« La perception du nucléaire en Belgique a fortement changé depuis deux ans »
Engie Electrabel compte arrêter tous les investissements liés à la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. Comment interpréter cette annonce et quel avenir pour l’approvisionnement énergétique en Belgique ? Entretien avec Jan Vande Putte, responsable campagnes nucléaire et énergie chez Greenpeace.
Le Vif: Comment interpréter cette annonce de la part d’Engie Electrabel ?
Jan Vande Putte: Une annonce très importante, mais assez logique. Depuis quelques années déjà, le groupe international Engie a fait le choix de mettre fin à ses activités dans le secteur nucléaire, sauf en Belgique jusque maintenant. Ils ont pris l’orientation, à terme, de se réorienter vers des énergies renouvelables. Ils sont aussi très forts dans le secteur du gaz. C’est leur orientation stratégique depuis au moins 2018. Dans cette grande orientation, il y avait encore le « problème belge », qui a beaucoup coûté au groupe Engie. Ce problème belge, du point de vue d’Engie, c’était surtout un problème de coût, car la prolongation des centrales nucléaires est un investissement important. Ils voulaient des garanties financières dans le cadre d’une prolongation de Doel 4 et Tihange 3.
Dans ce contexte-là, on a une combinaison entre les coûts considérables pour la prolongation, les risques financiers et un changement fondamental dans la politique belge depuis 2018 sur le nucléaire. On a fortement sous-estimé l’impact des arrêts des centrales pendant l’hiver 2018. À cette époque, il y avait six réacteurs sur sept qui n’étaient pas disponibles en Belgique. Cela a provoqué un choc au niveau politique, mais aussi des régulateurs. On a réalisé qu’on avait un problème avec le nucléaire, car il n’était pas nécessairement disponible au moment où on en a le plus besoin. La perception du nucléaire a fortement changé depuis.
Cela a affaibli la position d’Engie. Ils voulaient des subsides pour la prolongation, mais il était alors plus difficile pour eux de demander des garanties financières. Il y a une impulsion politique, mais c’est surtout Engie qui ne veut pas se lancer dans un projet de prolongation avec un risque financier important.
Est-ce que la Belgique est prête pour sortir du nucléaire ?
Cela va au-delà d’Engie, ils ne sont pas responsables pour la sécurité d’approvisionnement. Les calculs sont faits par Elia, avec le Creg et le gouvernement fédéral.
Du point de vue de l’énergie belge, c’est très clair. Si on se base sur les calculs du Creg, on a suffisamment de capacité et il y a suffisamment d’alternatives pour 2025. Ce n’est pas la position de ministère de l’Énergie ou d’Elia, mais bien du régulateur. Selon nous, même avec une fermeture des centrales nucléaires, on n’a pas besoin d’un système de subside pour des centrales au gaz en Belgique.
La question cruciale, c’est : « comment approvisionner notre énergie » ? Il y a eu une étude commandée par Engie sur les scénarios énergétiques pour la Belgique, publiée il y a quelques mois. Cette étude est très importante et offre deux grands scénarios. Le deuxième scénario confère une large part aux énergies renouvelables. C’est un très bon point de départ. Cela ouvre la porte à une relation plus constructive avec Engie. Ce scénario, c’est plus ou moins ce que Greenpeace demande depuis quelques années pour la Belgique. Si Engie et Greenpeace proposent plus ou moins le même scénario, c’est qu’il y a quelque chose qui se passe.
On a besoin en Belgique aujourd’hui d’une collaboration entre régions et le fédéral, entre les différents acteurs, dont Engie. Si on peut collaborer sur un tel scénario, c’est un message extrêmement positif. Cela veut dire qu’on peut arriver à 65% d’énergie produite par le renouvelable en 2030. La Belgique a du retard, mais on peut le rattraper sur dix ans. Et cela ouvre la porte pour se diriger vers 100% de renouvelable entre 2030 et 2050.
À quoi va ressembler l’avenir énergétique de la Belgique ?
On est proche de 2025, mais pendant cinq ans on peut encore mettre des choses en place. On peut accélérer le développement de l’éolien offshore, par exemple. Mais il faut réaliste : on ne peut pas corriger les erreurs qui ont été faites et le manque de politique des vingt dernières années, surtout du dernier gouvernement qui n’a presque rien fait. Investir, cela demande du temps, de la planification.
Pour 2030, on peut aller vers 65% de renouvelable, c’est déjà très positif. Mais pour 2025, ce n’est pas possible. À côté de l’offshore, on devra assurer notre sécurité d’approvisionnement. Il y a aura certainement un plus grand niveau d’importation pendant quelques années, de France, mais surtout côté des Pays-Bas et de l’Allemagne. Ce n’est pas une situation idéale, mais c’est une phase difficile qu’il faut traverser. L’interconnexion avec les voisins, c’est la solution pour faire le pont vers 2030.
Est-ce qu’on peut s’inspirer de l’expérience de nos pays voisins, comme l’Allemagne par exemple ?
En Allemagne, il y a clairement une évolution positive. Pour les cinq ans à venir, il y aura une vague de fermeture des centrales au charbon. Mais il y a encore un retard sur cette fermeture. La politique allemande, c’est 65% de renouvelable pour 2030. Il y a même des propositions pour augmenter cet objectif à 70%. Selon nous, cela peut aller jusqu’à 80%. Cette année, ils seront aux alentours de 50%. Ce n’est pas parfait, pour les dix ans à venir on est dans une situation de transition, mais l’évolution est bien là.
Pour la Belgique, si on prend en compte l’étude commandée par Engie, les deux scénarios pour 2030 les plus importants sont les suivants : un scénario pour prolonger 2 Gigawatts, et un scénario pour aller vers 65% de renouvelable. Les émissions de CO2 sont moins élevées dans le deuxième scénario. Notre pays doit se poser une question fondamentale : veut-on prolonger un peu le nucléaire, ou investir dans les technologies futures qui peuvent réduire de façon structurelle, à long terme, les émissions ? Car il faut aussi réfléchir à ce qu’on va faire dans dix ans. On peut prolonger le nucléaire, mais on devra à un moment donné remplacer ces vieilles centrales, elles ne sont pas éternelles. Et investir de nouveau dans des centrales, cela coûte très cher. En Europe, tous les projets nucléaires dépassent le budget originel.
Investir dans des nouvelles centrales n’est pas dans l’agenda politique belge. Personne ne le propose. Mais c’est aussi une logique financière. Fermer les centrales entre 2022 et 2025, vu le manque de préparation des précédents gouvernements, c’est un défi. Mais le gouvernement actuel est assez réaliste sur la question. La réalité est complexe, on n’a pas toutes les solutions. Mais l’élément positif, c’est qu’on peut encore rattraper, en dix ans, le retard qu’on a accumulé et construire un consensus.
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