Les Belges ont plutôt bien résisté à la crise (Tableaux)
Certes, elle a laissé des traces. Mais notre grande enquête consacrée à l’argent des Belges le montre : nous avons, dans l’ensemble, plutôt bien résisté à la crise. Une petite minorité éprouve des difficultés financières à la fin du mois, une grande majorité conserve une capacité d’épargne… La plupart, cependant, restent inquiets pour l’avenir.
Quelle est la situation financière des Belges près de dix ans après le déclenchement de la crise bancaire qui a frappé le Vieux Continent ? Les ménages parviennent-ils à dégager un excédent financier à la fin du mois ? Sont-ils en mesure d’épargner ou d’investir ? Ont-ils subi concrètement les effets de la crise économique et financière et de quelle façon ? Comment envisagent-ils leur situation future ? Que pensent-ils des inégalités financières qui séparent les plus riches des plus pauvres ? Quelle confiance accordent-ils encore aux banques ? Craignent-ils une nouvelle crise bancaire ?
Telles sont quelques-unes des questions que nous leur avons posées à travers notre grande enquête Le Vif/L’Express/TNS/BeoBank consacrée à l’argent des Belges : 1 031 personnes (chef de ménage ou conjoint) ont été interrogées par téléphone par l’institut de sondage Kantar TNS selon la méthode des quotas, entre le 13 février et le 7 mars derniers. La marge d’erreur est de 3 % sur l’échantillon global. Et les résultats sont » parfois assez surprenants « , comme le souligne l’expert à qui nous avons demandé de les commenter : l’économiste Roland Gillet, professeur d’économie financière à la Sorbonne (Paris) et à l’ULB (Solvay).
1. Des ménages en bonne santé financière
Question
Les revenus de votre ménage sont-ils excédentaires à la fin du mois ?
Réponses
Toujours : 21 %
Parfois : 28 %
Juste suffisants : 29,3 %
Parfois insuffisants : 11,5 %
Toujours insuffisants : 7,9 %
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Est-ce le verre à moitié vide ou à moitié plein ? La première partie de notre enquête interroge notre échantillon représentatif de la population belge sur la situation financière de leur ménage. Bonne nouvelle, à première vue : la moitié (49 %) affirme parvenir à dégager un surplus financier soit ponctuellement (28 %) soit tous les mois (21 %, donc un Belge sur cinq). Ce qui n’est tout de même pas si mal…
Sauf que, forcément, l’autre moitié n’est pas aussi bien lotie. Trois personnes sur dix (29 %) nous disent parvenir tout juste à joindre les deux bouts et un peu moins d’une sur cinq (19 %) n’y arrive pas. Certains mois pour 11 % d’entre eux, jamais pour 8 %. Soit une proportion non négligeable de la population dont on pourrait qualifier la situation de précaire.
Roland Gillet préfère mettre en lumière l’aspect positif des choses. » L’enquête montre que huit Belges sur dix parviennent au minimum à nouer les deux bouts tous les mois, relève-t-il. On peut espérer mieux, bien sûr, mais ce n’est pas si mal en période d’après-crise et malgré un taux de chômage élevé. Surtout si on se compare à d’autres pays européens nettement moins bien lotis. »
Il est vrai que même les inactifs (pensionnés, sans-emplois, etc.) ne sont pas trop à plaindre : 38 % dégagent un surplus et 23 % seulement un déficit ponctuel, le reste se disant à l’équilibre en fin de mois. » Ça prouve au moins la solidité de notre système social, poursuit Roland Gillet. Même si ce ne sont pas les vrais exclus qui en bénéficient le plus, le gâteau étant à mon sens réparti entre trop de gens. Certains pourraient se montrer notamment plus flexibles pour retrouver un revenu. »
Il y a tout de même une différence majeure entre le nord et le sud du pays. Les Flamands sont deux fois plus nombreux (60,8 %) que les francophones (33,1 %) à dégager régulièrement un surplus financier. Réalité ou fiction ? » Certes, reconnaît Roland Gillet, la situation économique apparaît, sous de nombreux angles, meilleure en Flandre qu’en Wallonie. Mais peut-être est-ce aussi une question de perception, qui reflète un plus grand pessimisme des Wallons face à la situation économique générale. Peut-être ont-ils une certaine tendance à noircir le tableau. Vu la morosité ambiante, il n’est pas toujours évident de reconnaître qu’à titre personnel on s’en tire plutôt bien sur le plan financier. » Deux fois plus de francophones (40 %) que de néerlandophones (21 %) disent aussi parvenir tout juste à l’équilibre en fin de mois.
2. Une épargne qui choisit la prudence
Question
Etes-vous en mesure d’épargner ou d’investir une partie de vos revenus ?
Réponses
J’épargne sur un livret ou pour ma pension : 73 %
J’investis dans l’immobilier, des titres ou des fonds : 37 %
Ni l’un ni l’autre : 19 %
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Un autre indice accrédite cette thèse de la perception qui travestit la réalité. Si la moitié seulement des répondants dit dégager un surplus financier à la fin du mois, ils sont près de trois sur quatre (73 %) à s’afficher en tant qu’épargnants. Or, comment épargner si l’on parvient tout juste – ou même pas – à boucler ses fins de mois ?
