Le calvaire belgo-libyen du prince Laurent
Depuis fin 2014, une ex-asbl du prince Laurent dispose d’une décision judiciaire définitive forçant l’Etat libyen à lui verser 48 millions d’euros de dommages et intérêts. Mais la Libye, un des pays les plus corrompus de la planète (1), refuse de payer. Avec l’étonnant soutien, en Belgique, des Affaires étrangères et des Finances.
L’histoire débute à Tripoli, en juillet 2008. Au nom de Global Sustainable Development Trust (GSDT), asbl qu’il a fondée en 2007, Laurent de Belgique signe un contrat de 70 millions d’euros avec le ministère libyen de la Politique agricole. On connaît la passion du frère du roi pour les causes environnementales. Le projet était noble : reboiser pendant quinze ans au moins, avec l’aide de plusieurs centaines d’ouvriers agricoles locaux, des milliers d’hectares désertiques sur la côte de l’Etat africain.
Mais la belle épopée écologique va vite capoter. Une fois la première tranche libérée (2,6 % du montant du contrat), le gouvernement libyen ferme le robinet. En juin 2010, alors que GSDT a déjà installé le chantier, embauché du personnel et démarré les travaux, le nouveau ministre de l’Agriculture rompt le contrat de façon unilatérale. Ce qui causera de lourdes pertes à l’asbl et provoquera sa dissolution en mai 2011. Pourquoi ce revirement soudain de la Libye ? Le prince aurait refusé de graisser la patte de certains responsables libyens de l’époque, dont le nouveau ministre.
48 millions d’euros
En août 2011 débute un long combat devant les tribunaux belges : le liquidateur de GSDT, Alex Tallon, assigne l’Etat libyen en justice pour obtenir des dommages et intérêts. Toutes les décisions de justice qui seront rendues s’avèreront favorables à l’asbl. La dernière en date, un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 20 novembre 2014, confirme la condamnation en première instance de l’Etat libyen, prononcée en septembre 2012, à payer un dédommagement de 38 479 041 euros à GSDT. » Avec les intérêts et les frais de justice, c’est plus de 48 millions d’euros que la Libye doit aujourd’hui à l’ex-asbl du prince « , résume Me Pierre Legros, avocat de l’asbl. » Cet argent, s’il est restitué, devra être affecté à une autre asbl ou fondation qui a le même objet social « , enchaîne le liquidateur Tallon. C’est ce dernier qui choisira l’heureuse élue, qui pourrait être une autre asbl ou fondation créée par le prince.
Après la lettre de Charles Michel, le sang des avocats ne fait qu’un tour. Ils déposent plainte contre X
Bref, à la suite de cet arrêt de la cour d’appel, la Libye ne se pourvoit pas en cassation. La décision judiciaire devient donc définitive. Mais l’Etat libyen… refuse de payer. Dans un tel cas de figure, l’Etat belge est obligé, en vertu du droit à un procès équitable garanti par la Convention européenne des droits de l’homme, de tout mettre en oeuvre pour faire exécuter la décision de justice. Autrement dit, dans ce dossier, les Affaires étrangères et le SPF Finances auraient dû logiquement venir à la rescousse du liquidateur. Or, il n’en fut rien. Au contraire. Le gouvernement a plutôt soutenu la Libye. Nous y reviendrons.
Mauvaise foi libyenne ?
L’Etat libyen, défendu par Sandra Gobert, qui n’a pas souhaité s’exprimer sur ce dossier, a joué sa dernière carte à l’été 2016 en introduisant une procédure rare en droit belge : un ultime recours au civil, permis après un jugement définitif si des pièces neuves et déterminantes sont produites. L’avocate de la Libye y estime qu’un nouveau procès doit avoir lieu car la rupture de contrat aurait été sollicitée par la Libye et acceptée par GSDT moyennant des indemnités de rupture : 281 000 euros auraient été versés à l’asbl en 2010.
Ultime manoeuvre dilatoire pour éviter de dédommager l’asbl ? Les nouvelles pièces qu’elle a déposées sont des documents comptables et contractuels qui, selon les avocats de GSDT, seraient sans incidence aucune sur le jugement contesté par la Libye… » Il tombe sous le sens qu’un tel montant ( NDLR : 281 000 euros) n’a jamais pu être accepté par GSDT comme dédommagement au regard de l’importance du contrat et du dommage subi « , réplique Paolo Iorio, un des avocats de GSDT basé en Italie. Un montant effectivement 170 fois inférieur aux dommages et intérêts que la justice belge a accordés à GSDT. Les plaidoiries sont prévues en avril prochain devant le tribunal de première instance de Bruxelles.
