Carte blanche

La grève comme outil d’émancipation des femmes

En 1966, la Belgique connut durant 12 semaines une grève inédite qui laissa une empreinte indélébile dans le champs économique et social belge : la grève des ouvrières de la Fabrique Nationale à Herstal.

Cette grève fut totalement novatrice, en ce sens qu’elle mobilisa massivement et spécifiquement les femmes qui étaient employées dans cette usine à l’époque. Les ouvrières, qui composaient un tiers des effectifs de l’entreprise, y étaient majoritairement cantonnées dans des ateliers où un travail particulièrement pénible et mal considéré leur était réservé.

Leur revendication principale, « à travail égal, salaire égal », est un principe fondamental de justice sociale, il fut d’ailleurs consacré par l’article 119 du Traité de Rome adopté en 1957. Pourtant, aucun homme de la FN d’Herstal, fut-ce le balayeur de la cour de l’usine, n’avait un salaire aussi bas que ces ouvrières. Pour le patronat de l’époque, cette revendication d’avoir le même salaire que leurs collègues masculins se heurtait au fait que les hommes exerçaient d’autres fonctions, dans d’autres ateliers de l’usine, et que ce principe ne s’appliquait donc pas. C’est une des raisons pour lesquelles le résultat de la grève ne rencontra que partiellement les revendications des grévistes (2,75 francs d’augmentation au lieu des 4,29 francs attendus).

Cette grève eut malgré tout l’immense mérite de rendre visible les inégalités structurelles que les femmes subissaient au sein du monde du travail : relégation dans des fonctions subalternes et différentiel important dans les rémunérations vis-à-vis des hommes, ce qui engendrait précarité et dépendance vis-à-vis du conjoint. A ceci s’ajoutait un déséquilibre immense dans la répartition des tâches ménagères. Une fois rentrés au domicile, l’homme se reposait alors que la femme commençait une deuxième journée de travail pour s’occuper des enfants, du ménage, du repas, etc.

Nous sommes 54 ans plus tard, et lorsqu’on analyse la situation actuelle de manière lucide, on se rend compte qu’il est déplacé de parler au passé lorsqu’on évoque ces injustices. En effet, aujourd’hui encore dans le monde du travail les femmes sont confrontées au « plafond de verre » (voire au « plancher collant »), aux emplois à temps partiel non-choisis, aux fonctions mal payées et peu considérées, etc. Bref, autant d’éléments qui expliquent pourquoi les femmes gagnent en moyenne 23,7% de salaire en moins que les hommes (selon les derniers chiffres de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes). Et le partage des tâches domestiques a à peine évolué, car deux-tiers de celles-ci sont encore assumées par les femmes.

A ceci s’ajoutent les diverses réformes de la Sécurité Sociale qui ont fait des femmes les premières victimes des politiques d’austérité appliquées par les derniers Gouvernements.

Si les lois et règlements consacrent l’égalité des droits, force est de constater que le chemin vers l’égalité réelle est encore long.

Mais ces constats négatifs n’empêchent pas une certaine dose d’optimisme lorsqu’on voit la montée en puissance de divers mouvements féministes un peu partout sur la planète. Il y a eu l’émergence des mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc bien entendu, qui ont permis de rendre visible le calvaire des femmes harcelées et violées. Mais il y a aussi toute une série de mobilisations dans le cadre du 8 mars, Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, qui prennent de l’ampleur chaque année. A titre d’exemple en 2019, des millions d’Espagnoles sont descendues dans la rue pour faire entendre leur voix, et près de 500.000 Suissesses ont également défilé pour défendre la cause des femmes.

Dans plusieurs pays, le fait que le 8 mars puisse être un jour de grève des femmes (ou grève féministe) fait son chemin, y compris en Belgique. A l’initiative du Collecti.e.f 8 maars (collectif féministe indépendant), le 8 mars 2019 fut la première grève des femmes en Belgique. Cette année la grève féministe est à nouveau décrétée, pour le 8 et le 9 mars cette fois (le 8 tombant un dimanche). La grève se veut globale : au travail bien entendu, mais aussi pour les tâches ménagères, les soins aux proches, les études, etc. Le but est de faire comprendre que quand les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête. Et qu’elles ont raison de revendiquer une égalité réelle à tous les niveaux avec les hommes.

La grève est un droit fondamental dans une démocratie. C’est la possibilité de stopper une activité qui se passe dans un contexte inéquitable, c’est la possibilité de dire « stop » à une situation qui n’est plus tenable. Par le blocage des activités qu’elle occasionne, la grève oblige à se pencher sur les raisons qui ont occasionné celle-ci, elle est l’occasion de secouer les consciences et les certitudes. Bref, la grève est le moyen de faire bouger les choses, quand tout le reste n’a pas fonctionné.

Ce fut d’ailleurs une des armes utilisées par les aide-ménagères travaillant dans le secteur des Titres-Services, qui se sont fortement mobilisées ces dernières semaines. Celles-ci voulaient non seulement faire évoluer leurs salaires, toujours trop bas, mais aussi rendre visibilise leur fonction indispensable mais trop souvent cachée, voire dénigrée, malgré sa pénibilité. Les grèves, et les actions de visibilité qui les ont accompagnées, étaient aussi l’occasion de réclamer du respect et de la reconnaissance pour ces travailleuses. Et si elles n’ont pas eu gain de cause sur l’entièreté de leurs attentes, comme les travailleuses de la FN d’Herstal, elles ont réussi à faire bouger les lignes.

Pour toutes ces raisons, et parce que nous soutenons le projet d’une société égalitaire pour les femmes et les hommes, la Centrale Générale de la FGTB appuie, au même titre que la FGTB fédérale, l’appel à la grève des femmes des 8 et 9 mars prochain, et appelle ses affiliées et militantes à participer largement aux actions organisées partout dans le pays à cette occasion.

Carte blanche proposée par la Centrale Générale FGTB – www.accg.be. La Centrale Générale – FGTB est une des plus grosses centrales de la FGTB. Elle rassemble les travailleuses et travailleurs de la construction, de la chimie, de l’industrie et des services (tels que le nettoyage, les titres-services, etc.). Elle compte à ce jour près de 430.000 membres sur tout le territoire.

Werner Van Heetvelde – Président de la Centrale Générale FGTB

Selena Carbonero Fernandez – Présidente du Bureau des Femmes de la FGTB Wallonne

Arnaud Levêque – Secrétaire fédéral & responsable des questions Genre à la Centrale Générale FGTB

Gaby Jaenen – Secrétaire provinciale adjointe à la Centrale Générale FGTB Limbourg

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