Près de la moitié des Belges (46 %) épargne pour sa pension. Une majorité met par ailleurs de l’argent de côté sur un livret, pour eux-mêmes (57 %) ou pour leurs (petits-)enfants (31 %). Les plus » fourmis » sont les 35-44 ans (83 %) et les employés (85 %). Mais avec 80 % d’épargnants parmi eux, les indépendants ne sont pas en reste et même les ouvriers sont 76 % à faire des économies. Très logiquement, ce sont les inactifs qui ont le plus de difficultés, mais ils sont tout de même 6 sur 10 à pouvoir épargner. Enfin, les francophones sont encore à la traîne : 66 % épargnent contre 79 % côté flamand.
Combien sont-ils à chercher un meilleur rendement que les cacahuètes offertes par les comptes d’épargne ? A peine moins d’un Belge sur quatre (37 %) dit investir une partie de ses économies dans des produits potentiellement plus rentables que le compte épargne. Chat échaudé par la crise financière craint l’eau froide, manifestement. » Les Belges savent aujourd’hui que l’investissement sans risque n’existe pas, pointe Jan Drijvers, responsable de l’enquête chez TNS Global. Notre enquête prouve en effet une certaine méfiance à l’égard des placements. »
» Même si la croissance est lentement de retour, le climat politique européen et mondial incite à la prudence, abonde Roland Gillet. Et le populisme ambiant entretient l’inquiétude. Dans ces conditions, il est logique que le Belge préfère conserver une épargne de précaution. Cela dit, 37 % d’investisseurs, ce n’est quand même pas si mal ! » Qui sont-ils ? D’abord des indépendants (6 sur 10 optent pour l’investissement), ensuite des employés (1 sur 2) et, enfin, des ouvriers (1 sur 4). Un quart d’entre eux privilégie la Bourse et les obligations, 18 % les fonds de placement et 11 % l’immobilier.
3. Un avenir qui reste incertain
Question
Votre pouvoir d’achat augmentera- t-il dans les cinq ans à venir ?
Réponses
Oui, il va augmenter : 19 %
Non, il va baisser : 37 % /
Il restera identique : 41 %
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L’inquiétude des Belges face à l’avenir est palpable à travers toute notre enquête. La preuve par le pouvoir d’achat : moins d’un répondant sur cinq s’attend à voir le sien augmenter dans les cinq ans à venir ! Seuls les plus jeunes se montrent modérément optimistes puisque 41 % des moins de 34 ans s’attendent à mieux gagner leur vie demain. Les plus de 65 ans ne sont que 11 %. Quant aux employés et ouvriers, censés bénéficier pour beaucoup de l’indexation des salaires, ils ne sont pas plus rassurés : le quart des premiers et 14 % seulement des seconds sont optimistes en la matière.
A l’inverse, 37 % de nos répondants s’attendent à voir baisser leur pouvoir d’achat dans les prochaines années et l’inquiétude croit avec l’âge.
» C’est normal, estime Roland Gillet. Ceux qui s’approchent de la pension sont d’autant plus inquiets qu’ils n’ont pas forcément pris jadis les mesures nécessaires pour adapter leurs ressources à l’évolution de la situation. » En cotisant, par exemple, pour une pension complémentaire quand ils étaient encore jeunes – comme le fait aujourd’hui plus de la moitié des moins de 34 ans.
Enfin, 4 répondants sur 10 n’attendent aucune évolution de leurs revenus à moyen terme. Une proportion équivalente, à peu de choses près, dans toutes les classes d’âge, de revenus et de situations professionnelles.
4. Des emprunts dédiés à l’immobilier
Question
Avez-vous un emprunt ?
Réponses
Oui : 49 %
Non : 47 %
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Les Belges épargnent (beaucoup) et investissent (un peu), mais ils sont également emprunteurs – du moins pour la moitié d’entre eux. » Aucune contradiction là-dedans, analyse Jan Drijvers. Les motivations ne sont pas les mêmes et les crédits sont fort liés à l’âge et à certaines phases de la vie. » L’immobilier non spéculatif arrive en effet en tête des motivations d’emprunt. On s’endette avant tout pour acheter son logement (29 % et même 61 % chez les 35-44 ans) ou pour le rénover (13 %), ensuite seulement pour s’offrir une voiture (16 %). Les autres motivations sont négligeables.
Vu ce que rapporte l’épargne – qui coûte même du pouvoir d’achat si l’on tient compte de l’inflation -, ne vaut-il pas mieux utiliser ses économies plutôt que de recourir au crédit ? » En théorie oui, admet Roland Gillet. Mais comme le prouve le niveau record de l’épargne qui dort dans les banques belges, les gens sont prêts à renoncer au rendement au bénéfice de la sécurité. Et en la matière, le livret constitue le maître-achat ! Et puis, ajoute l’économiste, c’est toute cette épargne qui permet aux banques d’alimenter les prêts. » Il n’empêche : voilà encore un élément qui prouve le manque de confiance en l’avenir des ménages belges. » La sécurité a un coût que beaucoup sont prêts à payer. »
5. Une crise qui a laissé peu de traces
Question
Quelles ont été pour vous les conséquences de la crise financière ?