Avant cela, la Libye avait déjà tenté toutes sortes de manoeuvres, en soutenant notamment que les citations et les jugements ne lui avaient pas été régulièrement signifiés puis en accusant carrément les avocats de GSDT d’avoir fabriqué de faux accusés de réception à la suite de l’envoi des jugements belges en Libye. En vain. La cour d’appel de Bruxelles a établi que les envois postaux concernant les actes de procédure avaient dûment été réceptionnés. Face au refus systématique de dédommagement par la Libye, et sans le moindre soutien du gouvernement belge, les avocats de GSDT ont alors tenté de saisir des actifs libyens en Belgique et à l’étranger. Un vrai chemin de croix, comme on va le voir.
Le trésor gelé du Guide
Le montant total des avoirs placés dans le monde par le clan Kadhafi serait astronomique, selon les évaluations : 170 milliards de dollars d’après le Conseil national de transition de Libye, 400 milliards selon l’homme d’affaires tuniso-suédois Erik Iskander Goaied, qui a longtemps traqué ce trésor incroyable. Les principaux pays d’accueil du magot des Kadhafi seraient l’Afrique du Sud, les Etats-Unis, la Suisse et l’Italie.
Mais le petit royaume de Belgique n’est pas en reste : le 6 septembre 2011, L’Echo révélait une note gouvernementale selon laquelle plus de 14 milliards d’euros d’avoirs libyens avaient été gelés par l’ONU sur des comptes KBC (870 millions), ING (376 millions) et BNP Fortis (43 millions), mais surtout Euroclear Bank (12,8 milliards) dès le début de la guerre civile libyenne qui a abouti à la chute et à la mort du colonel Mouammar Kadhafi, le 20 octobre 2011. Ces montants ont ensuite été confirmés par Didier Reynders (MR), alors ministre des Finances.
Ces avoirs libyens gelés en Belgique appartiennent essentiellement à la Libyan Investment Authority (LIA), principal fonds souverain libyen, et à la Libyan Arab Foreign Investment Company (Lafico), filiale à 100 % de la LIA. Fin novembre 2013, chez Euroclear Bank, la LIA détenait près de 12,2 milliards d’euros et la Lafico presque 4 milliards. Soit près de 16,2 milliards gelés par l’ONU. GSDT tentera de saisir ses 38,5 millions plus intérêts. D’abord en mai 2015, auprès des banques ING et KBC. Mais les fonds y ont été dégelés en 2011 par décision de l’ONU. II n’y a là plus rien à saisir. Puis, à l’été 2016, auprès d’Euroclear. Ici non plus, la saisie n’aboutira pas » faute de fonds entre les mains d’Euroclear, selon ses déclarations de tiers-saisi « , écriront les huissiers, le 16 novembre 2016, aux avocats de l’asbl. Cette réponse est des plus surprenantes car, ici, les fonds (LIA et Lafico) n’ont pu être dégelés. Plus curieux encore : un an plus tard, lorsque le juge d’instruction Michel Claise s’adressera à Euroclear dans le cadre de son enquête pour blanchiment, la banque déclarera détenir un peu moins de 5 milliards d’avoirs libyens sur les comptes gelés (Le Vif/L’Express du 8 mars).
En Italie, Me Paolo Iorio obtiendra la saisie de 15 comptes bancaires chez BNL Paribas et Banca Ubae ouverts par l’ambassade de Libye à Rome. Il fera saisir également des locaux diplomatiques libyens ainsi que des dividendes d’actions de sociétés comme ENI ou Finmeccanica détenues par la LIA. Mais au printemps 2014, curieusement, un employé de l’ambassade retirera près de 1,9 million d’euros en cash en l’espace de trois semaines sur un des comptes de la banque italo-libyenne Ubae, pourtant saisi. Un fameux bras d’honneur à GSDT et à la justice italienne. Enfin, au Luxembourg, l’asbl tentera de saisir, en 2017, des fonds libyens qui, selon ses avocats, auraient été transférés d’Euroclear Bank vers la banque HSBC. Ces procédures de saisie italienne et luxembourgeoise sont toujours en cours à la suite des contestations systématiques de la Libye…
Deux poids, deux mesures
En septembre 2011, Didier Reynders avait déclaré que le gouvernement souhaitait libérer les fonds gelés le plus rapidement possible pour le nouveau pouvoir libyen en place, mais aussi pour rembourser les entreprises belges qui avaient noué des contrats avec le régime de Kadhafi et dont les factures n’avaient pas été honorées. D’après l’ex-numéro un de la Trésorerie Marc Monbaliu, auditionné fin 2015 dans le cadre de l’instruction judiciaire pour blanchiment visant les fonds libyens gelés chez Euroclear ( Le Vif/L’Expressdu 8 février dernier), la FN Herstal, pourvoyeuse d’armes à la Libye, a été payée grâce à l’intervention personnelle du ministre Reynders. CK Technology, une sprl de Visé (Liège) spécialisée dans l' » installation, l’équipement et l’entretien de stands de tir » en Turquie et au Maghreb, a également été indemnisée par la Libye grâce à Didier Reynders.
