Claude Demelenne
La gauche defend les travailleurs, mais pas les prolos du sexe ?
La vie des travailleurs du sexe n’est pas rose : insécurité, agressions, répression… A Bruxelles, leur quotidien se dégrade. La gauche, hélas, ne défend pas les « prolos » du sexe.
Le sort réservé aux prostitué.e.s en dit beaucoup sur l’état de santé d’une démocratie. A Bruxelles, il y a du souci à se faire. Dans la capitale de l’Europe, les travailleurs du sexe (TDS) sont traités en parias.
Un bidonville à Saint-Josse
Le quartier des néons rouges, derrière la gare du Nord, sur le territoire de la commune de Saint-Josse, est devenu un enfer pour les TDS. Celles-ci risquent leur peau, dans ce qui est une véritable zone de non-droit. Fin octobre et début novembre, deux d’entre elles ont encore frôlé la mort. Elles ont été tabassées et menacées au couteau, non par des clients, mais par des délinquants, venus pour les dépouiller.
La prostitution de vitrine, à Saint-Josse, se déroule dans ce qui ressemble à un bidonville. Les déchets s’accumulent sur les trottoirs, les voiries sont défoncées, les dealers commercent en plein jour, le quartier se transforme en coupe-gorge dès la nuit tombée, des bandes rivales s’affrontent.
A Bruxelles-Ville, les « putes » indésirables
Le quartier des hôtels de passe, appelé quartier de l’Alhambra, situé sur le territoire de la commune de Bruxelles-Ville, près du Théâtre flamand, est toujours plus insécurisant pour les TDS. Ce quartier « historique » de prostitution de rue fut jadis accueillant pour les TDS. C’est fini. Les « putes » sont désormais indésirables.
Menacés d’amendes, pourchassés par la police, les clients des TDS se font rares. Les travestis, transgenres, filles de l’Est, occasionnelles, dont certaines frôlent les 70 ans, arpentant les trottoirs, bossent la peur au ventre. Leur gagne-pain fond comme neige au soleil.
A Saint-Josse et u0026#xE0; Bruxelles-Ville, les prolos du sexe galu0026#xE8;rent, dans l’indiffu0026#xE9;rence glacu0026#xE9;e des autoritu0026#xE9;s politiques.
Emir Kir rend la vie impossible aux TDS
A Saint-Josse et à Bruxelles-Ville, les prolos du sexe galèrent, dans l’indifférence glacée des autorités politiques. Les bourgmestres de ces deux communes – Emir Kir et Philippe Close – sont socialistes, donc en principe sensibles à la détresse des plus faibles et des plus précaires. Curieusement, leur « sens social » s’évapore dès qu’il s’agit des TDS.
Sans oser le déclarer explicitement, Emir Kir rêve de fermer le quartier des néons rouges, dans sa commune. Ces dernières années, il a accumulé les règlements à la motivation claire : il veut rendre la vie impossible aux TDS. La quasi totalité de ces règlements ont été recalés par le Conseil d’Etat. Alors, le bourgmestre Kir change de tactique. Il fait acheter par la commune un maximum d’immeubles abritant au rez-de-chaussée des « carrées » de prostitution aux néons rouges, qu’il s’empresse de fermer. Puis il laisse pourrir la situation. Pour mieux imposer, à moyen terme, une fermeture définitive du quartier chaud ? Probable. Car le bourgmestre a de grands projets immobiliers pour sa commune. Et des TDS dans le paysage, cela fait désordre.
Philippe Close, le dogmatique
Philippe Close, le bourgmestre de Bruxelles-Ville, a une approche dogmatique de la prostitution. Il veut l’abolir. Comme tous les abolitionnistes, il confond prostitution et traite des êtres humains, un amalgame absurde. Comme Emir Kir, il planifie ce qui s’apparente à une « chasse aux putes ». Kir n’est pas opposé par principe à une réglementation de la prostitution…mais il fait tout pour que les TDS quittent progressivement sa commune de Saint-Josse.
L’approche de Close est davantage puritaine. Il fantasme sur une région sans prostitution. Puritain, Close, mais pas seulement : dans le quartier de l’Alhambra, le bourgmestre de Bruxelles cède aussi aux pressions du lobby des « nouveaux propriétaires » – des électeurs qu’il faut chouchouter – qui ont acheté des appartements dans le coin et rejettent les TDS avec un discours simpliste : « Pas de cela chez nous ! »
Les prostitué.e.s doivent devenir des fantômes
Dans les deux cas – Kir et Close – les TDS paient le prix plein de l’inconséquence des bourgmestre socialistes. Ceux-ci sont aux abonnés absents pour défendre les droits des TDS. Emir Kir et Philippe Close ne sont pas dupes. Ils savent que la prostitution ne disparaîtra pas, et même qu’elle augmentera, dans un contexte de montée des inégalités et de recrudescence de la pauvreté, particulièrement dans les grandes villes.
Au fond, ce qui importe à ces bourgmestres, c’est que la prostitution soit masquée. Hypocritement, cela ne les dérange pas que les TDS travaillent dans la clandestinité, dans des conditions d’hygiène déplorables et une insécurité croissante. L’essentiel, c’est qu’ils deviennent des fantômes, des invisibles, « exilés » souvent à la périphérie des centre urbains.
Ecouter la voix des TDS
Les bourgmestres socialistes Kir et Close ne sont pas les seuls à tourner le dos aux prolos du sexe. La gauche dite « radicale » – n’est pas en première ligne pour améliorer le quotidien des TDS. Le PTB attend sans doute l’avènement d’une société communiste où – défense de rire – il n’y aura évidemment plus de prostitution. Comme les socialistes, les écologistes bruxellois sont divisés, peu diserts sur la question, sauf à Saint-Josse, où les élus locaux du parti vert s’opposent courageusement à la politique « anti-putes » d’ Emir Kir.
Des voix isolées – notamment celle du député Julien Uyttendaele – se font entendre, au PS bruxellois, pour défendre les droits des TDS. Mais la prise de conscience de l’urgence à permettre aux TDS de travailler dans de meilleures conditions, est faible. Ce 8 novembre, après deux agressions de prostituées à Saint-Josse, le collectif UTSOPI (Union des Travailleu-r-ses du Sexe organisé-es pour l’indépendance) qui rassemble exclusivement des TDS ou des ex-TDS, a une nouvelle fois interpellé le PS bruxellois, et notamment le ministre-président Rudi Vervoort, pour qu’il organise une concertation intercommunale sur la question, impliquant tous les acteurs de terrain, à commencer bien sûr par les représentants des TDS, pour l’heure niés par Emir Kir et guère écoutés par Philippe Close.
L’exemple de Schaerbeek
En région bruxelloise, la commune de Schaerbeek, dans les limites de la législation actuelle, montre qu’il est possible de gérer à la fois plus efficacement et plus humainement la question de la prostitution. Le ministre bruxellois, et longtemps bourgmestre de Schaerbeek, Bernard Clerfayt (Défi), a toujours privilégié la concertation et l’écoute des TDS. La nouvelle bourgmestre f.f. Cécile Jodogne (Défi) est sur la même ligne. La gauche pourrait s’en inspirer plutôt que d’adopter, à l’égard des TDS, une attitude oscillant entre indifférence et mépris.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici