La loi drogues a 100 ans: « Cette loi est absurde et complètement obsolète »
Ce 24 février 2021, la loi belge qui régit la détention et le trafic de stupéfiants fête ses 100 ans. Pour deux collectifs, il est grand temps de la réévaluer. Ils lancent la campagne « Unhappy Birthday ! » avec comme agenda de faire bouger le monde politique.
Le texte fondateur de la « loi drogues » fête ses 100 ans. Les collectifs #STOP1921 et SMART on Drugs qui réunissent une soixantaine d’associations issues de la société civile (Infor Drogues, Bruxelles Laïque, Médecins du monde, …), lancent la campagne « Unhappy Birthday! ». Ils demandent l’examen de la portée et de l’efficacité de cette loi. « Ce qui n’a plus été fait depuis 1998, date à laquelle un groupe de travail parlementaire a été créé« , rappellent-ils.
« C’est quand même dingue qu’en matière de drogue nous fonctionnions encore avec une loi datant de 1921. Quand elle a été créée, il n’y avait que des dérivés d’opiacés, de l’opium et un peu de cannabis, essentiellement consommés au sein de l’élite culturelle. Aujourd’hui, la drogue est un produit de consommation de masse. Il est temps de changer de paradigme!« , nous explique Bruno Valkeneers, directeur de la communication pour l’ASBL Transit et porte-parole francophone de la campagne.
« L’objectif de cette loi répressive qui criminalise les usagers de drogues de toutes sortes était d’éradiquer le trafic de drogues. Mais on se rend compte à l’heure actuelle que le trafic n’a jamais été aussi intense et diversifié en termes de produits. C’est un échec évident« , est d’avis Bruno Valkeneers. « Ce travail parlementaire est inéluctable tant cette loi est en décalage avec la société contemporaine. C’est comme si on n’avait jamais modifié le Code de la route, édicté au tout début de l’automobile, c’est absurde », fait remarquer le porte-parole.
Aucune pénurie pendant le confinement
Force est de constater pour les collectifs que la consommation de drogues n’a pas faibli à l’heure actuelle et qu’au contraire, elle s’est même intensifiée. La pandémie n’a pas créé de pénurie, comme on aurait pu le croire, ont-ils observé. Les drogues de toutes sortes sont restées très disponibles durant les confinements.
Les arguments des deux collectifs pour appuyer leur demande de décriminalisation sont multiples. La criminalisation des personnes dépendantes complexifie l’intervention des travailleurs sociaux qui ont plus de mal à établir la confiance, à effectuer de la prévention, à sensibiliser ou à éduquer. « De manière générale, la criminalisation de l’usage entraîne une stigmatisation des usagers et augmente le seuil d’accès vers l’aide et les soins pour les personnes qui en ont besoin. En l’absence de prise en charge, celles-ci risquent davantage de tomber dans une spirale de marginalisation qui peut les mener vers la petite criminalité pour financer le besoin de consommer « , avancent-ils.
Les collectifs demandent un examen de la loi de 1921, et cela, de façon continue, au regard des connaissances scientifiques actuelles qui en une centaine d’années ont énormément évolué. La dépénalisation permettrait entre autres, à des scientifiques d’analyser l’impact des drogues sur le long terme, un travail qui est à présent impossible, car aucune donnée officielle n’existe.
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Une évaluation coûts-bénéfices
D’autre part, ils demandent aussi une évaluation coûts-bénéfices de la politique drogues. En 2015, le coût policier et judiciaire de la répression avoisinait les 175 millions d’euros. « Il ne serait pas rationnel de maintenir plus longtemps une approche aussi coûteuse qui, depuis 100 ans, n’a produit aucun résultat significatif en matière de réduction de l’offre, de réduction de la criminalité, de réduction de la consommation de drogues, ou encore, en matière de santé publique et de justice sociale », clament les initiateurs de la campagne.
« La répression engloutit énormément de moyens qui pourraient être investis dans la prévention qui ne représente même pas 2% du budget drogue. L’essentiel va à la répression. C’est un souci de cohérence de revoir cette loi. Les différents gouvernements ne cessent de répéter qu’il vaut mieux soigner que punir, comme tous les spécialistes en assuétudes. Or, dans les prisons belges déjà surpeuplées, un détenu sur trois s’y trouve pour des faits de drogues ou de délits connexes. Certains usages sont aussi initiés en prison« , confirme Bruno Valkeneers.
Les « salles de shoot » normalement interdites
En outre, « l’absence totale de contrôle de la qualité des produits en circulation est responsable d’une partie substantielle de leur dangerosité ». La décriminalisation ne concernerait pas seulement le cannabis, mais l’ensemble des drogues. « Nous ne sommes pas pour faire la différence entre ‘drogues douces’ et ‘drogues dures’« , explique Bruno Valkeneers. « Ce n’est pas la nocivité du produit qui a conditionné l’interdit. L’alcool, par exemple, est extrêmement addictif et représente une dangerosité sociale importante, en termes d’exclusion sociale. Pourtant, cette drogue est légale alors que d’autres, parfois nocives pour le corps le sont moins que l’alcool en termes d’exclusion sociale. On voit bien que la nocivité ne tient pas scientifiquement. On n’avait pas ces connaissances en 1921. L’environnement a complètement changé depuis. »
Un autre paradoxe de la loi, relevé par Bruno Valkeneers, ce sont les salles de consommations, aussi appelées plus communément, « salles de shoot ». Un tel dispositif est en projet à Bruxelles, et est déjà mis en place à Liège. La littérature scientifique souligne son efficacité en termes, entre autres, de réhabilitation du consommateur de drogues. Pourtant, ces salles sont illégales. « La loi de 1921 prévoit des sanctions, des peines de prison, pour quiconque met un local pour faciliter l’usage de la drogue. La loi avait prévu cet article pour lutter à l’origine contre les fumeries d’opium », explique Bruno Valkeneers. « On est presque dans la désobéissance civile. Rien que ce point-là mérite qu’on s’y attarde ».