Une poignée d’autres sociétés ont bénéficié de l’intervention » diplomatique » des Affaires étrangères en 2012, puis en 2013, auprès des nouvelles autorités de Tripoli. Mais fin 2015, seules les deux sociétés d’armement liégeoises avaient été payées. La FN Herstal réclamait 536 000 euros et CK Technology 3,6 millions. Par contre, l’asbl environnementale GSDT, elle, s’est vue opposer un refus catégorique de la part du gouvernement, alors qu’elle bénéficie d’une décision judiciaire. Ses avocats assurent avoir prévenu les Affaires étrangères pour qu’elles interviennent auprès de la Libye dès que le jugement définitif de novembre 2014 en sa faveur a été rendu. Ils ont juste reçu un accusé de réception.
Deux dérogations au gel
Pierre Legros, avocat de l’asbl a, par ailleurs, essayé de convaincre la Trésorerie de débloquer partiellement les fonds libyens gelés en Belgique pour que des saisies puissent ensuite être opérées. Au sein du SPF Finances, la Trésorerie est en charge des questions financières internationales et européennes. C’est elle qui est l’autorité compétente pour le gel et le dégel des avoirs libyens.
Pour les avocats de l’asbl princière, les textes internationaux sont clairs. Le règlement européen 2011/204, confirmé par un nouveau règlement 2016/44 (janvier 2016), prévoit deux possibilités majeures pour dégeler des fonds : l’exécution d’un contrat, accord ou obligation signé par des personnes ou entités blacklistées par l’ONU, avant la date de leur mise à l’index (16 septembre 2011), et l’exécution d’une décision judiciaire impliquant ces personnes ou entités, intervenue avant cette même date. La requête de l’asbl répond donc à la première dérogation : un contrat signé avant 2011 non honoré. » La décision de justice définitive de 2014 découle directement du contrat signé en 2008, appuie Me Legros. Elle démontre indubitablement que le contrat n’a pas été respecté. »
Mais la Trésorerie ne voit pas les choses de cette manière. En juin 2015, l’administrateur général, qui était alors Marc Monbaliu, répond aux avocats que leur demande de dégel » n’est pas conforme en ce qu’elle n’est pas clairement décrite et ne porte sur aucun numéro de compte précis ouvert auprès d’un établissement financier en Belgique « . Il ajoute que l’arrêt de la cour d’appel du 20 novembre 2014 en faveur de GSDT » s’applique à l’Etat libyen » et ne découle pas d’un contrat signé avec » les fonds souverains de l’Etat de Libye « .
La lettre de Charles Michel
Les avocats de l’asbl princière croient rêver. Quand ils demandent des précisions sur les comptes bancaires des fonds gelés en Belgique, on leur rétorque, comme aux parlementaires qui ont posé des questions, que le règlement européen interdit la communication de telles informations. Et l’argument selon lequel ils auraient dû signer un contrat avec la LIA ou la Lafico, et non avec l’Etat libyen, pour pouvoir obtenir un dégel des fonds, les met hors d’eux. Car, dans les statuts de la LIA, il est spécifié que ce fonds souverain est un » organisme public » appartenant à l’Etat libyen. Les avocats de la LIA en Italie l’ont eux-mêmes plaidé : le capital du fonds souverain appartient à l’Etat de Libye et son conseil fiduciaire est présidé par le Premier ministre libyen lui-même…
Alors, quand Charles Michel reprend les arguments de la Trésorerie à son compte, dans une lettre datée du 1er septembre 2015 adressée aux avocats de GSDT, le sang de ceux-ci ne fait qu’un tour. Sur la base d’arguments qu’ils jugent de mauvaise foi, le Premier ministre leur explique doctement pourquoi le gouvernement belge décline la demande du liquidateur de l’asbl de tout mettre en oeuvre pour obtenir l’exécution des décisions judiciaires.
