Le difficile essor du grand photovoltaïque en Wallonie
Pour atteindre ses objectifs en matière d’électricité renouvelable, la Wallonie doit développer rapidement le grand photovoltaïque. Le gouvernement annonce une cartographie solaire. Mais les contraintes techniques sont nombreuses. Et les panneaux ne sont pas les bienvenus dans les champs.
C’est la filière appelée à connaître la croissance la plus forte dans les prochaines années. Alors que l’éolien terrestre s’enlise toujours dans les procédures de recours, les projets de parcs photovoltaïques, eux, se multiplient. Dans des boucles autoroutières, des carrières, des terrains résiduels de grandes entreprises et jusque sur le parking de Pairi Daiza. Grâce à son plan Energie Climat, la Wallonie s’est engagée à produire l’équivalent de 23,5% de la consommation finale brute d’énergie (électricité et chaleur) à partir de sources renouvelables en 2030, contre 13% à l’heure actuelle. Pour y parvenir, le photovoltaïque devra, lui, produire quelque 3 300 giga-wattheures (GWh) à cette échéance, soit presque trois fois plus que les capacités installées actuelles. Et ce n’est qu’un minimum, puisque l’éolien terrestre peine à se développer à la cadence initialement souhaitée.
Le grand photovoltaïque peut se concevoir sur des endroits déjà urbanisés, imperméabilisés ou inoccupés. Pas sur des terres agricoles. »
Willy Borsus, ministre de l’Aménagement du territoire (MR).
Quel est le potentiel total du photovoltaïque? Une telle estimation n’existe pas encore à l’échelle de la Wallonie. Contacté par Le Vif, le ministre wallon de l’Energie, Philippe Henry (Ecolo), annonce toutefois le lancement d’une cartographie solaire visant précisément à identifier ce potentiel. « Ce sera un outil important pour les décideurs publics ou privés », souligne-t-il. A l’échelle belge, en revanche, une étude menée en 2012 avait estimé que 250 kilomètres carrés de toitures se prêtaient à accueillir du photovoltaïque. « Cela représenterait une capacité de 40 gigawatts-crête (GWc), même si tout dépend bien sûr de la faisabilité technique », commente Hervé Jeanmart, professeur à l’Ecole polytechnique de l’UCLouvain.
Un vaste potentiel
Fin 2020, la puissance des unités photovoltaïques installées en Belgique s’élevait à 6 GWc, selon les données de l’asbl Energie commune (anciennement Apere). En tenant compte d’un facteur de charge de 10%, 40 GWc pourraient théoriquement produire 35 térawattheures (TWh) d’électricité chaque année. C’est plus que les 33 TWh produits par les centrales nucléaires belges en 2020. Mais l’intermittence du photovoltaïque complique considérablement la donne. « Un scénario basé majoritairement sur le solaire pourrait engendrer des besoins colossaux en stockage électrique impliquant soit de nouvelles technologies, soit des moyens financiers très importants, soit les deux », résumait déjà Ores, le principal gestionnaire de réseaux de distribution en Région wallonne, en 2020.
Depuis le début de la législature, le gouvernement wallon rappelle sa volonté de développer le photovoltaïque à une large échelle: sur les toits de grandes entreprises, sur les bâtiments d’exploitations agricoles, sur les parkings ou encore sur les nombreux sites à réaménager que compte la Wallonie. « Il y a plusieurs possibilités sur des friches ou des emprises industrielles non exploitables, précise le cabinet du ministre Henry. Par exemple, les terres extrêmement polluées, comme l’ancienne carbochimie à Tertre, ou les anciennes emprises de carrières. Le grand avantage de ces sites industriels, c’est d’avoir une infrastructure électrique suffisante. Ils sont donc raisonnablement faciles à équiper. »
Pour Hervé Jeanmart, la logique wallonne visant à privilégier les installations photovoltaïques en toiture est la bonne. « On pourrait, certes, considérer d’installer du photovoltaïque dans certaines zones agricoles ou des terrains en friche, mais c’est beaucoup plus difficile, puisque se pose la question de savoir ce que l’on veut en faire. Certains y verraient bien de la biomasse, d’autres veulent les préserver pour de l’alimentaire… Commençons donc par équiper l’ensemble des toits, avant de penser aux zones sur lesquelles il est possible de déborder. » Un message similaire à celui du ministre wallon de l’Aménagement du territoire, Willy Borsus (MR): « Vu que nous avons tant d’hectares de toits disponibles, c’est là qu’il faut développer le photovoltaïque en priorité. Le grand photovoltaïque peut se concevoir sur des endroits déjà urbanisés, imperméabilisés ou inoccupés. Par contre, je ne le vois pas sur des terres agricoles, qui subissent déjà une forte pression foncière. »
Il se dit prêt à contrer, en amont, les velléités des promoteurs en zone agricole. « Ne soyons pas naïfs: si l’on n’y prête pas attention, il y aura une prolifération de projets photovoltaïques sur nos terres agricoles, poursuit-il. J’ai donc demandé à mon administration de rédiger une circulaire dans les prochains jours, afin de confirmer que le caractère agricole de ces zones constitue leur destination principale. Si la circulaire ne suffisait pas, je proposerai d’adapter le CoDT (NDLR: le Code du développement territorial) en ce sens. » A l’heure actuelle, des parcs photovoltaïques peuvent en effet obtenir un permis en zone agricole, sur dérogation exceptionnelle au CoDT.
