© Olivier de Lovinfosse

Le chasseur est-il toujours le gardien de la biodiversité ?

Marie Gathon Journaliste Levif.be

La chasse a-t-elle encore un rôle à jouer dans nos écosystèmes ? Si les défenseurs des animaux veulent voir certaines pratiques abolies, les chasseurs se défendent d’être responsables de tous les maux de nos forêts. Plongée dans un microcosme méconnu où les bras sont parfois longs.

Septembre est là. La saison de la chasse peut reprendre pour les quelque 25.000 Belges possédant un permis de chasse. La pratique n’est pas particulièrement populaire chez nous si on compare à d’autres pays européens, mais elle joue cependant un rôle important dans nos forêts et nos plaines. En l’absence de grands prédateurs comme le loup, le chasseur est censé réguler les populations. « Cela devrait être le rôle premier et unique du chasseur », plaide Harry Mardulyn, animateur de la régionale Natagora Ardennes orientale.

C’est également l’objectif du collectif « Stop aux dérives de la chasse » qui milite pour une chasse plus respectueuse de la nature et qui veut abolir un certain nombre de pratiques pouvant porter préjudice aux écosystèmes.

Raisons d’une surabondance

« La biodiversité de nos forêts se porte plus ou moins bien », affirme Alain Liccope, coordinateur de la « Cellule faune sauvage » du DEMNA du Service public de Wallonie. En matière de gestion, il y aurait donc peu de choses à faire. Par contre, le souci se situe au niveau de la gestion des populations de grands gibiers. Lorsque ceux-ci sont trop nombreux, cela a des conséquences néfastes sur l’écosystème.

« Présents en trop grand nombre, les sangliers suppriment totalement le couvert végétal qui permet la régénérescence naturelle de la végétation et des arbres, explique Harry Mardulyn, animateur de la régionale Natagora Ardennes orientale. Ils détruisent aussi la petite faune qui se trouve normalement dans les bois. Il s’agit par exemple des reptiles et des oiseaux qui nichent au sol ». Pour lui, ce sont les chasseurs qui sont en partie responsables de ce déséquilibre. « Il est faux de dire que les chasseurs entretiennent la biodiversité sur les territoires où ils pratiquent leur activité », dit-il. « Il s’agit d’une hypocrisie totale de la part des chasseurs qui, au lieu de jouer leur rôle de régulateur, favorisent le développement des populations », accuse-t-il.

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Le nourrissage « dissuasif »

Comment ces hommes qui tuent des animaux pourraient-ils favoriser la prolifération du grand gibier ? « En les nourrissants », explique Harry Mardulyn.

La pratique du nourrissage a été autorisée par les autorités dans les années 90. « La Wallonie permet encore le nourrissage dissuasif qui se pratique au coeur des forêts pour empêcher les grands animaux d’aller dans la pleine, nous explique Benoit Petit, président de l’ASBL wallonne de chasse le « Royal Saint-Hubert Club de Belgique ». Car aux yeux de la loi, les chasseurs sont responsable des dégâts occasionnés par les grands animaux dans les cultures. L’idée est de fixer les animaux dans leur lieu d’habitat naturel : la forêt. »

Pourtant, selon Alain Liccope, « cette notion de nourrissage dissuasif a été détournée au fil des années par les chasseurs voulant conserver le gibier sur leur territoire pour éviter qu’il se fasse tirer chez le voisin ».

Le nourrissage a également des conséquences directes sur la dynamique des populations. L’apport de nourriture supplémentaire empêche une certaine sélection naturelle en hiver. La mortalité est ainsi amoindrie.

Le collectif « Stop aux dérives de la chasse » milite pour interdire le nourrissage qu’il accuse de favoriser ce déséquilibre. « Les chasseurs considèrent cette abondance de sangliers comme leur cheptel, c’est un peu comme de l’élevage en plein air. Ils considèrent que ces sangliers doivent leur assurer de très beaux tableaux de chasse », critique Harry Mardulyn.

Pour Benoit Petit, « c’est un mensonge ». Il en veut pour preuve que l’expansion du grand gibier a lieu également là où le nourrissage est interdit : en Flandre, aux Pays-Bas, au Luxembourg, etc. Selon le chasseur, si les sangliers trouvent refuge dans les plaines agricoles c’est parce qu’ils y trouvent une quiétude qui n’existe plus dans les forêts trop fréquentées par l’humain.

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« Pourquoi irions-nous faire quelque chose qui a des effets que l’on déteste ?, se défend encore Benoit petit. Les sangliers se réfugient là où il est impossible de chasser. Ils recherchent la quiétude. Les réserves naturelles sont d’ailleurs pleines de sangliers qu’on ne chasse pas et qu’on ne nourrit pas. »

Pourtant selon Alain Liccope, les chasseurs admettent à demi-mot les raisons de leur pratique. « La preuve que le nourrissage est plutôt utilisé pour garder les sangliers sur son territoire est qu’il est essentiellement pratiqué dans les grands massifs ardennais très éloignés des cultures et pour lesquels il n’y a pas de risque de dégâts agricoles ».

Le réchauffement climatique et de vieilles forêts

Le nourrissage n’est pas le seul facteur favorisant la surpopulation de grands gibiers partout en Europe, explique Alain Liccope. En effet, depuis plusieurs années, nous connaissons des hivers plus doux. Les chasseurs n’ont ainsi presque pas besoin de nourrir le gibier pour qu’il passe l’hiver.

Actuellement, à cause du réchauffement climatique, sur cinq années, quatre produisent des fruits forestiers (glands, freines, etc.), alors qu’auparavant les fructifications forestières étaient beaucoup moins régulières. Nous avons aussi dans nos forêts un grand nombre de vieux arbres capables de faire des fruits. Ce qui n’était pas le cas il y a 30 ans. « Nous sommes donc dans une phase qui est tout à fait favorable aux sangliers en termes d’hivers doux et de ressources naturelles à disposition », résume Alain Liccope.

« Il faudrait réduire drastiquement les populations de sanglier, suggère Alain Liccope. Et ensuite, on arrête le nourrissage. De sorte que même si des sangliers vont dans les champs, les dégâts seront supportables parce qu’ils seront en moindre quantité. Actuellement, nous n’arrivons pas à réduire ces densités par manque de volonté des chasseurs », déplore-t-il.

Selon Benoit Petit, l’augmentation de la population de grands gibiers est également due à une évolution de la pratique de la chasse qui se veut plus éthique. « Avant, les chasseurs tuaient tous les animaux qu’ils voyaient. Ils sont beaucoup plus respectueux du vivant aujourd’hui. Et maintenant, certains nous reprochent de ne pas tuer assez », déplore-t-il.

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Une question de gros sous

Le problème est que le sanglier est le fonds de commerce du chasseur. Pour obtenir un droit de chasse (en plus de son permis et de la taxe annuelle qui y est liée), le chasseur doit trouver un terrain. Il loue ce terrain pour une durée de 12 ans à une commune ou à un propriétaire privé. Il s’agit d’un revenu important à court terme pour les pouvoirs publics. Plus rapide que les revenus liés à l’exploitation du bois qui sont engrangés à long terme.

« Le seul critère de sélection est le prix que le chasseur est prêt à mettre, regrette Alain Liccope. Il y a une forte demande au niveau wallon, ce qui fait que les prix s’envolent. Et la valeur d’un territoire,se mesure à la quantité de sangliers présents ». Le contrat de location est donc accordé au plus offrant. Aucune autre forme de gestion de la forêt n’est imposée au chasseur locataire.

Pour lui, il s’agit donc d’un investissement à faire fructifier. Il organise des parties de chasse (payantes) plusieurs fois par an durant lesquelles il n’est pas question d’anéantir son gagne-pain : le sanglier. « Il faut savoir que certains chasseurs ont en tête un enjeu économique. Ils ne sont plus vraiment des gestionnaires de faune. Ce sont plutôt des gestionnaires de territoires de chasse pour lequel ils ont investi », explique Alain Liccope.

C’est le cas pour les grands territoires de chasse de plusieurs centaines d’hectares. « L’effort de chasse va avoir lieu essentiellement durant trois jours de battue. Or, il faudraitchasser quasiment toute l’année si vous voulez vraiment réguler les sangliers », nous explique Alain Liccope. « Mais Il existe aussi des territoires de chasse plus modestes où les chasseurs vivent quasiment sur leur territoire. Ils le connaissent bien et le gèrent convenablement », reconnait-il.

Le problème des plaines

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Dans les plaines situées entre Bruxelles et le nord du sillon Sambre et Meuse, la situation est tout autre. « C’est un milieu qui est au bord de l’asphyxie où les populations de petits gibiers (perdrix, lièvres, faisans, etc.) s’effondrent ». Depuis un certain temps, la plaine agricole n’est plus vraiment accueillante pour la faune. Il y a trente ans, avec l’entrée en vigueur de la Politique agricole commune (PAC), on a en quelque sorte fait table rase du paysage. On a enlevé les haies, supprimé les fossés, créé de gigantesques monocultures et modernisé l’agriculture, pour qu’elle devienne plus rentable. Cet environnement est peu propice au développement des écosystèmes.

Dans ce milieu, « il y a un vrai travail de restauration qui peut être fait par le chasseur. C’est très bénéfique pour le petit gibier, mais aussi pour toute la faune en général », affirme Alain Liccope. Et selon lui, certains chasseurs sont à pied d’oeuvre pour rétablir les habitats des petits gibiers. « Il faut reconnaitre qu’ils parviennent dans certains cas à maintenir une population élevée de perdrix et autres petits animaux ».

Il y a aussi d’autres chasseurs plus découragés qui misent sur un repeuplement artificiel en relâchant des animaux d’élevage dans la nature quelques semaines avant l’ouverture de la chasse.

« C’est un scandale d’élever des centaines de petits gibiers, simplement pour s’amuser à tirer dessus, s’insurge Harry Mardulyn de Natagora. Nous demandons également l’interdiction de cette pratique ».

« Il ne faut pas demander l’impossible aux chasseurs, répond Benoit Petit. Ils sont prêts à faire des efforts pour restaurer les habitats, mais il faut aussi qu’ils y gagnent quelque chose », dit-il. « À un moment donné, nous devons aussi pratiquer notre activité : la chasse. Nous sommes des chasseurs et nous payons cher pour chasser », se défend-il.

« Tout n’est pas noir ni blanc » dans le petit monde de la chasse, commente Alain Liccope. Il y a des gens qui font vraiment des efforts et on ne peut pas les ignorer. D’un autre côté, il y a des gens moins scrupuleux qui visent surtout le tableau de chasse », résume-t-il.

Un besoin de régulation

La chasse ne compte pas beaucoup d’adeptes en Belgique, mais nombre de ses acteurs ont le bras long. « Il s’agit parfois de gros industriels auxquels les politiques n’ont pas forcément envie de se frotter », nous confie Alain Liccope. « Et s’attaquer à la chasse, ce n’est pas très porteur en termes de voix », dit-il.

« On n’a pas toutes les cartes en main pour pouvoir faire une gestion vraiment saine de notre territoire sauvage. Tant qu’on ne changera pas ce système de paiement des droits de chasse, ça ne pourra pas changer, affirme Alain Liccope. Il faudrait ajouter d’autres critères basés sur les efforts de gestion pour louer un territoire. Ce serait plus intéressant puisque vous auriez alors un investissement dans la forêt et dans les plaines, qui contribue à un revenu sur le moyen terme, mais aussi sur le long terme pour les propriétaires. Ce sera très appréciable d’ici 50 ou 100 ans », conclut-il.

Une gestion saine des territoires sur le plan économique avec une vision à long terme sera également bénéfique pour la biodiversité puisque la faune sera mieux gérée. Et dans ce cas-là, tout le monde peut y gagner.

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