La réaction des avocats est immédiate. Le 8 septembre 2015, ils déposent plainte contre X, au pénal, pour blanchiment et abus de confiance, avec constitution de partie civile. Leur objectif : comme la Trésorerie refuse de débloquer des fonds libyens gelés pour que GSDT puisse ensuite les saisir, ils vont tenter de les faire saisir directement par la justice. On l’a vu, le dossier est instruit par le juge Claise, qui saisit les fonds à l’automne 2017. Mais Euroclear s’oppose à ce que l’argent soit transféré sur un compte de l’Etat, en vertu d’un arrêté royal de 1967 et d’une loi de 1999 selon lesquels les comptes-titres et les comptes cash des institutions de compensation comme Euroclear seraient insaisissables. Ce litige devrait être tranché avant l’été par la chambre des mises en accusation.
Résistance de la Trésorerie
Après leur plainte au pénal, les avocats de GSDT tentent encore de faire plier la Trésorerie. Mais le successeur de Marc Monbaliu, Alexandre De Geest qui, auparavant, a été conseiller du ministre Reynders pendant onze ans, oppose un même refus à leur requête. Dans une lettre du 23 décembre 2016, il répète que » la demande de dégel n’est pas suffisamment précise quant à l’identification des comptes « . Et sort un nouvel argument de son chapeau : » un ordre de paiement volontaire de la part de l’entité dont les ressources sont gelées en Belgique » serait nécessaire. En clair : la LIA devrait donner son feu vert pour qu’une partie de ses fonds soient saisis par GSDT.
Pour justifier sa position, Alexandre De Geest s’appuie sur un avis donné par le groupe Relex, le groupe de conseillers du Conseil européen pour les relations extérieures, notamment en matière de sanctions. La Trésorerie a interrogé Relex début novembre 2016 pour connaître l’opinion de l’Union européenne. Dans sa réponse, Relex estime que la LIA ne peut être assimilée à l’Etat libyen et qu’un dégel de ses fonds ne peut être envisagé que pour une créance due par la LIA, blacklistée par l’ONU. Le groupe Relex souligne tout de même que son avis » ne constitue pas une opinion formelle de la Commission « , organe – rappelons-le – indépendant des Etats, ce que n’est pas Relex. Les conseils de GSDT ont contesté la position de De Geest devant le Conseil d’Etat.
Curieuse mise en garde au prince
Les avocats ne s’expliquent pas cette résistance acharnée de la Trésorerie. Ni, surtout, celle du gouvernement, en particulier de Didier Reynders dont la position prolibyenne est catégorique. Et ce depuis le début de l’affaire. En effet, le 9 avril 2013, alors que le tribunal de première instance de Bruxelles a déjà tranché le litige en faveur de GSDT, Me Pierre Legros reçoit du chef de cabinet de Didier Reynders, aux Affaires étrangères, un mail qui ressemble à une curieuse mise en garde adressée au prince Laurent.
François de Kerchove (aujourd’hui ambassadeur auprès de l’Otan) y acte la décision judiciaire, mais explique que le ministre Reynders, en copie du mail, a appris que la Libye compte contester ce jugement et que » les chances de succès d’un dédommagement étaient jugées très minces en Libye « . Il ajoute : » Ce dossier devrait être dépourvu de toute ambiguïté entre ce qui ressort de la sphère privée des activités du prince et ce qui constitue la politique du gouvernement belge vis-à-vis de la Libye […] et entre ce qui relève du patrimoine du Prince et celui de sa fondation (sic : il s’agit de son asbl) « . Constat : Didier Reynders semble bien informé, dès 2013, sur les intentions de l’Etat libyen de ne pas respecter une décision de la justice belge. Et ça n’a pas l’air de l’émouvoir.
Le cabinet Reynders à la manoeuvre
En outre, son cabinet intervient directement dans le dossier, comme en atteste un mail envoyé, le 10 juin 2016, par le baron Alexis de Crombrugghe de Picquendaele, conseiller juridique au cabinet des Affaires étrangères. Ce courriel est adressé à Michael Bishop, qui dirige le groupe Relex que la Trésorerie interrogera plus tard. Dans ce mail, le collaborateur de Didier Reynders (aujourd’hui ambassadeur au Kazakhstan) demande à Bishop si » la LIA et la Lafico, étant des fonds souverains, peuvent être assimilés au gouvernement de Libye avec lequel, sous le régime Kadhafi, l’asbl GSDT a signé un contrat en 2008 et 2009 « . Il interroge aussi Bishop sur les deux exceptions permettant un dégel de fonds libyens – les contrats et les décisions judiciaires antérieurs au 16 septembre 2011 – et lui demande laquelle des deux prime et si ces exceptions sont mutuellement exclusives.