Tous les pays autour de nous soutiennent l’agrivoltaïsme. Nous regrettons que cela soit vu avec tant de méfiance en Wallonie. »
Pierre de Liedekerke, managing partner chez Ether Energy.
Vers l’agrivoltaïsme?
Depuis quelques années, pourtant, le principe de l’agrivoltaïsme se développe partout en Europe. Il consiste à combiner panneaux solaires et activité agricole (cultures, élevage), sans perte de superficie pour celle-ci. Créée il y a deux ans, la société Ether Energy promeut la réalisation de « champs photovoltaïques écoresponsables », en concertation avec des partenaires scientifiques comme l’Institut de conseil et d’études en développement durable (Icedd) et les agriculteurs des terrains concernés. Son modèle n’impliquerait aucune surface bétonnée et se dit conciliable avec la restauration de la biodiversité. Ether Energy a déposé une première demande de permis en ce sens à Wierde, en région namuroise. « Nous voulons prouver que nous pouvons non seulement jouer un rôle dans la transition énergétique, en produisant de l’électricité pour la collectivité, mais aussi soutenir des filières agricoles en difficulté« , résume Pierre de Liedekerke, managing partner de cette société bruxelloise.
Concrètement, celle-ci souhaite louer le terrain d’un agriculteur pour y installer des panneaux à 80 centimètres du sol avec un double espacement entre les rangées. Le terrain mêlerait de la luzerne à des graminées et du trèfle sous les panneaux. De février à juillet, c’est Beelgium, un producteur de miel local, qui investirait le terrain. Puis des éleveurs d’ovins, dès le mois d’août. Ether Energy négocie un autre projet de champ agrivoltaïque à Ciney, toujours en région namuroise. Qui indique qu’en « consacrant seulement 1%, à terme, des terres agricoles à l’agrivoltaïsme, on arriverait déjà à produire 30% de l’électricité consommée en Wallonie ».
Récemment, la Fédération unie de groupements d’éleveurs et d’agriculteurs (Fugea) s’est opposée, dans un communiqué, à l’émergence de projets agrivoltaïques comme celui de Ciney, estimant que ceux-ci compliqueront davantage l’accès à la terre des nouveaux producteurs. Un raisonnement partagé en tous points par Willy Borsus. Au cabinet du ministre Philippe Henry, la porte n’est toutefois pas fermée: « L’agrivoltaïsme n’est pas a priori incompatible avec les terres d’élevage et pourrait offrir une solution pour certaines cultures. Dans tous les cas, l’approche doit se faire en symbiose, et sans répondre à une démarche mercantile de type spéculative. » De son côté, Pierre de Liedekerke dit comprendre les craintes exprimées. « Mais nous plaidons pour avoir la chance d’exposer notre projet, qui s’appuie sur des études scientifiques sérieuses. Tous les pays autour de nous soutiennent l’agrivoltaïsme, y compris les Pays-Bas, plus densément peuplés. Nous regrettons que cela soit vu avec tant de méfiance en Wallonie. »
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De nombreuses contraintes
La Wallonie peut-elle se permettre de bannir d’emblée l’agrivoltaïsme si elle souhaite atteindre ses objectifs en matière d’énergie renouvelable? Au rythme actuel, elle ne parviendra pas à tripler la puissance photovoltaïque installée d’ici à 2030. Et si Ether Energy s’est tournée vers les parcs en zone agricole, c’est, dit-elle, en dernier recours, vu les nombreuses tentatives infructueuses sur des sites que préconisent pourtant le gouvernement wallon. « La loi impose aux projets de plus de 5 MWc de se raccorder à une sous-station d’Elia (NDLR: le gestionnaire du réseau de transport d’électricité à haute tension), témoigne Pierre de Liedekerke. Les coûts de raccordement peuvent varier de 200 000 à 500 000 euros par kilomètre, ce qui nécessite, pour des raisons de rentabilité, d’installer un parc photovoltaïque à moins de quatre kilomètres d’une sous- station. En zone industrielle, nous nous sommes vite aperçus que les entreprises disposant de terrains inoccupés souhaitaient les garder en vue d’une future extension. Sur les parkings, le coût d’installation est environ deux fois supérieur. Quant aux sites à réaménager, la plupart font moins d’un hectare et très peu sont situés dans des zones de raccordement adéquates. »
Pour accélérer le développement du photovoltaïque, la Wallonie doit aussi impérativement se doter d’un cadre légal favorable à l’essor des communautés locales d’énergie, estime Hervé Jeanmart. Celles-ci permettent à une collectivité (des entreprises ou des citoyens) de partager et d’autoconsommer une énergie verte produite localement. « Les mécanismes légaux demanderaient à être activés rapidement. Un tel cadre favoriserait la rentabilité de plus grands champs. On ne réussira pas la transition énergétique sans ces communautés locales d’énergie. » Le cadre réglementaire est en voie de finalisation, assure-t-on au gouvernement wallon.
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