Les Belges les plus braves : ce que cachent les racontars de César
Le conquérant romain soignait sa com’. Les « anciens Belges » qu’il a âprement combattus en ont fait les frais. Jules César disait d’eux qu’ils étaient « les plus braves » : la face cachée du compliment est nettement moins flatteuse.
« De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves », qu’il disait… La formule, rebattue, a fait le tour du monde. Elle a fini par ne plus résister à l’épreuve du temps. Rendons à César ce qui lui appartient : son hommage appuyé aux « anciens Belges » est à prendre avec bien des pincettes.
Ambitieux comme pas deux, le conquérant romain y est allé de Commentaires plus que tendancieux à propos de sa guerre des Gaules. Il peut ainsi se vanter d’avoir brouillé les pistes et induit en erreur une kyrielle de générations sur ce qu’était vraiment la Belgique gauloise de son temps.
Pourtant, Jules César a aussi fait des heureux. Notamment tous ceux qui, historiens en tête, ont cherché à donner un lointain passé à la Belgique indépendante, toujours grande et belle. De bons clients pour la cause, ces anciens Belges « tellement braves » : tantôt « précurseurs de la résistance héroïque face aux Germains barbares et envahisseurs », tantôt « malheureuses victimes d’un génocide au nom de la latinisation de cette portion de la Gaule », pour reprendre les mots de Baudouin Decharneux, philosophe et historien des religions à l’ULB.
Des barbares difficiles à mater
En fait, on a mal compris César et détourné le sens de ses propos. « Loin d’illustrer l’esprit de résistance, ce passage fameux n’est en réalité guère flatteur pour ces mêmes Belges, affirme l’historien et archéologue Serge Lewuillon, attaché à l’Université de Picardie. En clair, pour le proconsul romain, les Gaulois ne sont jamais que des barbares, que le contact avec Rome promet de tirer de leur abrutissement. » Et si César juge les peuplades belges si braves, c’est parce qu’elles sont très éloignées de la Province romaine des bords de la Méditerranée, et donc difficilement accessibles et pas faciles à civiliser.
Le général romain ne manque pas de logique : plus il progresse vers le nord, plus les tribus incultes qu’il rencontre se montrent imperméables aux bienfaits de la civilisation. Ainsi ces Nerviens, établis grosso modo sur le territoire de l’actuelle Belgique, allergiques au vin et à la monnaie qui font pourtant tout le sel d’une existence civilisée.
Dont acte : la bravoure des Belges n’était donc rien d’autre que le signe distinctif de leur condition de barbare… Les voilà remis à leur juste place. Du moins au stade actuel des connaissances que l’on en a. Que sait-on d’eux, au juste ? Qu’ils ne formaient pas un peuple, mais un maillage extrêmement complexe de tribus unies par des liens de parenté et d’alliances. Des gens comparables, en somme, aux turbulents Indiens d’Amérique du Nord aux XVIIIe et XIXe siècles. Auteur de travaux historiques sur la Gaule, Ugo Janssens décrit ainsi « une société qui ne connaissait jamais vraiment la paix, mais seulement des temps de pause entre les razzias, les escarmouches et les guerres tribales ».
Morins, Ménapiens, Atrébates, Eburons, Nerviens, Trévires, Condruses, Aduatuques et autres Suessions : les tribus belges étaient légion. On en recense même quelques dizaines installées dans le sud de l’Angleterre. « Ces Belges sont les fondateurs de Londres, de Brighton et d’autres localités dont le nom se termine par « on », ou encore de Leicester », fait encore remarquer Ugo Janssens. Certains rois qui règnent outre-Manche au temps de César ont du sang belge dans les veines : Cassivellaunos, Commios, Volisios.
Tous ces peuples devaient avoir la tête fort près du bonnet. César, pour sa part, les trouve extrêmement coriaces et très difficiles à mater. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir systématiquement le dessus. Non sans se pousser un peu du col, pour sa gloriole. « La valorisation de ses adversaires donnait encore plus de lustre aux hauts faits de César », pointe Baudouin Decharneux.
Ces sauvages Gaulois n’existeraient pas qu’il aurait fallu les inventer pour la gloire du grand César. Le Romain a besoin des Belges, voisins de ces Germains constamment sur le sentier de la guerre. Sans cette menace permanente venue des bords du Rhin, point de hauts faits d’armes à se mettre sous la dent.
Une guerre d’indépendance ? Trop simple
Le penchant gaulois pour la zizanie convient aussi fort bien à ce manipulateur qu’est César. Il en fait une des clés de sa conquête des Gaules. Baudouin Decharneux : « Le conquérant romain impose peu à peu l’hégémonie de Rome en jouant finement sur les luttes d’intérêts et les alliances divisant et unissant les peuplades de la Gaule. » La bonne vieille tactique du « diviser pour régner » colle à merveille à la nature égocentrique et encline à la trahison que montrent les chefs gaulois.