L’exemple du Portugal
Bruno Valkeneers cite l’exemple d’autres pays européens à suivre dans la voie de la décriminalisation. C’est le cas notamment du Portugal. Depuis 2001, ce pays a fait le choix d’opter pour des sanctions administratives plutôt que pénales, tout en renforçant la prévention. « Ils constatent une diminution de la petite criminalité et plus de trajectoires de soin mises en oeuvre. C’est une vraie politique de santé publique. Le pénal n’intervient plus sauf s’il y a des récidives ou des comportements dangereux pour la société. On demande qu’il y ait une approche qui s’inspire de cela en Belgique« , avance Bruno Valkeneers. Autre exemple, celui de nos voisons néerlandais, où l’ouverture des coffee-shops avait favorisé une recrudescence de la consommation de cannabis dans un premier temps avant un retour à la normale.
Des ressources économiques importantes
Enfin, les collectifs avancent un autre argument fort, économique cette fois. A terme, une légalisation des drogues, en particulier du cannabis, est une mesure qui peut rapporter des ressources importantes à l’État, soit par la vente directe aux consommateurs, soit par les impôts, taxes et accises que rapporterait un secteur légal. La mise en place de ce nouveau secteur économique serait aussi créatrice de nombreux emplois, directs et indirects.
La Banque Nationale de Belgique estime à près de 700 millions d’euros le marché de la consommation de stupéfiants en Belgique pour 2019. « A un moment où la question de savoir comment compenser les dégâts économiques de la crise du Covid-19 devient de plus en plus pressante, des mesures comme une régulation des drogues, en particulier du cannabis, pourraient peser lourd dans la balance« , déclarent #STOP1921 et SMART on Drugs.
De nombreux exemples à l’étranger le démontrent. Aux États- Unis, le cannabis est légal dans 34 États pour l’usage médical, et dans 16 États pour l’usage récréatif. Parmi les autres pays à avoir légalisé le cannabis, on retrouve l’Uruguay, le Canada, l’Afrique du Sud, et bientôt le Luxembourg. Aux Etats-Unis, on assiste à la décriminalisation de l’usage des substances psychédéliques naturelles, notamment dans l’État de l’Oregon.
« Dépénaliser n’est pas la solution »
Le débat sur la gestion des drogues ne date pas d’hier et reste un sujet fort débattu. Pour Jean-Baptiste Andries, avocat général à la cour d’appel de Liège interviewé par la RTBF, la dépénalisation n’est pas la solution. « Il est illusoire de penser que les consommateurs problématiques seront mieux pris en charge s’il y avait une dépénalisation. Parce que cela voudrait dire que la prise en charge serait entièrement assumée dans le cadre de la liberté thérapeutique. Est-ce que la personne a envie d’être soignée, de recevoir de l’aide ? Et donc là, on sent bien qu’on passe à côté de quelque chose ».
Pour le magistrat, santé publique et justice sont toutes deux nécessaires pour lutter contre le fléau de la drogue. Il estime qu’il faut optimaliser l’interaction entre la carotte et le bâton en créant davantage de passerelles. « On a multiplié toutes les mesures alternatives. Plutôt que d’envoyer les gens en prison, nous leur proposons une aide et un accompagnement sur le long terme pour essayer de faire en sorte qu’au moins au niveau de la sécurité publique les choses puissent être acceptables. Et ce qu’on constate, c’est que ce suivi fonctionne au moins aussi bien que le suivi qui est décidé librement. Donc, imaginer que tout va aller mieux en dépénalisant et qu’il n’y aura plus cet encouragement, cette incitation relativement ferme à se prendre en charge… Je pense que c’est vraiment une vue de l’esprit », explique-t-il.
Aux origines de la loi drogues
La « loi drogues » a été édictée en 1921. Elle est relativement courte, composée de 9 pages et 12 articles. Au cours des années, sa doctrine fondamentale n’a pas changé mais elle a été amendée à plusieurs reprises par voie d’arrêtés royaux ou de circulaires. En 2003, elle a connu une avancée importante vers plus de tolérance face à l’usage non problématique du cannabis. Depuis le 2 juin 2003, la loi belge punit la détention de cannabis à des fins de consommation personnelle d’une amende de 75 à 125 euros. Le seuil de tolérance est de 3 grammes mais il est sujet à interprétation. Au départ, dans l’article 2bis de la loi, tous les actes ayant trait aux stupéfiants étaient condamnés à un emprisonnement de 3 mois à 5 ans.
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