Réponses
J’en ai souffert : 74 %
Je ne l’ai pas sentie passer : 24 %
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Les Belges, c’est évident, ont ressenti les effets de la crise : 74 % disent en avoir souffert. Mais à y regarder de près, cela ne semble pas aussi dramatique qu’anticipé, remarque Roland Gillet. Ainsi ne sont-ils » que » 7 % à avoir perdu leur emploi, au nord comme au sud du pays… On aurait pu s’attendre à pire ! Et 9 % déclarent avoir eu du mal à trouver un job : là encore, cela semble bien peu face à la conjoncture. Sans surprise, les jeunes sont les plus touchés, avec un taux de 18 % chez les moins de 34 ans. Et sur le marché de l’emploi, la différence est nettement plus marquée entre Flamands et francophones : les premiers ne sont que 6 % à avoir eu des difficultés, les seconds 13 %, soit plus du double. Bruxelles et la Wallonie restent à la traîne, là où » la Flandre crée plus de richesse « , note l’expert.
Les effets les plus lourds de la crise sont plutôt financiers. Un Belge sur deux dit avoir vu son pouvoir d’achat baisser et, en la matière, les plus touchés sont les plus de 55 ans, les inactifs et les indépendants. La moitié de notre échantillon a moins épargné que par le passé et le tiers a dû reporter certaines dépenses. » Bref, rien de catastrophique par rapport à d’autres pays « , conclut Roland Gillet. Un Belge sur quatre, enfin, affirme n’avoir même pas senti passer la crise.
6. Haro sur les banques et les (trop) gros salaires
Question
Etes-vous d’accord avec les énoncés suivants ?
Réponses
La différence entre les gros et les petits salaires est trop élevée : 80 %
Les banques sont responsables de la crise : 58 %
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En période de crise, s’il y a une situation que les gens ne supportent plus, c’est le fossé qui s’est creusé entre les salaires les plus élevés et les plus faibles. Quatre répondants sur cinq trouvent cette différence inacceptable (plus encore parmi les ouvriers et les inactifs). Dans le même ordre d’idées, 63 % des sondés s’indignent du fait que les 10 % de Belges les plus riches détiennent la moitié de la richesse nationale.
» Il est vrai que le mode d’organisation de nos sociétés a eu tendance à concentrer la richesse, admet Roland Gillet, mais ces résultats reflètent aussi le populisme ambiant et la façon caricaturale dont d’aucuns exploitent cette situation. Les gens sont choqués par les salaires de certains patrons mais pas par ceux des grands sportifs ou du monde du show-business. Il est pourtant logique que ceux qui démontrent un réel talent à créer de la valeur pour la société soient mieux rémunérés, sans pour autant sombrer dans certains excès largement documentés. »
Autre cible dans le collimateur de nos concitoyens : les banques, jugées responsables de la crise économique par 58 % des répondants (63 % des francophones). Ils sont presque autant à estimer que les banques continuent à prendre des risques avec leur épargne et 61 % disent leur faire moins confiance. Contradiction : la même proportion affirme avoir toujours confiance dans les conseils de son propre banquier. » La relation de proximité joue un grand rôle, considère Jan Drijvers. Ce que les gens critiquent, c’est le système bancaire, pas le petit banquier du coin qu’ils connaissent bien. »
» Les Belges sont encore marqués par la fragilité passée du monde bancaire, confirme Roland Gillet, mais ils trouvent quand même qu’il n’y a pas de meilleur coffre-fort pour leurs économies. » Quoique… Plus de la moitié des personnes interrogées menacent : si leur banque continue à leur faire payer des frais pour des comptes qui ne leur rapportent rien, elles se disent prêtes à en retirer leur argent ! Pour le mettre où ?
Tous les tableaux, tous les résultats de notre enquête sont disponibles sur levif.be
Question
Etes-vous favorable à l’instauration d’un revenu de base de 1 000 euros alloué à toute personne, qu’elle travaille ou non, et qui entraînerait la disparition de toutes les aides sociales (allocations familiales et de chômage, assurance maladie, pension de retraite) ?
Réponses
Pour : 19 %
Contre : 63 %
Ni pour ni contre : 18 %
L’instauration d’un revenu universel est un débat dans l’air du temps, qui a même agité la campagne présidentielle française. Manifestement, l’idée n’est pas mûre en Belgique. Interrogés sur la question, seuls 19 % des répondants sont pour et 63 % y sont opposés. Du moins contre une formule où l’allocation de base (fixée à 1 000 euros dans notre questionnaire) se substituerait à l’ensemble des prestations sociales : allocations familiales, chômage, pension, remboursement des frais médicaux… « Ça prouve que les gens ne sont pas dupes ni prêts à renoncer à notre modèle de sécurité sociale », commente Roland Gillet. A bon entendeur…
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