« Le couplage des élections complexifie la formation des gouvernements »
Cent jour après les élections du 26 mai, il n’y a toujours pas de gouvernement fédéral à l’horizon. Si le gouvernement bruxellois est formé, les choses piétinent davantage en Wallonie et en Flandre. Comment expliquer ce blocage et est-il fait pour durer ? Réponse avec Régis Dandoy, politologue chargé de cours à l’UGent et à l’ULB.
Cent jours après les élections, la Belgique n’a toujours pas de gouvernement fédéral et on n’a pas le sentiment que les discussions avancent. Comment expliquer ce surplace, qui semble de plus en plus marquer notre système politique ?
Le système politique belge a toujours eu une capacité à s’adapter, à apprendre de ses erreurs et inventer de nouvelles solutions. Depuis la crise de 2010-2011, on a l’impression que ce n’est plus le cas. Et cela donne la sensation de surplace qu’on connait actuellement. Car non seulement on n’avance pas dans les négociations, mais on a l’impression que le système belge a aussi perdu cette capacité de rénovation.
On a surtout l’impression qu’entre la formation des gouvernements fédéral et régionaux, les partis se regardent entre eux et attendent de voir qui va bouger en premier. Coupler les deux scrutins n’est-il pas finalement une fausse bonne idée ?
C’était à la base une bonne idée dans le sens où l’électeur vote généralement pour le même parti aux deux élections. On pensait que cela serait plus facile de créer des coalitions symétriques dans les différentes Régions. Mais penser de cette manière, c’est oublier qu’au fédéral, il faut parler entre francophones et Flamands. Les partis qui gagnent des deux côtés de la frontière linguistique ne sont pas toujours du même bord politique et ne s’entendent pas forcément. On peut dire en quelque sorte que c’est une fausse bonne idée.
On aurait pu imaginer qu’on allait d’abord former une coalition au fédéral, qui aurait influencé la formation des gouvernements régionaux. Mais c’est l’inverse, on commence d’abord par le régional, et cela impacte le fédéral. Je pense qu’il n’y aura aucune avancée au niveau fédéral tant que les gouvernements régionaux ne sont pas mis en place. C’est difficile de négocier des deux côtés en même temps. Le découplage des élections est une des solutions, mais on risque d’avoir de plus en plus de gouvernements asymétriques.
Outre le couplage des élections, peut-on trouver d’autres éléments de réponses ? Les résultats de certains partis ont bouleversé la répartition des forces politiques.
Le succès des listes extrêmes et la fragmentation du système partisan ne facilitent pas la mise en place de coalitions. On y est habitués à la fragmentation du Parlement fédéral. Mais on l’est moins avec des partis jugés infréquentables par d’autres, comme le Vlaams Belang et le PTB. Ce à quoi on ajoute le cdH qui ne veut pas monter dans un gouvernement. Avec aussi la question des partis régionalistes et indépendantistes comme la N-VA et DéFI, celle des partis frères, etc. Cela limite la marge de manoeuvre.
Le manque de discussion au niveau fédéral participe aussi au blocage. Il n’y a pas d’espace de rencontre. Les partis se découvrent. Il y a cette méconnaissance de l’autre qui ne facilite pas les choses. De plus, la campagne électorale, très polarisée, joue également un rôle. Beaucoup de partis se sont placés comme « rempart » face à leur parti « ennemi ». Aujourd’hui, il est difficile de revenir sur cette stratégie, sur certains discours, et se mettre tout de suite à table avec tel ou tel parti.
Vers quel scénario se dirige-t-on aujourd’hui ? Y a-t-il un risque de revivre le cas 2010-2011 et ses « 541 jours sans gouvernement » ?
Au niveau régional, je pense qu’on peut être relativement optimiste et qu’on aura des résultats dans les prochaines semaines. On pourra alors commencer à négocier pour le fédéral, mais le processus est lent. Même quand on a les partis pour former une coalition, cela prend au minimum un mois, un mois et demi pour former un gouvernement. Cela nous amène déjà en novembre-décembre, dans le meilleur scénario.
Entre-temps, tout peut se passer : un petit problème et tout le processus est ralenti, il faut repartir de zéro. C’est ce qui s’est passé en 2010-2011. La solution à l’époque a été celle du gouvernement provisoire, le temps de finaliser l’accord sur le communautaire. Cela peut être une solution, mais cela nécessite d’avoir en tête une formule de coalition.
Je crois toujours en la capacité du système politique belge de s’adapter. Je ne pense pas qu’on arrivera encore à 541 jours sans gouvernement, d’autres solutions seront proposées d’ici là. Ce serait un très mauvais signal pour l’électeur.
Pourtant on est déjà sans gouvernement de plein exercice depuis un certain temps…
C’est un élément intéressant dans la situation actuelle. On est en affaires courantes depuis fin décembre. Cela complexifie les choses, de nombreuses décisions importantes à prendre sont bloquées à cause de cela (budget, administration publique…). Comme en 2010-2011, je pense que le moment clé sera le vote du budget à la fin de l’année. D’ici là, on peut toujours espérer que la rentrée parlementaire donnera un petit coup de boost aux négociations.
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