La véritable histoire du Père Fouettard
Chaque année, petits et grands fêtent la Saint Nicolas le 6 décembre. Mais le Saint Patron des enfants ne sort jamais sans son compagnon le Père Fouettard. Martin Vander Elst est anthropologue au laboratoire d’anthropologie prospective à l’UCLouvain. Il revient sur la généalogie du Père Fouettard.
La figure du Père Fouettard, « Zwarte Piet » en néerlandais ou Hanscrouf (voire Hanscroufe) en Wallonie et à Bruxelles, est essentiellement liée à l’histoire de l’esclavage et de la colonisation. Il y a un rite plus lointain qui a cours jusqu’au 16e siècle d’un Saint Nicolas accompagné soit d’anges, soit de croquemitaines que l’on peut ranger dans la catégorie des rites carnavalesques ou des rites d’inversion des rôles sociaux.
L’origine de la légende
Hans Trapp, le « jumeau » du Père Fouettard
En Alsace, les enfants peu sages ne craignent pas le Père Fouettard, mais bien Hans Trapp. Un personnage effrayant… qui a réellement existé, au 15ème siècle. Il se nommait Hans Von Trotha, était châtelain et mesurait plus de deux mètres. Pour se venger des moines qui voulaient racheter sa propriété, il aurait construit un barrage pour pouvoir mieux inonder la ville.
De la réalité à la légende, Hans Von Trotha est devenu Hans Trapp, une créature vêtue de peaux de bêtes qui capturait dans son sac de toile puis fouettait les enfants ne connaissant pas leurs prières.
Chaque année, à la fin du festival de Noël de Wissembourg, village alsacien à la frontière avec l’Allemagne, Hans Trapp défile dans les rues, suivi du Christkindel, une jeune fille habillée de blanc, qui réconforte les enfants maltraités par ce « jumeau » du Père Fouettard.
L’origine du Père Fouettard diffère selon les régions d’Europe et même de France. En Lorraine, par exemple, le Père Fouettard tire son origine du siège de Metz par les troupes de Charles Quint au 16e siècle. En réponse, les Messins brûlaient un mannequin représentant l’empereur. Ce mannequin était appelé « Père Fouettard ». En Alsace, il est appelé « Hans Trapp » (lire ci-contre).
Clairement, à partir du 16e siècle, le personnage du Père Fouettard est une production de l’esclavage et de la colonisation, il renvoie à la tradition des pages africains qui vient de la noblesse portugaise et espagnole durant la Renaissance. Le port d’Anvers va alors jouer un rôle de première importance dans le commerce d’esclaves au 16e siècle. Anvers devient le centre de commerce et de raffinage du sucre et est l’une des villes où il y a la plus grande population africaine après Lisbonne.
Dans cette tradition des pages africains, on voit que c’est une relation esclavagiste brute, car les Africains sont considérés comme des accessoires de standing ou des biens « meubles ». Cette tradition va continuer durant la colonisation avec ce qu’on appelle les « boys » qui seront aussi présents au Congo belge. Le personnage du Père Fouettard est intimement lié à cette histoire de l’esclavage et de la colonisation où les hommes blancs s’affublent de servants qui sont infantilisés et considérés comme leur propriété.
La première représentation
La première représentation du Père Fouettard en tant que serviteur de Saint Nicolas remonte à 1850 dans un livre de Jan Schenkman intitulé « St. Nikolaas en zijn knecht » (NDLR « Saint-Nicolas et son serviteur »). La représentation de Père Fouettard à cette époque montre clairement la filiation avec la tradition esclavagiste des pages. Il est affublé des caractéristiques du servant et des habits de Maure originaire d’Afrique du Nord. Il a toutes les représentations de l’esclave.
Ensuite, une mutation s’effectue à la fin du 19e siècle, avec les pratiques du « blackface » et de ‘minstrel show’ ainsi que des shows ethniques, mais aussi des zoos humains comme à Anvers en 1885, à Tervuren en 1897 ou encore lors de l’exposition universelle de 1958. A la figure de Père Fouettard, qui est représenté comme un servile, vont s’ajouter des dimensions clownesques de type « blackface ». Les traits de l’amusement, de la bêtise sont ajoutés à la figure noire du servant. La négrophobie à l’oeuvre ici revêt plusieurs couches de significations: la dimension de la servilité, de la brutalité, de l’amusement et de la naïveté.
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Krampus, l’autre adjoint du grand saint
En Autriche, en Allemagne, en Slovénie, en République tchèque et, depuis plus récemment, aux Etats-Unis, c’est une autre créature terrorisante qui effraie les enfants : le Krampus. Mi-chèvre, mi-démon, il accompagne Saint-Nicolas et distribue des bâtons à ceux qui n’ont pas été sages.
Le rite de Saint Nicolas
Comme le rite de Saint Nicolas est lui-même une légende et un folklore, il se transforme. Dans le courant du 19e siècle, on voit émerger cette histoire d’un personnage recouvert de suie, qui n’est pas du tout lié à Père Fouettard, mais à la tradition des croquemitaines. Le rite de Saint Nicolas est clairement accompagné du Père Fouettard dans un contexte esclavagiste et colonial. En République Tchèque, par exemple, Saint Nicolas n’est pas accompagné d’un servant, mais d’ange ou d’une figure de type croquemitaine.
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