Bishop et de Crombrugghe échangent plusieurs mails. Ils défendront une position commune pour ne pas autoriser le déblocage des comptes gelés. Position selon laquelle il faudrait » l’accord du détenteur des comptes pour opérer un transfert de propriété « . Ces tractations avec Bishop interviennent peu avant que la Trésorerie sollicite, à son tour, le groupe Relex, en soulevant les mêmes questions que celles posées par les Affaires étrangères. Les deux se sont visiblement concertés. Et il semble clair que ce sont les Affaires étrangères qui dirigent la manoeuvre…
La note de l’ambassadeur
Pour les avocats de GSDT, le raisonnement juridique d’Alexis de Crombrugghe ne tient pas la route. En particulier l’argument de » l’accord du détenteur des comptes « . Non seulement aucune autorisation préalable n’est requise dans les textes onusiens ou européens consacrés aux fonds gelés. Mais surtout, GSDT ne demande pas à la Trésorerie qu’un paiement soit effectué. Elle demande juste le déblocage des fonds. Point. Une fois ceux-ci débloqués, l’asbl fera exécuter elle-même le jugement en sa faveur. Demander l’accord de celui qui est condamné par un tribunal à dédommager la partie lésée, comme le laisse entendre de Crombrugghe, est surréaliste aux yeux des avocats de l’asbl.
Autre étonnement : après la publication du règlement 2016/44 de l’UE, les avocats obtiennent, via les bons offices d’Etienne Davignon, de rencontrer le directeur général du service juridique de la Commission, Luis Romero, pour l’interroger sur le cas d’espèce. La rencontre a lieu le 23 juin 2016 en présence de Dirk Wouters, représentant permanent belge auprès de l’Union européenne. Les avocats présents sont Robert Wtterwulghe et Jean-Pierre de Bandt, qui assistent en tant qu’experts le liquidateur Alex Tallon.
Qu’en ressort-il ? Pour Romero, étant donné le contrat de GSDT avec la Libye, la Belgique est autorisée à dégeler des fonds libyens bloqués dans une institution bancaire belge. Cette position a fait l’objet d’une » note verbale » rédigée par l’ambassadeur Wouters, mais elle n’a rien d’officiel. La Trésorerie et le conseiller juridique de Didier Reynders, Alexis de Crombrugghe, ont alors remis cet avis informel en cause, arguant que n’étant pas signée par Romero lui-même, la note pouvait refléter l’opinion de l’ambassadeur. Un procédé que Me de Bandt, ulcéré, a jugé dans un courriel au cabinet Reynders » indigne de notre administration » et qui » défie l’honnêteté la plus élémentaire « . Dans le même temps, de Crombrugghe échangeait des mails avec Michael Bishop du groupe Relex, qui donnait un avis différent, mais par écrit. Et c’est à cet avis – contestable – que les Affaires étrangères et la Trésorerie se sont rangées.
Des intérêts secrets ?
Bref, les autorités belges, le cabinet Reynders en tête, semblent avoir tout fait pour mettre des bâtons dans les roues du liquidateur de l’ex-asbl du prince Laurent. Pour quelles raisons ? Y a-t-il des intérêts secrets ? Nous avons sollicité les Affaires étrangères sur leur intervention dans le dossier GSDT. En vain. Idem du côté de la Trésorerie. Son administrateur général, Alexandre De Geest, nous a dit ne pas pouvoir s’exprimer sur ce sujet » sensible » en vertu du règlement européen 2016/44.
Les avocats, eux, soupçonnent quelque raison politique à ce mur de Berlin érigé par le gouvernement face à la demande de l’asbl de faire exécuter une décision judiciaire. Cette raison est apparue en septembre 2016 dans des mails de de Crombrugghe évoquant » l’incidence pour la candidature de la Belgique au Conseil de sécurité en 2019 « , candidature pour laquelle la voix libyenne est, semble-t-il, indispensable. Le conseiller juridique de Didier Reynders ajoute que » l’avocat de l’ambassade de Libye s’est manifesté « . Il va jusqu’à estimer que la demande de dégel des fonds libyens est faite » en fraude des dispositions imposées par l’ONU « , accusation particulièrement grave à l’encontre des avocats de l’asbl princière.
Cet acharnement du gouvernement Michel à l’égard de l’asbl princière semble témoigner d’un état d’esprit général » anti-Laurent » que l’on retrouve à l’oeuvre dans la volonté de l’exécutif de raboter de 15 % la dotation du prince. Son audition, ou celle, plus probable, de son avocat Laurent Arnauts à la Chambre ce mercredi 21 mars, pourrait peut-être clarifier les choses.
(1) Dans le dernier indice de Transparency International, la Libye reste tout en bas du classement (171e sur 180).
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