Le club des cinq : la ligue secrète qui régit le PS liégeois
Depuis dix ans, la plus puissante fédération du Parti socialiste est gouvernée, dans l’ombre, par cinq hommes : Willy Demeyer, Jean-Claude Marcourt, Stéphane Moreau, Alain Mathot et André Gilles. Mais le système montre des signes d’essoufflement. La fin d’un cycle ?
Le PS liégeois ressemble à la politique libanaise des années 1980 : si on vous a résumé la situation et que vous croyez avoir compris, c’est qu’on vous a mal expliqué. Les dernières nouvelles du front ? Tout indique que la fédération la plus turbulente du Parti socialiste va plébisciter son président sortant. L’élection se tiendra les 19 et 20 juin. Et, sauf imprévu majeur, Willy Demeyer sera glorieusement réélu au poste qu’il occupe depuis 2005. Un moment pressentis pour le défier, l’ex-ministre Jean-Pascal Labille et le député fédéral Frédéric Daerden ont renoncé à se jeter dans la bataille.
« Une élection où le président brigue un nouveau mandat après dix ans de règne, et où il est de surcroît le seul candidat, ça s’appelle un putsch », grince un cabinettard à l’esprit caustique. Dresser la cartographie précise des lignes de fracture apparaît bien hasardeux, tant la confusion règne sur le terrain. Et pourtant… Dans le chaudron socialiste liégeois, par définition instable, la permanence d’une alliance vieille de dix ans frappe les esprits. Car, en réalité, c’est un quintette qui a gouverné de 2005 à 2015.
Derrière le sceptre de Demeyer, quatre hommes – Jean-Claude Marcourt, Stéphane Moreau, Alain Mathot et André Gilles – ont pesé sur toutes les décisions stratégiques. Bien qu’annoncée moribonde à plusieurs reprises, la coalition ne s’est jamais disloquée. Pour combien de temps encore ? Si la reconduction de Willy Demeyer ne fait guère de doute, l’élection à venir pourrait marquer la fin d’un cycle, en sonnant le glas du « club des cinq ».
A l’origine, les protagonistes n’avaient pas envisagé de fonder une union politique sur la durée. Dans leur esprit, il s’agissait de mettre sur pied, de façon temporaire, une sorte de groupe d’autodéfense, pour contrer les velléités hégémoniques de Michel Daerden. Ce n’est pas un hasard si la ligue s’est constituée au printemps 2005, juste après la mort de Guy Mathot. Tantôt complices, tantôt rivaux, Daerden et Mathot ont imposé leur loi au PS liégeois du début des années 1990 jusqu’au milieu des années 2000. Après la disparition du Sérésien, l’Ansois s’est rêvé seul maître à bord. C’est face à cette menace-là qu’une escouade de jeunes mandataires s’est soudée. Le club des cinq était né.
Si les partenaires s’entendent, c’est aussi parce que leur relation est dépourvue de rivalité. Dans un premier temps, en tout cas. En 2005, Alain Mathot siège à la Chambre, il est promis à un avenir ministériel. Willy Demeyer préside la « fédé », tout en étant bourgmestre de Liège. Jean-Claude Marcourt vient d’entrer au gouvernement wallon. André Gilles appartient à l’exécutif provincial, qu’on appelle encore « députation permanente ». Quant à Stéphane Moreau, il dirige l’Association liégeoise d’électricité, en plus d’une brochette de mandats dans le secteur de l’économie publique. Fédéral, régional, Ville, Province, intercommunales : le club a l’allure d’un sommet de Yalta. « Chacun des cinq était en quelque sorte leader dans son secteur, raconte un témoin. Par la force des choses, ils ont été amenés à se voir de plus en plus souvent pour régler certains dossiers. C’est comme ça que la mayonnaise a pris. »
D’autres tentent de désamorcer le mythe. Le club des cinq ? Pur fantasme, balaient-ils. Ce n’est pas l’avis de Frédéric Daerden. Le fils du ministre défunt vient d’adresser une note à Willy Demeyer et Jean-Claude Marcourt, pour leur faire part de son diagnostic sur l’état de la fédération liégeoise du PS. Le document pointe notamment « les prises de décision dans des comités restreints informels, en marge des organes statutaires ». « Je n’ai aucun doute quant au fait que le club des cinq continue à exister, complète le député-bourgmestre de Herstal. Que les gens aient des affinités, cela ne me dérange pas. Le problème, c’est que la décision se construit là, et non dans les instances du parti. »
Jean-Pascal Labille émet la même critique. « Pour construire un projet collectif de la fédération, il faut une grande démocratie, une grande transparence. Un club à l’intérieur, ce n’est pas sain », a-t-il dénoncé dans La Meuse, le 28 mai dernier. Un agacement qu’exprime aussi Isabelle Simonis, ministre des Droits des femmes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. « Quel que soit le prochain président, insiste-t-elle, son projet devra comporter certaines ruptures avec le passé récent. Le club des cinq n’a de raison d’être… Le fonctionnement de la fédération doit être revu, pour la dynamiser, la féminiser, la rapprocher de la base. » Le député provincial Paul-Emile Mottard enfonce le clou : « Le club des cinq est amené à muter, sous peine de dégénérer. Il a eu sa pertinence politique pour faire contrepoids à Michel Daerden. Mais cette structure a fait son temps. »
Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :
- L’élément d’ordre géopolitique qui est source de frustration supplémentaire
- Sous le feu des critiques, Alain Mathot s’emporte
- La position de Willy Demeyer
- Comment ranimer une fédération en proie à la fossilisation ?
- Marcourt en voie d’émancipation ?
- L’incertitude qui plane sur le sort judiciaire d’Alain Mathot
- Autre inconnue : l’avenir de la société Nethys, héritière de la super intercommunale Tecteo dirigée par Stéphane Moreau et André Gilles
- Entre Di Rupo et les Liégeois, l’éternelle méfiance
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