environnementale à la faculté des bioingénieurs :
- L’immunité collective ne fonctionne que si environ 60% de la population est immunisée contre la maladie. En l’absence de vaccin, cela signifie que 60% de la population doit avoir attrapé la maladie (et s’en être sorti). À l’échelle de la Belgique, cela représente presque 7 millions de personnes. Si le taux de mortalité de la maladie est en moyenne de 1% (estimation peut-être un peu haute, pour toutes les tranches d’âge confondues), cela signifie que 70.000 personnes mourraient pour arriver à cette immunité collective. Par ailleurs, la maladie ne s’arrêterait bien entendu pas tout de suite dès qu’on aurait atteint 60% de la population immunisée. Elle diminuerait progressivement en emportant avec elle d’autres personnes. En l’absence de vaccin, la stratégie de l’immunité collective est donc très risquée.
- Si vous arrivez à tester à grande échelle, vous pourrez « libérer » les personnes qui ont développé une immunité contre la maladie. Ce sont ces personnes-là qui sont « sans risque » (pour autant que l’immunité tienne et que le virus ne mute pas). Les personnes qui n’ont pas d’immunité peuvent potentiellement attraper la maladie et la transmettre dans le futur. Elles devraient donc limiter leurs contacts. Les personnes malades et infectieuses devraient être mises dans un isolement le plus complet possible (sans contact avec leurs proches).
- Tant qu’il n’y a pas environ 60% de la population qui est immunisé, vous êtes à la merci d’une seconde vague. Si vous arrivez à maintenir un certain degré d’isolation et que vous pouvez identifier plus rapidement les personnes qui risquent d’être touchées (screen & trace), vous pourrez cependant réduire l’ampleur de cette seconde vague et la rendre « gérable » par les hôpitaux. Par ailleurs, si vous continuez à isoler fortement les personnes les plus fragiles et qu’il y a une amélioration au niveau des traitements contre la maladie, vous pourriez imaginer que l’impact de cette seconde vague (et des autres vagues qui suivront jusqu’à ce qu’on ait un vaccin) soit bien moindre.
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