Il est arrivé que la situation se gâte dangereusement. Comme à l’hiver 57 avant notre ère, lorsqu’elle vire à l’insurrection quasi généralisée. « Ce n’est pas un peuple qui entre en campagne mais un groupement de peuplades plus ou moins liées au reste de la Gaule. » Difficile de percer ce qui se passait alors dans la tête de ces révoltés.
« Reconnaître le sens authentique des révoltes gauloises n’est pas une mince affaire », objecte Serge Lewuillon. Une guerre d’indépendance, comme on l’a souvent prétendu ? Trop simple : « D’ailleurs, l’indépendance de quoi ? » interroge ce spécialiste français des Celtes. L’envie d’en découdre viendrait surtout d’un goût immodéré de « montrer son courage au combat, et d’obtenir de la considération », avance pour sa part Ugo Janssens.
On est loin d’un plan de bataille concerté et mûrement réfléchi contre l’envahisseur romain. César, au milieu de tout ce tumulte, ne doit généralement guère forcer son talent militaire. « Il remporta plus de victoires par des intrigues et des promesses que par les armes », prolonge Ugo Janssens. Le général romain sait frapper vite et fort. Ses légions prennent ainsi de vitesse les rebelles, dont leurs alliés de la région de Reims s’empressent de retourner leur veste. « La résistance de la belle unité belge débute donc avec une trahison », appuie Baudouin Decharneux. On comptait déjà des collabos dans les rangs… L’image du Gaulois indomptable, épris de liberté, ne craignant juste que le ciel lui tombe sur la tête, en prend un coup au passage.
Au final, une lutte très inégale. Les peuples gaulois sortent exsangues de huit années de guérilla. Certains de leurs chefs ont pourtant donné des sueurs froides au conquérant romain. Ambiorix l’Eburon ou encore Boduognat et ses Nerviens, lesquels ont été à deux doigts, en cette mémorable année 57 avant notre ère, de l’emporter sur le grand stratège autoproclamé.
C’est un fait : César aimait réécrire l’histoire, et celle qu’il relate dans son De Bello Gallico est un morceau de choix. « En une campagne, deux batailles dont une fictive et un massacre, César s’était rendu maître du redoutable peuple belge qui semblait, quelques pages auparavant, menacer jusqu’à Rome… », ironise Baudouin Decharneux. Au final, « le mythe est bien pauvre et le courage des Belges assez pathétique ».
On est pourtant bien forcé de se fier un minimum à la parole de César, pour essayer de deviner ce qui s’est passé dans nos régions à son époque. Eugène Warmenbol, spécialiste de protohistoire européenne à l’ULB, mesure tout l’apport du personnage : « L’histoire de la Belgique ne s’écrit pas de la même manière « avant » César ou « après » César. Avec lui, la Belgique entre dans l’Histoire. Avant lui, elle appartient à l’archéologie. » Que la Guerre des Gaules reste un ouvrage de référence, c’est une évidence. Avis au lecteur : « Gardons à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage d’histoire mais d’apologie et de propagande. »
Le grand homme ne craignait pas d’être contredit. Aucune autre source écrite de l’époque n’existe pour recouper sa version. César, « ce grand menteur qui a déconstruit les événements pour mieux tirer la couverture à lui », dixit Eugène Warmenbol, reste difficile à prendre en défaut. L’archéologie, à ce stade, n’est pas d’un grand secours. C’est en vain que les archéologues cherchent toujours les traces irréfutables des campagnes de César sous nos latitudes. « Aucun des champs de bataille, aucun des cantonnements cités par le général romain n’ont pu être localisés avec certitude jusqu’à présent », recadre Eugène Warmenbol. Incontournable, insaisissable César.
De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves, par Baudouin Decharneux, in Les grands mythes de l’Histoire de Belgique, éd. Vie Ouvrière.
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– XVIe siècle : Cabale contre les Républiques calvinistes
– 1830 : Les francophones veulent la peau de la jeune Belgique
– 1848: Léopold Ier, le coup de bluff d’une abdication
– 1914: Albert Ier, Roi de Jérusalem : le dessein devenu mirage
– 1918 : Bruxelles libérée par ses occupants allemands
– 1940 : La tragique bavure des déportés
– 1944 : Le faux coup d’Etat fabriqué par Churchill qui brise la Résistance
– 1945-50: Léopold III et les projets fous d’un retour clandestin
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