Thierry Fiorilli

La main de Dieu, le diable au corps (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Diego Maradona est décédé. Ce dieu était vénéré dans tous les pays. Tout le monde savait qu’il était devenu aussi pathétique qu’enchanteur. Plus on nous divinise, plus on est tenté par le diable.

Il y a ce qu’on s’invente, par nécessité. Pour faire contrepoids au destin, au mauvais karma, au désastre. Ça n’y change rien, ou si peu, mais c’est comme voler une pomme à l’étalage de la profusion et s’enfuir vers son refuge de dénuement. Ça aide à accepter son sort. Et puis, il y a ce qui vous tombe dessus, on n’avait rien demandé, on n’en est plus à vouloir se créer d’illusions vous savez, mais ça a surgi comme ça, paf, et c’était vrai, tout le monde l’a vu, et alors c’est du pur prodige, une revanche sur tout, soudain des possibilités, soudain la preuve que, même par procuration, il y a moyen de s’extirper de cette poisse et ce pire. Ce qui a surgi, il y a un demi-siècle, c’était d’un cloaque. C’était un gamin à gueule d’ange, même si certains y décelaient du voleur de poules. Petit, le gamin. Plus petit que ceux de son âge. Mais avec un don du ciel, va savoir pourquoi lui, qui le faisait surpasser tout le monde. Même ceux qui lâchent leur chien sur les maraudeurs autour des poulaillers. Alors, ceux du cloaque d’abord, et puis ceux des étalages de la profusion, et jusqu’à ceux à qui appartiennent la profusion, subjugués, en ont fait un dieu.

L’hommage universel u0026#xE0; Diego Maradona rappelle que ce dieu enfantu0026#xE9; par le foot u0026#xE9;tait l’un des plus authentiques de tous les cieux.

En cette année maudite, comme pour enfoncer le clou encore plus profond, ce dieu-là a lâché ceux qui l’avaient déifié. Sa mort, le 25 novembre, était attendue depuis longtemps, tant il a toujours tout fait pour vivre le moins longtemps possible. Mais elle prouve qu’il était adulé comme personne d’autre ne l’a été dans l’histoire contemporaine, voire au-delà. Ni guide spirituel, ni politique, ni écrivain, ni star du cinéma, ni musicien, ni businessman, ni légende du sport. Ce dieu-là était vénéré dans tous les pays, par des gens de toutes les générations, toutes les confessions, toutes les conditions. Sans qu’aucun n’ignore qu’il était aussi vaurien, tricheur, barjo, qu’il ne tendait pas l’autre joue si on le tapait, et on l’a souvent tapé, lui il tapait en retour, et plus fort si c’était possible. Ce dieu-là, tout le monde savait qu’il était devenu aussi pathétique qu’il avait été enchanteur, aussi vulgaire que surdoué, aussi toxicomane qu’addictif. Un mixte de Mozart et de Tony Montana. Sans la moindre velléité de cacher l’un ou l’autre. Puisque vous me considérez comme un dieu, puisque des papes et des présidents, des chefs de guerre et des chefs d’orchestre, des poètes et des barons du crime, des reines de vertu et des impératrices de la débauche, des palaces et des favelas m’acclament, me réclament et me vénèrent, puisque c’est absolution garantie, puisque je n’ai jamais cherché à être un modèle et que personne n’a jamais voulu que j’en soie un, adiós les lois, les règles et les codes. Ce dieu-là portait ses vices en bandoulière, en étendard, bien visibles, fièrement.

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L’hommage universel à Diego Maradona démontre une nouvelle fois que le football est bien plus que du football. Qu’il crée des miracles et des apocalypses, qu’il exauce des prières, qu’il raconte des paraboles, qu’il libère génie et venin. Et que le dieu qu’il a enfanté était l’un des plus authentiques de tous les cieux. Personne ne lui ressemblait mais il était pareil à nous tous. Puisque plus on nous divinise, plus on est tenté par le diable.

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